Des agents de la police de New York (NYPD) ont adopté une nouvelle tactique pour “dissuader les activités criminelles” dans les transports en commun et surprendre les délinquants. Depuis la mi-juin, plusieurs photos et vidéos partagées en ligne montrent des agents déguisés en mécanicien, en employé du métro ou même en livreur. Notre Observateur dénonce une méthode “prédatrice”.
Une vidéo diffusée sur TikTok le 18 juin met en lumière cette nouvelle pratique de la police new-yorkaise. La personne qui filme, un homme noir, explique qu’il rentrait chez lui après avoir terminé son travail lorsque les deux agents l’ont arrêté et ont saisi un cutter qu’il portait sur lui. Il assure que ce cutter est un outil de travail.
En légende de la vidéo, il précise que la scène s’est déroulée à la station de métro Broadway Junction, le 17 juin 2022, et dit avoir été “arrêté à tort”.
En quelques jours, sa vidéo a recueilli plus de 220 000 vues sur le réseau social. Car le plus étonnant, ce sont les tenues des deux agents visibles dans la vidéo : l’un porte une casquette de baseball noire et un uniforme avec l’inscription “Volvo”, typique d’un mécanicien automobile. L’autre porte un gilet orange qui ressemble aux uniformes des employés de la Metropolitan Transportation Authority (MTA), société qui gère le métro de New York. Les agents ont tous les deux des caméras corporelles, et le badge de police du premier est bien visible.
L’homme interpellé demande aux agents les raisons de son arrestation. Dans un premier temps, les policiers ne lui répondent pas. Puis, ils finissent par lui dire qu’il n’est pas autorisé à être en possession d’un “instrument tranchant”. Deux autres agents arrivent en renfort (à 2’13 dans la vidéo) et il semble que l’homme est finalement menotté.
“J’ai vu d’autres agents déguisés en personnel d’hôtel, en employés du MTA, de FedEx, d’Amazon, des services postaux des États-Unis…”
Notre Observateur Michael Clancy est le président de l’unité de patrouille Copwatch, à Brooklyn. Ce groupe militant se consacre à la surveillance et à l’enregistrement des interactions de la police avec les citoyens afin de dénoncer les dérapages et les violences policières.
Le 16 juin, Michael Clancy a lui aussi pris une vidéo montrant deux officiers abordant d’autres tenues que celles de la police : le premier est habillé comme un employé de la MTA, le second comme un employé d’hôtel. Les deux agents ont également des armes et leurs badges de police.
J’étais en patrouille dans le train L et je suis descendu à l’arrêt Canarsie [à Brooklyn].
J’ai vu deux personnes – qui semblaient être un employé d’hôtel et un employé du MTA – qui tenaient un vieil homme noir contre une poubelle, en lui demandant de vider ses poches et de présenter sa carte d’identité. Il était coopératif mais semblait confus, l’air de ne pas savoir ce qu’il avait fait. Il m’a semblé étrange que deux personnes habillées de la sorte secouent cet homme. J’ai commencé à les filmer. Et bien sûr, l’agent a sorti son badge. Quand ils ont vu que je les filmais, ils l’ont laissé partir.
Je leur ai demandé leur nom et leur numéro de badge et j’ai constaté qu’il s’agissait de membres de la police de New York, mais déguisés en employés. Depuis, j’ai vu d’autres agents déguisés en personnel d’hôtel, en employés de la MTA, de FedEx, d’Amazon, des services postaux des États-Unis, etc.
Une autre photo, partagée sur les réseaux sociaux le 30 juin, montre également un agent de la police de New York – dont le badge est visible – portant un uniforme de chauffeur-livreur Amazon, un gilet bleu avec des rayures grises sur la poitrine.
Il regarde deux autres hommes, qui semblent être des officiers, rédiger des contraventions pour des passagers du métro. L’un des hommes est en civil, tandis que l’autre, dos à la caméra, porte un uniforme de livreur FedEx, une chemise noire avec des rayures violettes verticales.
Selon cette publication, la photo a été prise à la station de métro Broadway Myrtle, à Brooklyn.
Un deuxième cliché montre ces mêmes officiers sous un angle différent : il permet clairement de voir qu’il s’agit d’agents de la police de New York portant des uniformes de livreur, avec les logos de FedEx et d’Amazon.
Une méthode “dangereuse”
Selon Michael Clancy, cette technique est nouvelle. Au cours de ses 16 années d’expérience dans la surveillance de la police de New York, c’est la première fois qu’il voit des agents porter de tels uniformes :
Jusqu’ici [les agents infiltrés] portaient toujours une tenue de sport ou une chemise décontractée, mais jamais le logo d’une entreprise.
Maintenant, ils utilisent des logos d’entreprises ou d’autres agences de la ville. Cela pourrait s’avérer dangereux pour les employés de ces agences municipales : quelqu’un pourrait par exemple blesser un chauffeur de bus en pensant qu’il s’agit d’un policier déguisé.
Un porte-parole d’Amazon, cité par Vice, assure qu’il n’était pas au courant de l’utilisation de l’uniforme de son entreprise par des policiers. Un porte-parole de FedEx a refusé de commenter la situation.
La rédaction des Observateurs de France 24 a contacté la police de la ville de New York. Un représentant a répondu par email avec un communiqué : “Les agents de transit effectuent des patrouilles en civil, en raison de l’environnement spécifique et des défis présentés par le système de transit de la ville de New York. Ces agents en civil concentrent leurs efforts sur la prévention des actes criminels, tels que [ceux commis par] les pickpockets et les délinquants sexuels. La NYPD continue à effectuer des déploiements de patrouilles renforcées dans le métro et reste très concentrée sur le nombre relativement faible de personnes responsables d’une grande partie de la criminalité et du désordre dans la ville de New York.”
Le maire de New York, Eric Adams, a rétabli en janvier l’unité en civil de la police de New York. Très controversée, elle avait été démantelée en 2020 après avoir été impliquée dans un nombre “disproportionné” de fusillades et de plaintes de civils, selon le commissaire de police de la ville de New York.
Les défenseurs des droits de l’homme accusent depuis longtemps les unités anti-criminalité en civil de la police new-yorkaise d’avoir un recours excessif à la force et de cibler les minorités raciales.
L’unité civile, initialement remise en place pour faire face au problème croissant de la violence armée à New York, procède principalement à de petites arrestations. Cette stratégie s’inscrit dans le cadre du regain d’intérêt de la police de New York pour la répression de la criminalité liée à la “qualité de vie” : cela concerne des infractions mineures, comme uriner sur la voie publique ou la fraude aux titres de transport. Selon la NYPD, ces opérations doivent avoir un effet dissuasif et permettre d’éviter des infractions plus graves.
“Attendre qu’un pauvre type saute le tourniquet, c’est de la prédation”
Mais pour Michael Clancy, ces méthodes contribuent surtout à transformer les agents en “policiers prédateurs” :
Avons-nous besoin de sécurité ? Oui. Mais si vous voulez vraiment empêcher quelqu’un de sauter par-dessus les tourniquets, prenez un agent en uniforme et placez-le juste là. Personne ne va sauter devant le policier. Mais attendre qu’un pauvre type qui n’a pas 2,75 $ saute le tourniquet parce qu’il est pauvre ou sans abri, c’est de la prédation. C’est comme si un lion attendait qu’une gazelle affaiblie traverse le parc de Serengeti [en Tanzanie, NDLR].
Interrogé par Vice, Michael Sisitzky, conseiller politique principal pour l’Union des libertés civiles de New York, s’inquiète également. “Si toute rencontre entre la police et des membres du public peut potentiellement dégénérer, ce risque peut être encore plus grand lorsque les gens ne réalisent pas qu’ils sont approchés ou arrêtés par un agent de police”, explique-t-il. Selon lui, “le déploiement d’agents déguisés” ne permet pas “d’inspirer la confiance dans des communautés déjà ciblées par une surveillance omniprésente et une application disproportionnée de la loi”.