Trois étapes du Tour 2022, et trois étapes que Wout Van Aert termine à la deuxième place. L’actuel maillot jaune espère enfin ouvrir son compteur de victoires sur la Grand Boucle. Car si le maillot jaune est une consécration, pour ce coéquipier-modèle de la Jumbo-Visma, seule la victoire d’étape est belle.
La performance est incongrue et fait partie de ces records qui ne peuvent être égalés ou battus que par hasard. En se classant deuxième pour la troisième fois en autant d’étapes du Tour de France dimanche 3 juillet, Wout Van Aert n’est que le deuxième coureur de l’histoire de la Grande Boucle à terminer les trois premières étapes sur la deuxième place du podium, 82 ans après le mythique Italien Alfredo Binda, quintuple vainqueur du Tour d’Italie dans les années 20.
Un peu trop habitué à cette place de dauphin, le Belge de la Jumbo-Visma reste beau joueur en toutes circonstances. Vendredi, il a pris la défense de son compatriote Yves Lampaert qui lui a ravi la première place sur le chrono inaugural, que certains attribuaient à la chance et aux conditions climatiques changeantes. Après la deuxième étape, il avait philosophé en se comparant à Raymond Poulidor, la légende française et lui aussi éternel deuxième sur le Tour. Après la troisième étape, il ne s’en est pris qu’à lui-même, se blâmant de ne pas avoir suivi son coéquipier, le Français Christophe Laporte, qui l’emmenait dans un fauteuil.
Un coéquipier polyvalent et fidèle
Reste qu’après trois étapes, Wout Van Aert pourrait au moins se satisfaire de porter le maillot jaune du Tour de France pour la première fois et de mener dans le classements des points, le maillot vert étant son véritable objectif cette année. Cependant, le coureur belge de 27 ans veut davantage. Il veut gagner.
“J’ai le maillot jaune et le maillot vert, certes, expliquait-il dimanche soir après la troisième étape, mais sans victoire, j’éprouve des sentiments contraires. Ce n’est plus marrant à force, trois fois deuxième en trois jours, ce doit être un record…”
Voir le maillot jaune sur les épaules d’un autre que son leader serait un casse-tête pour la plupart des équipes cyclistes. Pas pour la Jumbo-Visma et surtout pas pour Wout Van Aert, qui a démontré depuis son arrivée en 2019 un esprit d’équipe impeccable, capable de mettre ses ambitions personnelles de côté pour être au service de ses leaders, en l’occurrence Primoz Roglic.
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D’ailleurs, une situation comparable s’est déjà présentée à deux reprises cette année. Lors du Paris-Nice et du critérium du Dauphiné, Wout Van Aert avait porté la tunique jaune de leader dans les premières étapes avant de la rendre sagement à Primoz Roglic quand les pentes s’élevaient, le Belge se transformant en garde du corps du Slovène prêt à se “mettre à la planche” pour lui. Dans les deux cas, Primoz Roglic a remporté l’épreuve tandis que Wout Van Aert a gagné le maillot vert. La Jumbo-Visma rêve que le scénario se répète le 24 juillet prochain à l’issue de la Grande Boucle.
“Nous allons continuer à essayer de combiner nos deux objectifs”, a assuré dimanche le Belge. “Je suis bien parti pour le maillot vert et, au classement général, nous sommes restés hors de danger au Danemark. Jonas [Vingegard] et Primoz [Roglic] ont l’air vraiment forts”.
C’est d’ailleurs cet état d’esprit impeccable qui a sans doute décidé la Jumbo-VIsma à l’autoriser à chasser le maillot vert après trois années où l’équipe était entièrement construite autour de la conquête d’une victoire finale de Primoz Roglic. Le Tour 2021 a sans doute pesé dans la balance. Après l’abandon de Roglic en raison d’une chute, Wout Van Aert, libéré de ses obligations a brillé et sur tous les terrains. Il a fait l’étalage de sa polyvalence en signant un improbable triplé d’étapes : en contre-la-montre, sur la double ascension du mont Ventoux et dans un sprint massif sur les Champs-Élysées.
Lutte des classes dans les sous-bois
Des qualités de rouleur-puncheur-sprinteur développées loin du bitume, Wout Van Aert étant au départ un coureur de cyclo-cross. Une école qui lui a permis de développer son agilité sur le vélo, son explosivité et sa force. Autant d’aptitudes qui lui permettent désormais de briller sur route.
Wout Van Aert se souvient d’ailleurs de sa première rencontre avec son grand rival, Mathieu van der Poel, petit-fils de Raymond Poulidor et fils de Adrie van des Poel, ancien maillot jaune. Un choc des cultures entre l’ado qui débutait sur un VTT offert pour sa communion et à un concurrent issu de la noblesse du cyclisme : “C’était sur un cyclo-cross aux Pays-Bas. Je ne venais pas d’une famille de cyclistes, mes parents ne suivaient rien des courses dans la région quand j’étais plus jeune. J’avais débarqué là avec seulement un VTT bas de gamme, je ne connaissais rien de ce sport, du matériel, de la façon de courir en compétition. Mais Mathieu, lui, était là avec son père, un vélo et des roues carbone. Il y avait même le camping-car pour l’accompagner, c’était une si grande différence par rapport à moi”, se rappelle-t-il dans l’Equipe.
Les deux vont écrire ensemble les plus belles pages de l’histoire récente du cyclo-cross et ramener la lumière sur une discipline tombée en désuétude. Van der Poel est quadruple champion du monde (2015, 2019, 2020, 2021), et à trois reprises, c’était Wout Van Aert sur la seconde marche ! Le Belge n’est pas en reste, avec également trois titres à son actif (2016, 2017, 2018). À force de s’affronter, les deux hommes ont développé un respect mutuel, à défaut d’une amitié.
Un passage sur route réussi
Le passage à la route se fait naturellement. Il débute avec Veranda’s Willems en 2018 et collectionne les places d’honneur dans la campagne des classiques : 3e aux Strade Bianche, 9e sur le Tour des Flandres et 13e sur Paris-Roubaix. Il tape dans l’œil de la Jumbo-Visma et casse son contrat pour rejoindre le World Tour, la plus haute division.
Les résultats arrivent très vite : en juin 2019, Wout Van Aert remporte deux étapes sur le critérium du Dauphiné ainsi que le maillot vert. Il participe à son premier Tour de France dans la foulée et s’impose au sprint lors de la 10e étape entre Saint-Flour et Albi. Mais une violente chute dans les barrières quatre jours plus tard le contraint d’interrompre sa saison. Sa carrière est même en danger, notamment après une erreur chirurgicale. Mais le coureur parvient à revenir, travaillant avec un psychologue pour surmonter le traumatisme.
Il reprend en fanfare. Dans un calendrier de saison remanié en raison de la pandémie de Covid-19, il remporte coup sur coup les Strade Bianche puis son premier Monument Milan-San Remo. Au Tour de France, il s’adjuge les cinquième et septième étapes. Et avec Mathieu van der Poel, également passé sur la route, les passes d’armes se multiplient sur le bitume… mais également dans les sous-bois puisque les deux hommes font le choix de passer l’hiver à concourir dans leur discipline fétiche, une incongruité dans le peloton.
À jamais le deuxième ?
Cependant, avec un fort potentiel vient souvent une forte pression. En Belgique, pays où le vélo est une religion, Wout Van Aert n’y échappe pas. La multiplication de ses deuxième places dans les grands rendez-vous prête le flanc aux critiques. Lors des championnats du monde 2021, alors qu’il espérait un doublé historique en remportant le contre-la-montre et la course en ligne, il est double vice-champion. À Tokyo, près d’un an plus tard, il doit encore se contenter de la médaille d’argent sur la course en ligne. Puis, lors des championnats du monde à domicile, il est à nouveau vice-champion de chrono et déçoit avec une 11e place sur la course en ligne.
La liste des podiums s’allonge en 2022. Annoncé en favori sur les Monuments du printemps, il ne finit “que” 8e de Milan-San Remo, 2e de Paris-Roubaix et 3e de Liège-Bastogne-Liège. Le Covid le contraint à renoncer au Tour des Flandres. La déception est là mais à 27 ans, Wout Van Aert a déjà un palmarès plus qu’enviable : outre le Monument Milan-San Remo, il a dans sa musette quelques-unes des plus belles classiques : GP de l’E3, Gand-Wevelgem, Strade Bianche, ainsi six étapes du Tour de France.
“Quand on finit deuxième, il y a toujours une raison. Parfois c’est à cause de soi-même, parfois c’est seulement parce qu’on est battu par plus fort. Aujourd’hui, j’ai été battu par plus fort. Dans l’histoire du cyclisme, il y a beaucoup de champions qui ont souvent terminé deuxième. Je finis par dire qu’il vaut mieux terminer deuxième que nulle part”, philosophait-il à l’issue de la deuxième étape du Tour 2022.
Une philosophie qui ne devrait pas l’empêcher de jouer la gagne lors des trois prochaines étapes, taillées pour ses qualités.