Depuis fin mai, treize tortues marines ont été retrouvées mortes sur une plage où elles étaient venues pondre, dans la commune de Rémire-Montjoly, en Guyane française. Elles ont été tuées par des chiens non surveillés par leurs maîtres. Une association locale s’inquiète de l’impact de ces attaques – plus nombreuses que les années précédentes – sur les pontes des tortues, des espèces protégées et “déjà fragilisées”, et dénonce l’inaction de la commune face au problème.
C’est l’association Kwata qui a tiré la sonnette d’alarme pour la première fois, le 23 mai, concernant une tortue verte retrouvée morte sur une petite plage de Rémire-Montjoly. Il s’agit d’une commune en banlieue de Cayenne, en Guyane, une collectivité territoriale unique de la France, située au nord du Brésil. Kwata est une association locale d’étude et de protection de la nature, créée en 1994.
Depuis, douze tortues olivâtres ont également été retrouvées mortes sur la même plage, où elles étaient venues pondre.
“Si rien n’est fait pour éviter les attaques de tortues, cela pourrait avoir un vrai impact sur les pontes”
Benoit de Thoisy est le directeur de l’association Kwata :
Actuellement, c’est le début de la saison de ponte des tortues olivâtres : il y a déjà eu 1500 pontes, ce qui signifie que 600 ou 700 femelles sont déjà venues pondre. Là, il reste encore un mois de ponte, qui est essentiel, car on recense en moyenne 3000 à 5000 pontes tous les ans, puisque 1500 à 2500 femelles viennent pondre chaque année, en général. Si rien n’est fait pour éviter les attaques de tortues, cela pourrait avoir un vrai impact sur les pontes. De plus, ce sont des espèces protégées qui sont déjà fragilisées, notamment par les prises accidentelles en mer.
Trois espèces de tortues marines viennent pondre régulièrement en Guyane : la tortue verte, la tortue olivâtre et la tortue luth. Elles se trouvent sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature : la première est considérée “en danger”, et les deux autres “vulnérables”. Elles sont donc protégées en France.
En général, seules “une ou deux tortues” sont retrouvées mortes sur le littoral guyanais chaque année, selon l’association Kwata.
“Les tortues sont déchirées à la nuque et aux pattes”
Benoit de Thoisy poursuit :
La petite plage de Rémire-Montjoly – où les treize tortues ont été tuées – est la seule où nous avons observé ce problème depuis fin mai. Elle était redevenue favorable à la ponte cette année, car un gros banc de vase avait bougé, donc les tortues y avaient de nouveau accès. Mais dès le début de la saison des pontes, nous avions eu des craintes, car nous savions qu’il y avait des chiens à côté. La dernière fois qu’un nombre important de tortues avaient été tuées par des chiens, c’était il y a une dizaine d’années, sur cette même plage : une soixantaine avaient été tuées.
Nous savons qu’elles ont été tuées par des chiens – et non par des jaguars par exemple – pour plusieurs raisons. Déjà, cela se voit au niveau de leurs blessures : les tortues sont déchirées à la nuque et aux pattes, alors qu’elles seraient coupées si elles avaient été attaquées par des félins. De plus, nous avons vu des empreintes de chiens dans le sable, autour des tortues. Ils attaquent à plusieurs, contrairement aux félins. Et puis, des riverains ont vu des chiens les attaquer. Visiblement, ils font cela pour “s’amuser”, car ils ne les mangent pas. Les tortues sortent de l’eau uniquement pour pondre : elles sont donc tuées avant, pendant, ou après la ponte.
L’association a retrouvé les empreintes d’une tortue olivâtre et de chiens, ainsi que du sang, dans le sable d’une plage de Rémire-Montjoly, le 21 juin. © Association Kwata.
“Ce sont des chiens divagants qui les ont attaquées”
Selon l’association Kwata, ce sont des chiens “divagants” qui ont attaqué les tortues. Selon le Code rural et de la pêche maritime français, un chien est considéré comme “en état de divagation” lorsqu’il n’est plus sous la surveillance de son maître, sauf s’il est utilisé pour la chasse ou pour garder un troupeau.
Ce texte interdit de laisser divaguer les chiens, et ce sont les maires qui doivent empêcher leur divagation. La police municipale doit, elle, empêcher ou remédier “aux événements fâcheux” qui pourraient être occasionnés par leur divagation, d’après le Code général des collectivités territoriales.
Benoit de Thoisy précise :
Il s’agit de quelques chiens seulement, appartenant à deux ou trois propriétaires : ils sont bien identifiés. D’après les riverains, ces chiens s’en prennent également aux promeneurs et aux chiens tenus en laisse.
Nous avons déjà alerté le maire et la police municipale au sujet des attaques de tortues, mais pour l’instant, ils n’ont pas du tout réagi.
De plus, comme les tortues sont des espèces protégées, ce problème relève également du Code de l’environnement et de la police de l’Office français de la biodiversité [un établissement public de l’État, NDLR]. Ces derniers jours, nous avons d’ailleurs vu des agents de l’Office français de la biodiversité patrouiller, pour essayer de prendre les chiens en “flagrant délit”. Pour l’instant, c’est la seule police qui a réagi.
Par ailleurs, un travail de sensibilisation a déjà été fait auprès des propriétaires de chiens dans la zone, pour qu’ils connaissent la loi. La plupart ont bien réagi, mais ce n’est pas suffisant visiblement.
Notre rédaction a appelé la mairie et la police municipale de Rémire-Montjoly, et leur a envoyé des questions par e-mail, à leur demande. Nous publierons leurs réponses si elles nous parviennent.