Elle a été choisie par le président Joe Biden pour devenir la première femme noire à la Cour suprême des États-Unis : Ketanji Brown Jackson a prêté serment, jeudi, pour occuper ce poste de juge à vie, remplaçant ainsi le libéral Stephen Breyer qui prend sa retraite fin juin.
C’est la première magistrate afro-américaine à rejoindre la plus haute instance judiciaire américaine. Ketanji Brown Jackson a prêté serment, jeudi 30 juin, pour siéger à la Cour suprême des États-Unis. Un poste de juge à vie qu’elle occupera en remplacement du libéral Stephen Breyer, à la retraite fin juin.
Le Sénat américain avait procédé, le 7 avril, à la confirmation historique de cette brillante juriste de 51 ans. La magistrate avait été choisie fin février par le président démocrate Joe Biden qui avait promis pendant sa campagne de nommer, pour la première fois, une femme noire à la plus haute institution judiciaire du pays, vieille de 233 ans.
Dépeinte par les républicains comme une juge “laxiste”, syndrome de la “politique gauchiste” de Joe Biden, ses partisans louent son expérience et le soutien dont elle dispose auprès de syndicats de policiers et d’anciens procureurs.
Un passé inédit d’avocate de la défense
Car Ketanji Brown Jackson est loin de n’être qu’un symbole. Cette juriste, mariée à un chirurgien et mère de deux enfants, est sortie de la prestigieuse faculté de droit de Harvard avec les honneurs.
Elle a travaillé comme assistante pour Stephen Breyer, le juge de la Cour suprême qu’elle va remplacer, et siégeait jusqu’à présent à la cour d’appel fédérale du district de Columbia, “qui est considérée comme la deuxième plus prestigieuse juridiction du pays après la Cour suprême à cause de l’importance des affaires qui y sont traitées”, rappelle le site Scotusblog, consacré à l’actualité de la Cour suprême – “Scotus” signifiant “Supreme Court of the United States”.
Telles sont en tout cas ses lettres de noblesse juridique. Mais Ketanji Brown Jackson a aussi emprunté des chemins professionnels qu’aucun autre de ses futurs collègues à la Cour suprême n’a suivi. Elle a officié pendant deux ans comme avocate commise d’office et a aussi été juge d’application des peines.
“La plupart des juristes qui envisagent une carrière dans les plus hautes sphères de la magistrature préfèrent passer par le bureau du procureur car ils savent que les politiciens ont tendance à soutenir plutôt ceux qui se trouvent du côté des forces de l’ordre plutôt que les avocats de la défense, qui se retrouvent souvent à plaider la cause de criminels”, explique le site américain d’information Vox. Et “elle n’a pas eu peur d’aider des clients que les autres évitaient à tout prix”, note le New York Times.
L’expérience de la réalité
Pour plusieurs commentateurs, c’est ce choix de carrière particulier plutôt que sa couleur de peau qui fait tout l’intérêt de la nomination de Ketanji Brown Jackson. “Elle aura plus d’expérience de la réalité de l’application des peines pénales que tous les autres juges de la Cour suprême réunis”, résume le Los Angeles Times.
Ce sont ces quelques années passées à défendre des criminels ou à décider de la sanction à appliquer que les républicains ont épluchées pour tenter de déstabiliser Ketanji Brown Jackson durant les auditions en mars dernier. ll lui a ainsi été reproché d’avoir défendu, il y a seize ans, un détenu de Guantanamo. Ketanji Brown Jackson a été accusée d’avoir pris le parti de “combattants ennemis” des États-Unis, ce à quoi elle a répondu que l’affaire lui avait été attribuée et que n’importe qui avait le droit à la meilleure défense possible.
Plusieurs sénateurs républicains ont suggéré qu’elle avait de l’indulgence pour les pédophiles car elle avait “souvent infligé des peines moins lourdes” que le maximum prévu par la loi pour des individus possédant des images pédopornographiques. Mais plusieurs médias, y compris conservateurs, ont relevé qu’une écrasante majorité des juges américains faisaient de même. “C’est digne de QAnon [le groupe conspirationniste pro-Trump qui est persuadé qu’une secte sataniste et pédophile dirige les États-Unis]”, avait réagi en mars dernier sur Twitter Andrew Bates, un porte-parole de la Maison Blanche.
Mais qu’importe pour les républicains, avait alors souligné la radio NPR. Conscients qu’ils ne pourraient pas empêcher la nomination de la première femme noire à la Cour suprême, ils ont pu faire passer un message essentiel à leur yeux, à savoir que les démocrates ont soutenu une juge “qui serait peu sévère avec les criminels”. Après tout, les élections de mi-mandat ne sont que dans quelques mois.
Nomination historique
Avec le choix de Ketanji Brown Jackson, il ne s’agit pas pour Joe Biden de faire bouger les lignes politiques à la Cour suprême, actuellement très marquée à droite avec six juges conservateurs sur neuf.
L’enjeu de sa prise de fonction est à la fois hautement symbolique tout en étant politiquement très important pour le président américain, qui avait fait de la nomination d’une femme noire à la Cour suprême l’une de ses promesses de campagne en juin 2020.
Il s’agit également d’un événement historique pour la Cour suprême, qui demeure l’une des institutions les plus “wasp” (“white anglo-saxon protestant”, c’est-à-dire à l’image du pionnier blanc protestant qui incarne la classe dominante depuis la fondation des États-Unis) de tout le pays. En plus de 200 ans d’existence, cette instance a accueilli 120 juges, dont 115 étaient des hommes et 117 étaient blancs.
Le premier juge afro-américain – Thurgood Marshall – a siégé de 1967 à 1991, date à laquelle il a été remplacé par Clarence Thomas, un autre juge de couleur, qui s’est révélé être très conservateur.
Cette publication est une version actualisée du portrait Ketanji Brown Jackson publié le 24 mars 2022.