L’ancienne Miss Univers ukrainienne Julia Gershun a consacré ces trois derniers mois à des efforts humanitaires inlassables pour évacuer les femmes et les enfants d’Ukraine. L’ambassadrice de bonne volonté de l’UNICEF et fondatrice du Comité pour la paix en Ukraine a parlé à James Wilson des priorités urgentes à venir.
Avant l’attaque russe sur l’Ukraine aux premières heures du 24 février 2022, Julia Gershun avait déjà plusieurs rôles. Elle était la présentatrice de l’émission de télévision Cultural Diplomacy et était également connue de beaucoup pour ses succès antérieurs en tant que Miss Ukraine, Top Model of the World 2017 et Mrs Universe 2018. Elle a fondé une fondation caritative en Ukraine qui aide depuis sept ans les enfants et les familles à faible revenu, en mettant l’accent sur le développement de jeunes talents. Sa campagne pour les élections parlementaires de 2019 s’est faite sur une plateforme de “paix, de développement et de protection de chaque personne”. Alors que l’invasion russe a commencé au début de l’année, elle a estimé qu’elle devait faire tout son possible pour utiliser ses contacts et son expérience afin de répondre à l’urgence humanitaire nationale.
Julia parle avec émotion du début de la guerre. “Dans les premiers jours, je suis restée à Kiev. Bien sûr, nous passions nos nuits sous terre, dans des conditions difficiles. Nous restions assis là toute la nuit, craignant qu’un de nos proches, quelque part dans la ville ou le pays, ne soit tué pendant la nuit. Le matin, une fois que les roquettes et les sirènes se sont tues, nous sortons de terre et essayons d’appeler chaque personne aimée, anxieux de savoir si elle a survécu à la nuit. Avais-je peur ? Au tout début, il n’y avait pas de temps pour avoir peur. On faisait juste ce qu’il fallait dans ces circonstances. Une semaine plus tard, vous avez le choix entre pleurer et déprimer, ou vous lancer dans l’action”.
L’action, c’est ce que Julia a choisi et il lui est apparu clairement qu’elle pouvait être une force efficace pour aider à mobiliser les volontaires autour du défi de l’évacuation des personnes les plus menacées. Au fil des ans, elle avait établi de nombreux contacts internationaux, non seulement en tant que Miss Univers d’Ukraine, mais aussi en tant qu’ambassadrice de bonne volonté de l’UNICEF et grâce à ses relations avec la Croix-Rouge. Ces contacts internationaux, qu’il s’agisse d’ambassades, de chefs d’entreprise ou d’organisations caritatives, l’aideront, elle et son équipe, à évacuer les femmes et les enfants des pires points chauds de la guerre.
Julia et son équipe ont déjà évacué des milliers de femmes et d’enfants, dont des jeunes handicapés, malentendants et autistes. Beaucoup d’entre eux ont été amenés dans des pays européens. En outre, elle et son équipe travaillent avec un hôpital de campagne israélien près de Lviv, soignant les blessés et apportant un soutien psychologique à ceux qui ont perdu leur maison et leurs proches. Elle s’efforce également de soutenir les femmes et les enfants qui ont été violés. Et maintenant, elle organise le plus grand forum international “Post-traumatisme de guerre”, où des médecins de différents pays peuvent s’échanger leurs expériences et trouver la solution la plus efficace à ce problème.
Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, elle a créé la plus grande plateforme humanitaire internationale, le Comité de paix de l’Ukraine, et établit actuellement une coopération avec plus de 40 pays dans le monde, dont le Royaume-Uni, la France, l’Autriche, l’Allemagne, Israël, la Suisse, l’Italie, le Danemark, la Suède, la Norvège, l’Espagne, la Pologne, la République tchèque, la Belgique, les États-Unis et les Émirats arabes unis. Une priorité actuelle est l’aide aux mères, y compris celles qui sont enceintes et ont besoin d’une assistance psychologique, médicale ou physique, depuis la gestion de la grossesse jusqu’à l’accouchement dans des cliniques européennes. Les enfants sont également visés, depuis un programme d’évacuation des orphelinats, des orphelins et des familles nombreuses, jusqu’à l’aide à l’obtention d’une éducation à l’étranger. L’association est soutenue par ses représentants dans les principales villes ukrainiennes, une équipe de plus de 50 personnes qui aident à sélectionner et à identifier les cas à traiter. La branche européenne de la plateforme humanitaire de Julia, le Comité de la Paix, a récemment été lancée en France.
Le nombre de personnes qui ont besoin d’aide et la gravité de leurs problèmes peuvent sembler écrasants. Julia explique : “En évacuant chaque jour des enfants et des femmes des points chauds, nous avons affaire à des milliers de vies brisées à chaque fois. Quelqu’un qui a perdu sa maison, son mari, son frère, son fils ou sa fille, les femmes qui ont été violées, qui n’ont plus envie de vivre, traumatisées mentalement et physiquement… il est totalement impossible de compter le nombre de cas.”
Interrogée sur les réponses des différents pays, Julia note qu’Israël a été très efficace en matière d’assistance médicale, non seulement avec l’hôpital de campagne, mais aussi en recevant les enfants qu’elle a amenés à Tel Aviv pour des soins médicaux urgents et une rééducation pour les aider à marcher à nouveau. Elle commente également la chaleur impressionnante dont les citoyens polonais ont fait preuve dans leur accueil des Ukrainiens fuyant le conflit et la manière dont des pays comme la France ont accueilli les Ukrainiens avec des mesures d’urgence pour trouver un logement et un travail, ainsi que la scolarisation des enfants, afin de les aider à s’intégrer jusqu’au retour de la paix.
Elle n’a pas peur de continuer à pousser la communauté internationale à en faire plus. Si elle salue le soutien militaire du Royaume-Uni à l’Ukraine, elle aimerait également voir un système de visas plus pragmatique, expliquant que les enfants dans des situations aussi urgentes ne peuvent pas attendre à travers de longues procédures. Elle s’est récemment rendue à Londres où elle a eu une réunion très productive sur le sujet avec Lord Harrington, le ministre britannique chargé des réfugiés. “J’ai une voix et je vais certainement l’utiliser pour aider mes compatriotes ukrainiens qui sont dans le besoin, et maintenant nous pouvons voir un premier résultat, le gouvernement britannique va laisser entrer les enfants ukrainiens non accompagnés”, a-t-elle déclaré.
Elle souhaiterait une intervention urgente de l’Europe dans le cas de plus de 3 000 enfants ukrainiens qui auraient été enlevés et emmenés en Russie sans leurs parents. “Nous devons tout simplement les ramener. C’est une situation tellement terrible et il ne fait aucun doute que nous avons besoin d’aide pour ramener ces enfants en Ukraine.”
Elle réfléchit au fait que cette guerre sera probablement longue et que les besoins évolueront. “Nous savons que les emplois et les logements seront vraiment nécessaires. Les Ukrainiens sont très travailleurs et ont de nombreuses compétences à offrir, du secteur informatique à l’industrie de la beauté. Ils sont capables d’apporter une grande contribution aux pays où ils résident temporairement. Mais ils ont besoin de plateformes pour les aider à accéder au travail.”
En ce qui concerne sa fondation caritative, elle envisage une approche à deux volets à l’avenir. “Nous devons continuer à répondre au besoin humanitaire urgent. Mais bien sûr, nous devons aussi avoir l’œil sur la diplomatie, pour mettre un terme à cette guerre. La catastrophe humanitaire est le symptôme, mais la cause profonde est l’agression russe et cela doit cesser.”
Que pense-t-elle de la décision de la Commission européenne d’accorder à l’Ukraine le statut de candidat à l’adhésion à l’UE ? “Je m’en félicite bien sûr et je tiens à remercier tous les États membres de l’UE qui ont accepté de donner à l’Ukraine le statut de candidat à l’adhésion à l’UE. Parce que c’est une étape importante pour appartenir définitivement à la famille européenne et cela nous protégera contre l’invasion russe. Mais la vraie question est de savoir combien de temps il faudra pour passer du statut de candidat à celui de membre. Cette information pourrait avoir un impact énorme en termes de diplomatie. Mais je pense surtout à l’aide dont nous avons besoin pour mettre fin à cette guerre et sauver notre intégrité territoriale. Nous ne voulons vraiment pas perdre notre territoire. L’Ukraine ne veut pas être engloutie par la Russie. Et nous savons que nos amis européens comprennent que, même si nous sommes en première ligne, la nécessité de mettre fin à l’agression russe concerne tous les pays européens. Personne ne croit que le gouvernement russe s’arrêtera à l’Ukraine. S’ils en avaient l’occasion, ils iraient plus loin”.
Alors que notre conversation touche à sa fin, nous discutons de la triste ironie du fait que, alors qu’elle a évacué plus de 1500 personnes d’Ukraine, la propre famille de Julia est toujours à Dnipro. Son frère, âgé de 30 ans, et son père, âgé de 59 ans, sont en âge d’être militaires et servent donc en Ukraine. Sa mère, 53 ans, refuse de quitter l’Ukraine alors que son fils et son mari restent sur place. Elle est médecin et soigne les blessés dans les hôpitaux. Julia explique : “C’est très difficile quand on évacue les gens et qu’on aide tout le monde mais que votre famille reste en Ukraine, je prie pour eux tous les jours”.
Julia termine sur une note touchante et pleine d’espoir. “La plus jeune personne que j’ai évacuée était un petit garçon de dix jours appelé Mark. Il a été évacué en Suède et nous avons été invités à une réunion au parlement suédois. Je ne pouvais m’empêcher de me demander ce que la vie réservait à ce petit garçon – imaginez être à l’intérieur d’un parlement quand vous n’avez que dix jours ! Il semble évident que sa vie sera intéressante et pleine de sens. Quelles que soient les horreurs dans lesquelles ces enfants ukrainiens sont nés, je crois fermement qu’ils feront des choses extraordinaires. Ils ont déjà fait preuve d’héroïsme”.
