La Belgique a restitué lundi à la République démocratique du Congo une dent de Patrice Lumumba ayant valeur de “relique” et devant permettre aux Congolais d’établir un lieu dédié à la mémoire de leur ancien Premier ministre, torturé puis abattu en 1961.
Une cérémonie officielle privée s’est tenue lundi 20 juin à Bruxelles : le procureur fédéral belge a remis aux enfants de l’ancien Premier ministre congolais Patrice Lumumba une dent attribuée à leur père.
“Je vous remercie pour les démarches judiciaires que vous avez entreprises parce que, sans ces démarches, on n’en serait pas là aujourd’hui, cela a permis à la justice de notre pays de pouvoir avancer”, a déclaré Frédéric Van Leeuw en remettant un coffret bleu vif contenant la dent.
Cette restitution doit permettre aux Congolais d’avoir un lieu dédié à la mémoire de leur ancien dirigeant, héros de l’indépendance, torturé puis abattu en 1961. Cet assassinat, suivi de l’élimination du corps, démembré et dissous dans de l’acide, constitue une des pages les plus sombres de la relation entre la Belgique et son ancienne colonie, devenue indépendante le 30 juin 1960.
“Mise en bière”
L’assassinat fait toujours l’objet d’une enquête judiciaire à Bruxelles pour “crime de guerre”, après la plainte déposée en 2011 par François Lumumba, le fils aîné du dirigeant congolais, qui a pointé du doigt les responsabilités d’une dizaine de fonctionnaires et diplomates belges.
La dent est restituée dans le cadre de cette procédure. Le dossier s’était épaissi en 2016 avec une plainte pour “recel”, les proches voyant là l’unique moyen de faire saisir ce reste humain par la justice. La dent avait été conservée comme souvenir par un policier belge ayant participé à la disparition du corps et qui s’en était vanté dans les médias.
L’écrin sera placé dans un cercueil lors d’une “mise en bière” programmée cette fois en présence des Premiers ministres belge et congolais, toujours au palais d’Egmont à Bruxelles, selon le programme officiel.
Des discours seront ensuite prononcés devant le cercueil, avant que ne résonnent les hymnes nationaux des deux pays. À l’issue de la cérémonie, le cercueil sera transporté à l’ambassade de la République démocratique du Congo. Il devrait s’envoler vers Kinshasa mardi soir après un hommage de la communauté afrodescendante à Bruxelles.
“Un martyr de la décolonisation”
Héros de l’indépendance devenu le premier Premier ministre de l’ancien Congo belge (l’ex-Zaïre, aujourd’hui la République démocratique du Congo), Patrice Lumumba a été renversé dès septembre 1960 par un coup d’État. Il a été exécuté le 17 janvier 1961 avec deux frères d’armes par des séparatistes de la région du Katanga, avec l’appui de mercenaires belges.
Perçu comme prosoviétique par Washington en pleine Guerre froide, considéré comme une menace pour les intérêts économiques occidentaux au Congo, il a acquis après sa mort la stature d’un champion africain de l’anti-impérialisme.
“Lumumba devint en un rien de temps un martyr de la décolonisation, un héros pour tous les opprimés de la Terre”, a résumé David Van Reybrouck dans son livre “Congo, une histoire”.
Pour sa famille, il est resté un père ou un grand-père auquel il n’a pas été possible de dire adieu. “Les années passent et notre père demeure un mort sans oraison funèbre”, écrivait en 2020 sa fille Juliana dans une lettre au roi des Belges Philippe, réclamant “le juste retour des reliques”.
“Mémorial Patrice Lumumba”
La restitution doit permettre aux proches d’achever leur deuil et au pouvoir congolais d’ériger un “Mémorial Patrice Lumumba”, en cours de construction à Kinshasa, sur un grand axe où s’élève déjà une statue du héros national.
De source congolaise, une cérémonie d’inhumation doit y être organisée le 30 juin, date anniversaire de l’indépendance. Tout au long de la semaine précédente, le cercueil doit marquer des haltes sur les lieux emblématiques du parcours personnel et politique de l’ancien dirigeant.
“Nouveau moment charnière” dans la relation bilatérale, selon le Premier ministre belge Alexander De Croo, la restitution intervient juste après un voyage de six jours du roi Philippe en République démocratique du Congo début juin, son premier déplacement dans l’ex-colonie, au cours duquel il a réitéré ses “plus profonds regrets” pour les “blessures” de la période coloniale.
Lundi matin, avant la cérémonie de restitution, Philippe doit avoir une entrevue avec les enfants Lumumba au palais royal. Une rencontre forte en symboles pour le descendant du roi Léopold II, dont la monarchie a désormais admis qu’il avait institué à la fin du XIXe siècle au Congo un “régime marqué par le paternalisme, les discriminations et le racisme”.
Avec AFP