Avec 131 sièges de députés, l’union de la gauche emmenée par Jean-Luc Mélenchon devient la première force d’opposition à l’Assemblée nationale et inflige à Emmanuel Macron une défaite en le privant de la majorité absolue. Elle rate cependant son pari de le contraindre à une cohabitation et est confrontée à un avenir incertain.
Donnée pour morte il y a encore six mois, la gauche est de retour. En remportant 131 sièges de députés, dimanche 19 juin, au second tour des élections législatives, la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) – née de l’alliance entre La France insoumise (LFI), Europe Écologie-Les Verts (EELV), le Parti socialiste (PS) et le Parti communiste (PCF) – de Jean-Luc Mélenchon est devenue la première force d’opposition à Emmanuel Macron à l’Assemblée nationale.
Pour l’ancien candidat à l’élection présidentielle, le pari est perdu puisqu’il espérait contraindre Emmanuel Macron à une cohabitation. Mais comme souvent avec Jean-Luc Mélenchon, sa lecture des résultats, dimanche soir, était synonyme de victoire. “La situation est totalement inattendue, absolument inouïe. La déroute du parti présidentiel est totale”, s’est-il exclamé depuis l’Élysée Montmartre. “Nous avons réussi l’objectif politique que nous nous étions donné : en moins d’un mois, faire tomber celui qui, avec tant qu’arrogance, a tordu le bras du pays pour être élu président sans qu’on sache pour quoi faire”, a-t-il ajouté.
La déroute du parti présidentiel est totale.
Nous avons réussi l’objectif politique que nous nous étions donné en moins d’un mois : faire tomber celui qui, avec autant d’arrogance, avait tordu le bras à tout le pays. #NUPES #legislatives2022 pic.twitter.com/HwmkZ2Ag6S
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) June 19, 2022
Même si la majorité n’est pas atteinte pour la Nupes, force est de constater que Jean-Luc Mélenchon a réussi un double tour de force. Il est d’abord parvenu à réunir une gauche divisée depuis des années sur un programme commun en un temps record, lançant derrière cette union une incontestable dynamique. Celle-ci a débouché dimanche soir sur l’élection de 131 députés, selon les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur, qui ont privé Emmanuel Macron d’une majorité absolue au Palais Bourbon – sa coalition Ensemble ! n’obtenant que 245 députés, loin des 289 requis.
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Car si le Rassemblement national a réalisé un score record avec 89 députés, c’est bien la campagne de la Nupes qui a permis de mobiliser les électeurs opposés à la coalition présidentielle sur les enjeux d’un scrutin trop souvent perçu – depuis 2002 et l’inversion du calendrier électoral faisant passer les législatives après la présidentielle – comme une formalité pour le président nouvellement élu. En faisant campagne sur ses propositions – retraite à 60 ans, Smic à 1 500 euros net, blocage des prix, etc. – et en transformant les législatives en un référendum anti-Macron, l’union de la gauche a évité la démobilisation de son électorat, même si une bonne partie des électeurs de gauche du premier tour de la présidentielle se sont finalement abstenus : plus de 11 millions de voix au total pour la gauche le 10 avril contre environ 7 millions le 19 juin.
Des victoires de prestige face à la macronie
Les chefs de file de LFI, d’EELV, du PS et du PCF ne boudaient toutefois pas leur plaisir dimanche soir. D’autant plus que la Nupes peut s’enorgueillir d’avoir infligé des défaites symboliques à la macronie : ses candidats ont mis au tapis Amélie de Montchalin, Jean-Michel Blanquer, Richard Ferrand, Christophe Castaner, Justine Benin ou encore Roxana Maracineanu. Elle a aussi fait élire des personnalités issues de la société civile au parcours atypique comme la femme de chambre Rachel Keke.
Pour célébrer ces succès, Julien Bayou (EELV), lui aussi présent à l’Élysée Montmartre, a fait applaudir toutes les composantes de la Nupes, et a rendu hommage à LFI : “Vous pouvez les applaudir car ce sont évidemment les insoumis, en premier lieu, qui ont permis cette coalition.”
Pour la numéro 2 du PS, Corinne Narassiguin, également sur scène, “notre stratégie d’alliance a fonctionné, on va presque tripler le nombre de représentants de gauche, et l’intergroupe va devenir la première force d’opposition”. Au PS, “on a fait le bon choix, on a répondu à l’attente des électeurs qui voulaient l’union”, “à leurs yeux on s’est ré-ancrés à gauche”, a-t-elle ajouté.
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Ian Brossat, le bras droit du communiste Fabien Roussel, réélu comme son homologue socialiste Olivier Faure et toutes les figures majeures de la gauche qui se sont présentées, est quant à lui convaincu : “Le président de la République va devoir renoncer à beaucoup de ses réformes de régression sociale. En tout cas, il n’y aura pas de majorité pour voter la retraite” à 65 ans.
“La réalité c’est que ce n’est pas l’ambition qu’on avait”
La question de l’avenir de la Nupes à court et moyen terme est toutefois posée. L’union de la gauche va-t-elle se disloquer et donner raison à ses opposants qui n’y ont vu qu’une alliance de circonstances ou bien celle-ci va-t-elle se pérenniser dans le temps ? La perspective d’obtenir le statut officiel de premier groupe d’opposition au Palais Bourbon – et les prérogatives qui vont avec comme une vice-présidence de l’Assemblée nationale et la présidence de la commission des finances – devant les 89 députés du RN pourrait inciter la gauche à créer un vrai groupe Nupes plutôt qu’un simple “inter-groupe” non officiel comme évoqué jusqu’ici.
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Mais, d’un côté, la Nupes risque de subir les assauts d’un Emmanuel Macron tentant d’attirer dans ses filets des députés PS et EELV pas complètement à l’aise avec un leadership de la gauche désormais porté par LFI. Et de l’autre, le patron du PCF, Fabien Roussel, n’a jamais donné l’impression d’avoir les deux pieds pleinement dans l’union. L’ancien candidat communiste à la présidentielle était ainsi parti avant le discours de Jean-Luc Mélenchon, le 7 mai, lors du meeting de lancement de la Nupes, puis a systématiquement manqué les événements réunissant les quatre partis, se faisant le plus souvent représenter par Ian Brossat. Fabien Roussel avait également pris ses distances avec les propos de Jean-Luc Mélenchon sur la police qui “tue”. Et dimanche soir, il n’a pas manqué de souligner, sur France 3, les limites de la Nupes, qui “ne parle qu’à une partie de la France, celle des villes et non celle de la ruralité”.
D’autres ont également émis des bémols sur les résultats de leur coalition. “On avait ambitionné d’avoir une force politique bien plus importante que ce qu’on nous donne comme résultat ce soir. Quand on prévoit d’essayer d’avoir le Premier ministre et le gouvernement, qu’on espère a minima 200 députés, et qu’on en a à l’arrivée 150, la réalité c’est que ce n’est pas l’ambition qu’on avait”, a commenté sur franceinfo l’ancien patron d’EELV, David Cormand.
“Nous sommes la deuxième force mais ce n’est pas suffisant, nous avions espéré mieux mais c’est un résultat encourageant”, a estimé de son côté le premier secrétaire du PS Olivier Faure, qui a été réélu.
Reste enfin le suspense entourant le rôle et la place de Jean-Luc Mélenchon, qui n’était pas candidat à sa réélection, au sein de la gauche dans les mois et années à venir. “Quant à moi, je change de poste de combat, mais mon engagement est, demeurera, jusqu’à mon dernier souffle, dans les premiers de vos rangs, si vous le voulez bien”, a lancé le leader de la Nupes lors de son discours dimanche soir. Une déclaration des plus énigmatiques qui laisse toutes les portes ouvertes, y compris celle, même s’il avait promis le contraire, d’une nouvelle candidature à l’élection présidentielle en 2027.