Le retour en Côte d’Ivoire de l’ancien président Laurent Gbagbo, le 17 juin 2021, ouvrait la voie à une opposition franche au parti du chef de l’État Alassane Ouattara. Un an plus tard, le rapprochement entre les différents partis ivoiriens, à la faveur du projet de réconciliation nationale, suggère le contraire. Où en est l’opposition, un an après le retour de Laurent Gbagbo ?
Le 17 juin 2021, jour du retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, le quartier de Yopougon était en ébullition. Mais aujourd’hui, l’ambiance est bien plus calme dans les rues de ce quartier populaire d’Abidjan, fief de l’ancien président ivoirien. Raphaël s’en félicite : “Nous on veut la paix, c’est le plus important.” Cet ex-policier du quartier de Niangon profite de sa nouvelle vie à Abidjan depuis son retour du Togo où il est resté après 11 années en exil.
Sympathisant du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, il avait dû fuir le pays en 2011. Raphaël est revenu en novembre 2021, cinq mois après le retour de son idole. Un retour synonyme pour lui d’un nouveau chapitre à écrire : “Une fois que Laurent Gbagbo est rentré, c’était le signe que notre sécurité était assurée, je suis donc rentré avec ma femme.”
Adama Bictogo, une figure décriée élue à la quasi unanimité
En juin 2021, le retour de Laurent Gbagbo incarnait une promesse d’apaisement pour la Côte d’Ivoire. Cet événement devait aussi marquer la naissance d’une opposition forte au président Alassane Ouattara et à son parti, le RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix ). Un espoir nourri par l’enthousiasme des soutiens de Laurent Gbagbo qui avaient déferlé le 17 juin dans les rues de la capitale économique ivoirienne.
Le rapprochement avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de Henri Konan Bédié en juillet, puis la création du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) en octobre, marquaient des avancées vers l’instauration d’une opposition franche à l’actuel gouvernement.
Cependant, le vote du 7 juin dernier révèle une autre dynamique. Ce jour-là, les principaux partis d’opposition – y compris le PPA-CI de Laurent Gbagbo – se sont alignés sur le parti présidentiel pour faire élire, à la quasi unanimité (97,5 % des suffrages), Adama Bictogo à la présidence de l’Assemblée nationale. Une figure pourtant décriée par l’opposition, en particulier pendant la campagne présidentielle de 2020.
Alassane Ouattara en posture “hégémonique”
Un vote que les différents partis expliquent par la volonté d’accompagner le projet de réconciliation nationale conduit par le Premier ministre Patrick Achi. Dans un entretien à France 24, Adama Bictogo se félicite de ce vote, y voyant le signe “d’un contexte apaisé (…) qui doit nous amener à la paix”. Même son de cloche au sein du parti de Laurent Gbagbo : pour le député Lanciné Soumahoro, il s’agit d’un acte qui “prouve que l’opposition prend ses responsabilités en ce qui concerne la paix sociale”.
Pourtant, les observateurs politiques contactés par France 24 perçoivent dans ce vote unanime une faiblesse de l’opposition. “Le PPA-CI de Laurent Gbagbo a les pieds et poings liés. Laurent Gbagbo ne touche pas sa retraite présidentielle, de nombreux militants sont encore en prison. S’ils souhaitent obtenir quelque chose, ils ont tout intérêt à faire profil bas”, souligne l’analyste politique Sylvain N’Guessan. “Ouattara est en posture hégémonique dans l’arène politique. Il a réussi à neutraliser ses adversaires”, renchérit Rodrigue Koné, politologue à l’Institut d’études de sécurité (ISS).
La séparation d’avec Simone Gbagbo et le FPI
Les choix faits par l’ancien président depuis son retour pourraient en partie expliquer cette situation : “La séparation d’avec sa femme, Simone Gbagbo et son ancien parti, le FPI dirigé par Pascal Affi N’Guessan, auront contribué à émietter le camp Gbagbo. Pourtant, s’ils se rassemblaient et parvenaient à faire alliance avec les autres partis d’opposition, il auraient des chances de renverser la table”, analyse Rodrigue Koné.
La demande de divorce de son épouse et cofondatrice du parti, Simone Gbagbo, quelques jours après son retour en Côte d’Ivoire, aura démobilisé une partie des soutiens de Laurent Gbagbo : “Cela amène les uns et les autres à se poser des questions. Ils se disent : ‘s’il est prêt à se séparer d’Affi Nguessan et de Simone Gbagbo, qu’en sera-t-il pour nous ?’”, observe Sylvain N’Guessan.
Un nouveau parti en construction
Chez les partisans de Laurent Gbagbo, les anciens GOR – Gbagbo ou rien –, l’heure n’est pas aux alliances mais à la construction de ce nouveau parti, le PPA-CI. “On vient de loin. Le président était déporté, beaucoup de militants ne sont plus parmi nous. Aujourd’hui, nous avons une nouvelle structure, il faut donc tout reconstruire”, précise Éric, délégué de section locale.
Depuis sa création en octobre 2021, le mot d’ordre est à la reconstruction et au recrutement. Les unes des journaux affiliés à Laurent Gbagbo soulignent chaque jour la dynamique du parti, en particulier parmi les jeunes. “Laurent Gbagbo construit sa popularité avec des idées panafricaines, des discours qui ont le vent en poupe actuellement en Afrique auprès de la nouvelle génération”, observe Rodrigue Koné. Une dynamique à observer avec prudence : “Sans moyens, sans financement, c’est compliqué. S’il y avait un tel enthousiasme, ça se saurait”, nuance l’analyste Sylvain N’Guessan.
La loi sur la limitation des mandats
En attendant la structuration du nouveau parti, difficile pour le PPA-CI de se positionner sans savoir si Laurent Gbagbo pourra être candidat en 2025. Depuis un an, les regards sont tournés vers une loi limitant l’âge des prétendants à la présidentielle et qui constitue le point d’interrogation majeur de la politique ivoirienne. Cette loi sera discutée en début d’année prochaine à l’Assemblée nationale. Si elle était votée, elle écarterait Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié de la prochaine course à la présidence. Elle sera sans aucun doute évoquée lors de la rencontre entre les trois hommes, annoncée par Adama Bictogo à France 24.