Une nouvelle procédure d’obtention des visas pour les candidats au grand pèlerinage de la Mecque pourrait mettre de nombreuses agences de voyages occidentales sur le carreau et empêcher des milliers de pèlerins français d’accomplir le cinquième pilier de l’islam. Certains observateurs saluent toutefois une initiative destinée à mettre fin aux abus qui gangrènent le business du Hajj.
C’est une petite révolution dans l’organisation du pèlerinage de la Mecque. Après deux éditions interdites aux étrangers pour cause de pandémie de Covid-19, le Hajj 2022 aura lieu du 7 juillet au 12 juillet avec un tout nouveau système de demandes de visas pour les croyants originaires des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, d’Europe et d’Australie.
Pour espérer accomplir le cinquième pilier de l’Islam, les musulmans vivant dans ces pays occidentaux sont passés cette année par la plate-forme numérique Motawif, la seule habilitée à fournir par tirage au sort des visas pour le Hajj. Les candidats devaient remplir deux conditions pour valider leur inscription : être vaccinés contre le Covid-19 et être âgés de moins de 65 ans.
Alors que les derniers résultats de cette loterie aux visas sont attendus le 18 juin, des milliers de musulmans français craignent de manquer le pèlerinage cet été. Car il n’y aura pas de places pour tout le monde : le quota 2022 de pèlerins français a été fixé à 9 200, contre plus de 20 000 habituellement.
Agences de voyages hors-jeu
Jusqu’à présent, les visas étaient accordés par les autorités du royaume wahhabite par l’intermédiaire d’agences de voyage privées. Avec Motawif, ces entreprises se retrouvent brutalement évincées de l’organisation du pèlerinage.
La Coordination des organisateurs agréés Hajj de France (CHF), qui regroupe 70 sociétés, a exprimé début juin dans un communiqué son “incompréhension de cette démarche troublante et comportant des risques très importants quant au bon déroulement du pèlerinage au départ de la France”.
“Les agences sont dans une phase où elles n’arrivent plus à se projeter. On part sur des situations de quasi faillites pour plusieurs d’entre elles”, explique un responsable cité par SaphirNews, site spécialisé dans l’actualité du monde musulman.
Cependant, l’initiative saoudienne n’est pas une surprise totale pour les agences. “Cela fait plusieurs années que cette réforme du pèlerinage se prépare, mais les agences ne s’attendaient pas à une décision aussi soudaine, et surtout pas à la dernière minute”, explique Leïla Seurat, chercheure associée à l’Observatoire des mondes arabes et musulmans (Omam), autrice d’une étude sur le marché du pèlerinage à La Mecque.
Escroqueries à La Mecque
Selon une source saoudienne citée par l’AFP, ce nouveau système d’attribution des visas a pour objectif de lutter contre les escroqueries de “fausses agences” qui s’emparent de l’argent de pèlerins.
Des arnaques et pratiques commerciales trompeuses que dénoncent en France, depuis 2015, Omar Dakir, président de l’Association culturelle d’entraide et de fraternité (Acef). Il cite en exemple des “agences non immatriculées qui vendent des forfaits à des prix exorbitants et obtiennent des visas avec la complicité d’agences agrées”.
Selon lui, le nouveau système mis en place par les autorités saoudiennes est “une excellente nouvelle” pour faire le ménage dans ce business du Hajj. “Pendant des années, on a parqué des citoyens français de confession musulmane dans des avions et des hôtels, sans garanties financières ni protection juridique. C’est de la mise en danger de la vie d’autrui”, estime Omar Dakir.
“Pour le coup, les Saoudiens normalisent et rendent beaucoup plus transparent le système, alors que beaucoup d’argent circulait au noir”, affirme de son côté Didier Leschi, ancien chef du bureau central des cultes au ministère français de l’Intérieur, auprès du site d’actualité religieuse La Croix Africa.
Côté prix, trois forfaits sont disponibles pour les musulmans résidant dans la zone occidentale et s’échelonnent de 6 200 euros à 9 900 euros pour des séjours d’environ trois semaines.
Reprise en main
En supprimant des intermédiaires, le royaume saoudien cherche également à maximiser les revenus colossaux générés par le tourisme religieux ainsi qu’à diversifier son économie.
Avant la pandémie, les deux principaux pèlerinages musulmans, le Hajj et la Oumra, rapportaient quelque 12 milliards de dollars (10,2 milliards d’euros) par an à l’Arabie saoudite.
“L’Arabie saoudite veut reprendre en main ce marché pour bénéficier directement des échanges avec le pèlerin. Cette réforme s’inscrit dans le plan Vision 2030 qui a pour objectif de développer le tourisme afin de préparer l’après-pétrole”, analyse Leïla Seurat de l’Omam.
Reste à savoir si les Saoudiens seront capables de se substituer aussi facilement aux agences occidentales, alors que subsistent de nombreux points d’interrogation sur la nouvelle organisation et l’accompagnement dont bénéficieront les fidèles. “Les agences occidentales jouent sur la peur des gens en affirmant qu’il n’y aura pas de guides sur place, mais c’est complètement faux”, rétorque Omar Dakir, le président de l’Acef.
“Il n’y aura plus de cohésion au sein de groupes de pèlerins français qui voyagent ensemble”, précise toutefois Leïla Seurat. “Les tentes [dans lesquelles dorment les pèlerins à Mina après la Mecque] étaient organisées en fonction de la nationalité. C’est difficile de savoir comment ils feront cette année. Cela risque d’être un sacré pataquès”.
Pour cette édition 2022, l’Arabie saoudite a autorisé la venue d’un million de pèlerins étrangers ou nationaux, contre 2,5 millions avant la pandémie de Covid-19.