Pendant quatre longues minutes, des femmes sont brutalement passées à tabac par un groupe d’hommes. La scène se passe le 10 juin dans un restaurant de Tangshan, dans la province du Hebei, au nord-est de la Chine. Filmée par des caméras de surveillance, l’agression a ravivé le débat sur les violences faites aux femmes en Chine.
La scène est filmée par deux caméras de surveillance, l’une située à l’intérieur et l’autre placée dans la terrasse du restaurant. La vidéo pouvant choquer, nous avons décidé d’en diffuser uniquement des captures d’écran.
Sur la vidéo, on voit un homme qui porte une veste kaki toucher le dos d’une femme vêtue de blanc, qui est en train de manger avec deux amies. Celle-ci le repousse par deux fois de la main, avant qu’il ne la frappe au visage. S’ensuit une escalade de violence : la femme en blanc et son amie tentent de se défendre en lui jetant des bouteilles au visage. Plusieurs hommes rejoigne alors précipitamment la scène et frappent les deux femmes : l’une est battue avec une chaise, l’autre est traînée par les cheveux à l’extérieur du restaurant alors qu’elle est rouée de coups.
Une deuxième caméra de surveillance filme la suite de la scène à l’extérieur du restaurant. Une fois dans la terrasse, les hommes continuent de s’acharner sur une des femmes, lui assénant coups de poings et coups de pied. Tout au long de la scène, des femmes qui tentent d’intervenir se font également violenter. L’une d’elle est projetée sur des escaliers devant le restaurant.
Neuf hommes impliqués dans l’affaire ont été arrêtés au 13 juin selon le Global Time qui précise également que deux des victimes, transférées à l’hôpital, se trouvaient dans un état stable. Dans les médias chinois et en ligne l’affaire a notamment été lié aux gangs qui sévissent à Tangshan.
Mais sur les réseaux sociaux chinois, la vidéo a surtout relancé le débat autour des violences faites aux femmes en Chine.
Sur Weibo (équivalent de Twitter en Chine), les hashtags liés à la vidéo de l’agression ont rassemblé des centaines de millions de vues dans le week-end du 11 au 12 juin.
Ces images montreraient avant tout, pour plusieurs utilisateurs, que les violences basées sur le genre sont encore trop communes en Chine. “Le problème fondamental de cet incident est le statut social des femmes chinoises ” souligne un commentaire très populaire sur Weibo, qui a généré 146 000 mentions “j’aime”.
Solidarité en ligne
Beaucoup de femmes s’identifiant à celles dans la vidéo ont exprimer leur solidarité sur Weibo :
Ce n’étaient que des amies qui s’étaient retrouvées après le travail et qui ont été violemment frappées pour avoir refusé d’engager une conversation. Si on ne dis rien aujourd’hui, on sait très bien qui sera la prochaine.
J’aime manger des grillades au restaurant : alors ça pourrait être moi. J’aime faire la fête avec mes amies, alors ça pourrait être moi. Si je me fais harceler et que je résiste, ça pourrait m’arriver. Je ne sais pas me défendre, alors ça pourrait être moi !
“Le problème fondamental de cet incident est le statut social des femmes chinoises”,
Certains ont aussi pointé la passivité des certaines personnes présentes sur les lieux au moment de l’agression. “Aucun homme ne se lève pour aider les filles” peut-on lire dans un commentaire. “ Pourquoi aucune des personnes autour n’appelle la police ?” s’interroge un autre.
Sur Weibo, des utilisateurs ont essayé de trouver des circonstances atténuantes aux agresseurs, soulignant par exemple le fait qu’ils étaient en état d’ébriété, ou que les femmes agressées leur aient rendu les coups dans un premier temps. De nombreuses femmes sont montées au créneau pour dénoncer ces arguments.
Une utilisatrice compare ainsi ceux qui tiennent ce genre de discours aux hommes passifs sur la vidéo qui regardent la scène:
J’ai passé la nuit sur Weibo, je n’ai pas vu un seul homme exprimer un sentiment de honte (…). Certains se sont empressés de prendre leurs distances, conseillant aux femmes de ne pas répondre en cas d’agression (…).
J’ai alors compris pourquoi des dizaines d’hommes dans le restaurant pouvaient rester sans bouger et regarder sans broncher plusieurs filles se faire violemment battre. Ce à quoi ils pensaient est à l’image du discours de [certains] hommes sur Internet.
Ce petit barbecue rassemblait-t-il une dizaine d’hommes parmi les pires et les plus indifférents du pays ? Non, ils sont juste l’incarnation d’une idéologie masculine, le patriarcat (…)”
Plusieurs internautes dénoncent, comme cette utilisatrice, un problème de société plus profond. Comme dans ce commentaire sur Weibo :
“Pourquoi apprendre aux filles à se protéger ? Cette société devrait apprendre aux garçons à respecter les femmes (…).”
Dans les jours qui ont suivi l’incident, les appels au respect des femmes se sont multipliés sur Weibo. Mais en parallèle, plusieurs utilisateurs ont appelé à éviter une lecture genrée de l’événement, soutenant que cela aurait pu arriver “à des hommes comme à des femmes” et sommant d’éviter une “guerre des sexes”. Cette grille de lecture qui met particulièrement en avant la question du crime en bande organisée semble par ailleurs être privilégiée par les autorités locales.
Le débat compliqué des violences faites aux femmes
Les violences faites aux femmes font régulièrement l’actualité en Chine. En janvier 2022, le sort d’une femme enchaînée par son mari avait mis en ébullition les réseaux sociaux, et poussé le premier ministre Li Keqiang à s’engager à mettre fin au trafic des femmes et des enfants dans le pays
Le débat autour des violences faites aux femmes doit toutefois composer avec la censure. Sur les réseaux sociaux, plusieurs hashtags liés au féminisme sont censurés. Et certaines femmes, qui ont accusé des hommes influents de violences sexuelles, sont réduites au silence. Dans le débat qui a suivi la diffusion de la vidéo dans le barbecue, Weibo a également annoncé avoir suspendu près d’un millier de comptes, qui entre autre alimentait la guerre des genres rapporte le New York Time.
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En février dernier, il était ainsi devenu impossible d’évoquer Peng Shuai, la joueuse de tennis qui a accusé l’ex-vice-premier ministre Zhang Gaoli de viol. Elle avait même totalement disparu de la vie publique suite à cette affaire, avant de réapparaître et nier qu’elle avait formulé de telles accusations.