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Luuk van Middelaar : “L’UE s’est transformée pendant cette décennie de crises”

Ici l’Europe prend un peu de recul sur l’UE et les crises qu’elle traverse avec Luuk van Middelaar, philosophe politique et théoricien, une voix qui compte dans le débat européen. Conseiller politique du président du conseil européen Herman Van Rompuy de 2010 à 2014, il a récemment écrit sur les effets de la pandémie et sur le réveil géopolitique de l’Europe.

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Interrogé sur le climat actuel au sein de l’Union européenne, le philosophe s’est montré optimiste : “Je pense que l’UE s’est impressionnée elle-même. Cette organisation régulatrice qui a l’habitude de travailler lentement, avec des règles, a su agir dans le moment, improviser dans des situations de danger pour parer des chocs : choc économique, pandémie. L’UE s’est transformée pendant cette décennie de crise, elle a vécu une vraie métamorphose.”

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Mais selon Luuk van Middelaar, “le réveil géopolitique de l’Europe est rude. L’année dernière, je parlais déjà du conflit entre la Russie et la Crimée, de la crise des migrants à nos frontières, du choc qu’a été l’élection de Donald Trump aux États-Unis qui était aussi un réveil pour les Européens qui se sont rendus compte qu’un jour, il leur faudra prendre leurs responsabilités pour leur sécurité”, explique-t-il. “Le choc du 24 février est d’un autre ordre. C’est une guerre terrestre, classique, tout près. Les gens ont peur. Mais les opinions publiques se sont mobilisées. Ça témoigne d’un grand mouvement de solidarité qui est impressionnant.”

“Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer ce qui a été fait dans une unité et une détermination remarquable, assure-t-il. Avant le 24 février, il y avait bien sûr des divergences de point de vue, en fonction des géographies et des dépendances énergétiques. Mais ce n’est évidemment pas la même chose si on est dépendant du gaz russe à 100 % ou à 10 %.”

Armes à l’Ukraine et sécurité européenne

Au sujet de la récente décision de l’UE de livrer des armes à l’Ukraine, l’auteur de “Pandémonium” reconnaît qu’il s’agit “d’un revirement majeur” : “L’UE a été construite comme un projet de paix. C’est à dire qu’au sein de l’UE et à Bruxelles, on a banni tout discours de puissance et de pouvoir. C’était quasi interdit d’utiliser ces mots-là dans des discours officiels. Là, on vient de loin pour passer à cet acte de livrer des armes, ou du moins de les financer. On sort de cette neutralité, de cette idée que l’UE est en dehors du jeu politique, qu’elle n’est pas une puissance parmi les puissances.”

Alors que le chancelier allemand Olaf Scholz a récemment annoncé que le pays allait investir 100 milliards d’euros dans son armée, le philosophe politique constate que l’Europe “avait négligé la sécurité et la défense. Je crois que le revirement allemand est fondamental, plus que pour les autres pays”.

Et Luuk van Middelaar de poursuivre : “Pour l’Allemagne, c’était une mentalité d’être dans le monde et de tout miser sur la politique économique et le commerce. Ce qu’Olaf Scholz a annoncé, c’est vraiment important. Ça veut dire aussi que des pays qui traînent un peu en queue de peloton ne pourront plus se cacher derrière l’Allemagne, ils devront aussi dépenser plus. L’argent ne sert pas à grand-chose si on ne réussit pas à mieux intégrer tous ces efforts avec des projets de coopération coordonnés par l’Otan ou l’UE. Il faut vraiment qu’on puisse tirer profit collectivement de ce qu’on investit ensemble.”

“Renforcer” la défense européenne

Autre revirement de ces dernières semaines en Europe, la récente demande d’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan. “Ce qui est très intéressant dans cette crise, c’est que les Européens sont très pragmatiques. Ils veulent renforcer toutes les structures de sécurité, UE et Otan. Après deux siècles de neutralité, l’adhésion de la Suède est fondamentale”, analyse Luuk van Middelaar.

“Mais il y a aussi un mouvement inverse dont on a moins parlé”, poursuit-il en prenant le cas du Danemark. “(Ce dernier), un pays atlantiste, très solidement intégré dans l’Otan, n’aimait pas du tout la défense de l’UE. Il avait fait un référendum contre au moment du traité de Maastricht et avait refusé de participer aux nouvelles structures de défense. Ce même Danemark va avoir un référendum le 1er juin pour intégrer la défense de l’UE.”

Selon Luuk van Middelaar, “l’Otan et l’UE vont plus se chevaucher en termes d’appartenance, des pays qui participent. Il y aura des frontières plus dures entre les blocs, il n’y aura plus de pays neutres comme pendant la Guerre froide. La ligne est plus nette, plus ferme, ce qui posera un jour aussi un défi supplémentaire pour l’Ukraine qui devra trouver sa place dans ce continent européen.”

L’Ukraine, l’UE et l’Otan

Une adhésion qui pose d’ailleurs toujours la question de celle de l’Ukraine. “C’est très difficile pour l’Ukraine d’intégrer l’UE sans intégrer l’Otan. Tous les anciens pays de l’ancien bloc de l’Est ont tous intégré l’Alliance atlantique avant de devenir membre de l’UE”, rappelle Luuk van Middelaar. “La Pologne c’était cinq ans avant, par exemple. Il n’y a pas d’adhésion express possible pour l’Ukraine. Comme l’a dit Emmanuel Macron à Strasbourg le 9 mai, cela prendra des années voire des décennies. En attendant, il faudra bien faire autre chose, trouver un lieu où l’Ukraine et les autres pays qui ont vocation à entrer dans l’UE puissent se retrouver avec les 27 pour discuter des sujets politiques et sentir qu’ils font partie des États démocratiques et européens.”

“Une prudence et un certain sang-froid sont les bienvenus. Nous sommes dans une guerre dangereuse, avec une adversaire qui est une puissance nucléaire redoutable. Il est important de réfléchir aux pas qu’on fait et c’est le cas du président français et du chancelier allemand, qui continuent de parler avec Vladimir Poutine”, explique Luuk van Middelaar. “Trouver l’équilibre entre éviter le pire et donner des gages et un soutien massif à l’Ukraine. C’est une position que portent la France et l’Allemagne ensemble, mais ça me parait être une position et un point de vue importants.”

Émission préparée par Sophie Samaille, Georgina Robertson, Perrine Desplats et Isabelle Romero.

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