Des blogueurs russes suivis par des centaines de milliers d’abonnés publient des vidéos depuis la ville de Marioupol, dans le sud-est de l’Ukraine. Embarqués dans des unités de soldats russes, ils filment les intenses combats qui y font rage depuis plusieurs semaines. Sur Telegram, leurs vidéos véhiculent un récit pro-Kremlin de la guerre, frôlant parfois la désinformation.
Des habitants de Marioupol remerciant les soldats russes pour avoir “libéré” leur ville, des militaires russes confiants et positifs : c’est ce que l’on peut voir sur les chaînes Youtube et Telegram de “War Gonzo”. Dans une vidéo publiée le 20 avril 2022, des soldats russes passent le bonjour à leurs familles et se félicitent d’éliminer des “Banderovtsy”, un terme péjoratif utilisé pour désigner les nationalistes ukrainiens.
La vidéo a été publiée sur la chaîne Telegram “War Gonzo” le 20 avril et a été filmée à Marioupol.
La chaîne Telegram “War Gonzo” est gérée par Semyon Pegov, un ancien journaliste pour la chaîne de télévision russe Life News dans le Donbass, dans l’est de l’Ukraine. À partir de 2017, il est devenu blogueur de guerre, avec aujourd’hui 800 000 abonnés sur Youtube et plus d’un million sur Telegram. Il a notamment couvert les manifestations en Biélorussie contre le président Loukachenko en août 2020 et la guerre dans le Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en automne 2020.
Son terrain de prédilection reste le Donbass : en février 2020, il a réalisé un documentaire sur la bataille de Debaltseve, ville passée sous contrôle des forces séparatistes en 2015. Le film lui a valu d’être félicité par le dirigeant de la république autoproclamée de Donetsk (DNR), Denis Pouchiline, qui a assisté à la projection. Aujourd’hui, Semyon Pegov est embarqué dans le bataillon “Somalie” des forces armées de la DNR, dont il partage le quotidien sur sa chaîne Telegram.
“Ces personnes donnent une représentation erronée de nombreux événements”
Jack Margolin est directeur de projet au centre de recherche américain Center for advanced defence studies (C4ADS). Selon lui, les vidéos publiées par “War Gonzo” se situent parfois à la frontière entre reportage et désinformation :
On y trouve un mélange de reportages authentiques et d’informations complètement fabriquées. Des vidéos publiées par “War Gonzo” montrent par exemple un des bataillons séparatistes accueillis par des habitants en liesse à l’entrée de Donetsk. Ils brandissent des drapeaux de la DNR, mais ils brandissent aussi des drapeaux d’une association locale très active dans la propagande pro-russe. Cette association a probablement aidé à rassembler ces gens.
Une vidéo publiée le 21 avril sur la chaîne Telegram “War Gonzo” montre des militaires pro-russes accueillis par les habitants à l’entrée de Donetsk.
Dans ce reportage publié par “War Gonzo”, on peut voir les habitants brandir des drapeaux blancs avec un logo bleu et rouge (à la 23e seconde, puis de nouveau à la 38e seconde). Il s’agit de drapeaux de l’organisation de société civile “Jeune République”, une association qui organise des projets patriotiques en soutien aux vétérans et combattants des forces armées de la république autoproclamée de Donetsk.
Parfois, c’est plus subtil : il peut simplement publier des informations de façon sélective. Il a la chance d’être embarqué dans une unité militaire qui rencontre des succès, et qui opère à Marioupol dans une zone où la Russie a l’avantage. Pour cette raison, il arrive à présenter une image très positive de la guerre.
“War Gonzo” n’est pas le seul blogueur de guerre sur le terrain en Ukraine. Vladlen Tatarsky, un ancien soldat russe ayant combattu dans le Donbass en 2014, anime une importante communauté sur Youtube, publiant des vidéos depuis les zones de combats auxquels il participe.
Ils écrivent des livres, vendent des produits dérivés, ils gagnent de l’argent en faisant cela. Ainsi, il est rentable pour eux de dramatiser la guerre, et de mettre en valeur le danger dans lequel ils se trouvent, le danger du conflit.
Dans cette vidéo publiée le 1er mai sur la chaîne Telegram “War Gonzo”, on peut voir Semyon Pegov faire signe à un militaire d’actionner son lance-roquettes, avant de se tourner pour parler face à la caméra.
Il faut donc faire extrêmement attention. Ces personnes donnent une représentation erronée de nombreux événements. Mais ils sont parfois aussi une fenêtre utile sur des choses que l’on ne pourrait pas voir autrement.
Après deux mois d’intenses combats, la ville de Marioupol est désormais largement contrôlée par les forces armées russes. Des milliers de combattants du bataillon Azov de l’armée ukrainienne sont encore retranchés dans l’usine Azovstal. Les derniers journalistes indépendants ont été forcés de quitter la ville fin mars, rendant plus difficile l’accès à des informations du terrain.
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