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Sur les côtes anglaises, des citoyens britanniques guettent les bateaux de migrants





Depuis les côtes anglaises, ces citoyens britanniques à l’affût des bateaux de migrants – InfoMigrants































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Des embarcations utilisées par des migrants pour traverser la Manche, dans le porte de Douvres, fin avril 2022. Crédit : InfoMigrants
Des embarcations utilisées par des migrants pour traverser la Manche, dans le porte de Douvres, fin avril 2022. Crédit : InfoMigrants

Les côtes du Kent, au Royaume-Uni, sur lesquelles s’échouent les embarcations de migrants ayant traversé la Manche, sont devenues des points d’observation pour citoyens anxieux. Si certains arpentent les falaises pour venir en aide aux canots qu’ils repèrent au large, d’autres les comptabilisent pour “avertir” les médias. Ils redoutent ces arrivées comme on craint un envahisseur. Reportage.

Charlotte Oberti, envoyée spéciale dans le Kent.

Sur la ligne d’horizon, une bande de terre se détache. “Regardez, on distingue très bien la France”, pointe Bridget Chapman, le regard au loin, yeux plissés en cette journée ensoleillée. Cette Londonienne pure jus vient régulièrement se balader sur les hauteurs de Folkestone, petite ville du comté du Kent, dans l’extrême sud-est de l’Angleterre, où elle s’est établie, il y a plusieurs années, à la surprise de son entourage.

“On m’a dit : ‘Mais que vas-tu faire là-bas ?’, rit-elle, mais moi j’aime cet endroit, c’est calme et il y a la mer.” La mer, celle-là même qui amène des migrants auprès de Bridget Chapman, membre de Kent Refugees Action Network (KRAN), une organisation qui vient en aide aux jeunes exilés interceptés dans la Manche.

Les célèbres falaises blanches de Douvres sont visibles depuis le large. Crédit : InfoMigrants
Les célèbres falaises blanches de Douvres sont visibles depuis le large. Crédit : InfoMigrants

Le Kent, de par sa proximité avec la France, est l’unique porte d’entrée en Angleterre pour ceux qui tentent la traversée de la Manche. Ils étaient plus de 28 000 à débarquer en 2021, déjà près de 7 000 en 2022.

Finie, ou presque, l’époque où les migrants se cachaient à l’arrière de camions pour rejoindre le Royaume-Uni : depuis 2018, ils optent de plus en plus pour des passages à bord de canots, solution extrêmement dangereuse mais qui a l’avantage de contourner la très haute sécurité mise en place aux abords de l’Eurotunnel et autres terminaux de ferries dans la région de Calais.

Outre-Manche, depuis ces centaines d’arrivées, il ne règne plus la même ambiance sur les sentiers côtiers ouverts aux embruns. À la tranquillité apparente, se mêle désormais une angoisse sourde : celle de voir arriver des migrants, voire d’être témoin d’un drame. Alors, à l’image de Bridget Chapman, des citoyens “inquiets” ont débarqué dans la région ces dernières années.

Éviter que la Manche ne devienne “un immense cimetière”

Steven Martin, par exemple, un chercheur de 37 ans résidant à Cambridge, à près de 200 kilomètres de là, a lancé en 2020 une équipe de patrouilleurs des côtes. Méfiant envers les autorités et leur capacité à gérer correctement les arrivées de migrants, il a mis sur pied Channel Rescue (“les sauveteurs de la Manche”), une équipe de veilleurs volontaires, dont les rangs ne finissent pas de grossir. De 25 en 2021, ils sont passés à plus de 100 cette année.

>> À (re)lire : “C’est impossible de penser au futur” : en Angleterre, l'”hostilité” d’un système d’accueil ultra verrouillé

“On patrouille sur la côte, de Deal à Dungeness”, indique-t-il, précisant être déterminé à ce que la Manche ne devienne pas “un immense cimetière”, comme la Méditerranée. Le long de ces quarante kilomètres, les équipes prennent place au petit matin, munies de jumelles et de longues vues, épiant la mer. Le but : prévenir les garde-côtes en cas de besoin et s’assurer que les droits des migrants interceptés sont respectés.

Les militants pro et anti-migrants arpentent la côte du Kent, depuis Deal jusqu'à Dungeness. Crédit : Google map
Les militants pro et anti-migrants arpentent la côte du Kent, depuis Deal jusqu’à Dungeness. Crédit : Google map

Leurs craintes ne sortent pas de nulle part : les autorités britanniques ont maintes fois exprimé leur réticence à accueillir ces migrants et, même, leur volonté de repousser hors des eaux britanniques les embarcations de migrants. Le 26 avril, contre toute attente, Londres a abandonné ce dernier projet.

“On va te jeter de la falaise”

Les patrouilles de Channel Rescue ne sont pas organisées au hasard. “96 % des passages ont lieu quand les vagues font moins de 0,5 mètre et quand le vent est inférieur à 12 nœuds”, précise Steven Martin, constamment branché sur les applications météorologiques.

En cette fin avril, les vagues en pleine mer étant trop hautes, les probabilités de traversées sont faibles : les membres de Channel Rescue ne se montrent pas sur la côte. L’excuse de la météo n’est pas la seule. Ces activistes sont également réticents à l’idée d’accorder des interviews, soucieux de préserver un semblant d’anonymat. 

“On reçoit souvent des menaces, particulièrement quand on est mentionnés dans la presse, justifie Steven Martin. Du genre : ‘On va te jeter de la falaise’, ou ‘Je vais te couler’. Cela vient de groupes d’extrême-droite, même si on n’en est pas sûr à 100 %.”

La situation sur le littoral du Kent a attiré des groupes radicaux. Des militants d’extrême-droite patrouillent, eux aussi, le long des côtes et tentent de repousser, ou de dissuader, les migrants, allant parfois jusqu’à les approcher en mer. D’autres, moins violents, se disent “très inquiets” par ces arrivées qui mettraient en péril l’équilibre de leur pays. Dans les faits, pourtant, plusieurs y ont vu une aubaine.

Matériel vidéos et comptage de migrants

Tracy Wiseman, une businesswoman de 49 ans, a entrepris en 2021 de vendre aux médias, notamment au tabloïd Daily Mail, les images des arrivées de migrants qu’elle filme. Un revenu non négligeable pour cette femme qui a perdu son emploi de toiletteuse pour chiens lors des confinements dus au Covid.

“Je pense que les chiffres du gouvernement ne sont pas bons. Il y a beaucoup plus de migrants qui arrivent’, assure-t-elle, se défendant d’appartenir à l’extrême-droite mais épousant pourtant ses idées. “Les gens des villes ne se rendent pas compte de ce qu’il se passe ici, je veux les avertir. Pourquoi sommes-nous, comme ça, bombardés de migrants ?”, questionne-t-elle, avec un choix de termes discutable.

Tracy Wiseman et Martin Osborne filment les migrants qui arrivent sur les côtes anglaises. Crédit : InfoMigrants
Tracy Wiseman et Martin Osborne filment les migrants qui arrivent sur les côtes anglaises. Crédit : InfoMigrants

Plantée sur le port de Douvres, là où elle se poste quasiment tous les jours, elle détaille son mode de fonctionnement : outre les sites de météo, elle utilise “MarineTraffic”, une application qui envoie des notifications lorsque les “Border Force”, autorités maritimes chargées des opérations de contrôle frontalier, quittent le port. Une fois notifiée, Tracy Wiseman se branche sur les communications radios entre les garde-côtes et la Border Force qu’elle parvient à intercepter grâce à un récepteur scanner.

“Quand j’entends qu’une embarcation de migrants est interceptée, je me mets en route”, explique-t-elle, traînant derrière elle tout son matériel vidéo, installé sur un petit chariot, “au cas où”. Direction : les docks de Douvres, où un centre d’enregistrement des migrants a été installé. C’est ici que sont amenées systématiquement les personnes qui arrivent via la Manche. Tracy Wiseman attend, parfois des heures durant, munie d’un compteur manuel, de ceux que l’on utilise dans les lieux de grand rassemblement pour en évaluer l’affluence, et d’une caméra.

“Montrer à quel point la Manche est dangereuse”

Pour mener à bien sa nouvelle activité, celle qui habitait jusqu’à récemment dans les Midlands, région de l’ouest de l’Angleterre, a décidé de louer un logement dans le Kent, là où “les choses se passent”, pour être au plus près de ceux qu’elle filme sans jamais chercher à les connaître.

À ses côtés, Martin Osborne vient, lui, d’Écosse. L’année dernière, ce citoyen “très gêné par les arrivées” a acheté un bateau, pour filmer les embarcations qu’il approche en mer “en restant à une distance d’un mile et sans parler aux migrants”. Dans quel but ? “Montrer à quel point la Manche est dangereuse”, dit-il, évasif. Il indique peu après qu’il a créé une chaîne sur laquelle il vend, lui aussi, ses images.

“L’accueil que le Royaume-Uni réserve à ces migrants est lamentable”, fustige de son côté Bridget Chapman, qui ne décolère pas depuis Folkestone. La militante tient à rappeler que, lors de la Première Guerre mondiale, le Royaume-Uni avait accueilli quelque 250 000 réfugiés francophones, dont un grand nombre de Belges, fuyant les nazis. “À l’époque, ils avaient été accueillis en grandes pompes”, explique-t-elle. Eux aussi étaient arrivés à bord de petites embarcations à travers la Manche.

 

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