Depuis 2012, les enfants qui décèdent avant d’atteindre l’âge d’un an sont de plus en plus nombreux en France. Une nouvelle étude publiée début mars dans la revue scientifique The Lancet confirme cette tendance inquiétante. Les raisons de cette hausse de la mortalité infantile restent cependant inconnues, faute d’études épidémiologiques d’envergure et d’une mobilisation des pouvoirs publics.
C’est l’un des indicateurs clé du développement humain : la mortalité infantile repart à la hausse en France après des décennies de baisse engagée depuis la fin de Seconde Guerre mondiale. Une étude publiée début mars dans la revue scientifique The Lancet montre qu’entre 2012 et 2019, le taux de mortalité infantile est passé de 3,32 décès pour 1 000 naissances à 3,56, soit une augmentation de 7 % en moins de 10 ans.
Longtemps considérée comme un bon élève en la matière, la France fait désormais figure de cancre en Europe. “Si on avait le taux de mortalité de la Suède ou de la Finlande, il y aurait chaque année 1 200 décès de moins d’enfants de moins d’un an”, explique auprès de l’AFP Martin Chalumeau, pédiatre et épidémiologiste, qui a supervisé cette étude menée principalement par des chercheurs de l’INSERM.
Dans le détail, les scientifiques ont étudié une période allant de 2001 à 2019 à partir des données de l’INSEE. Leurs résultats font apparaître qu’au cours de cette période, 53 077 décès de nourrissons de moins d’un an ont été enregistrés parmi les 14 622 096 naissances vivantes, soit un taux de mortalité infantile moyen de 3,63 pour 1 000. Près d’un quart de ces décès sont survenus au cours du premier jour de vie du nourrisson, la moitié au cours de la première semaine suivant la naissance.
“On était parmi les meilleurs élèves pendant longtemps, puis la tendance s’est infléchie depuis 2005 et ça remonte de 2012 à 2019”, détaille Martin Chalumeau.
“Incapables” de fournir une explication
Ces résultats viennent ainsi confirmer les conclusions de précédentes enquêtes sur l’incapacité de la France à réduire son taux de mortalité infantile depuis une décennie. Une tendance jugée suffisamment préoccupante par le professeur Jean-Christophe Rozé pour alerter dès 2020 le cabinet de l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn.
“Nous avons été très bien reçus mais c’était juste avant l’épidémie de Covid-19 et donc logiquement, il y a eu d’autres priorités, explique le président de la société française de néonatologie et co-auteur de la dernière étude parue dans The Lancet. À l’instar de ses collègues, il souhaite que le prochain gouvernement fasse de ce dossier une priorité de santé publique car “aujourd’hui, nous sommes incapables d’expliquer cette hausse. C’est ça qui est dramatique”, ajoute le praticien hospitalier au CHU de Nantes.
En effet, la France manque cruellement de données exploitables pour expliquer les décès des jeunes enfants. Ainsi, les malformations congénitales ou encore le poids à la naissance, qui pourraient fournir de précieuses informations aux chercheurs, ne sont pas mentionnés sur le certificat de décès. “Nous avons des informations éparpillées dans plusieurs bases de données et nous n’arrivons pas à bien reconstituer le parcours des patients. Est-ce à cause d’un mauvais suivi de grossesse ? Est-ce lié au lieu d’accouchement ou à une pathologie ?, interroge Jean-Christophe Rozé.
Grossesses à risque
Pour expliquer les raisons de cette hausse de la mortalité infantile, les scientifiques doivent se contenter d’émettre des hypothèses, à commencer par l’augmentation des naissances à risque liées à des grossesses de plus en plus tardives et à la progression du tabagisme ou de l’obésité.
Ces facteurs de risques sont multipliés chez les femmes les plus précaires, notamment les femmes immigrées, explique Magali Barbieri de l’Institut national d’études démographiques (Ined). “Les personnes immigrées peuvent avoir un accès aux soins plus difficile ainsi qu’un suivi de grossesse voire un état de santé globalement dégradés. Le département métropolitain qui connaît la plus forte mortalité infantile est aussi celui dont la population immigrée est la plus forte : la Seine-Saint-Denis”, précise la chercheuse interrogée en 2021 par le journal Libération.
“Il y a aussi de plus en plus de grossesses multiples associées à de la prématurité qui s’accompagne de mortalité et de morbidité”, note Jean-Christophe Rozé. “Cependant, c’est pareil chez nos voisins donc cela n’explique pas pourquoi notre situation se dégrade par rapport aux autres pays”.
“Pas de pilote dans l’avion”
Faut-il y voir alors une dégradation du parcours de soin pour les femmes enceintes ? En France, selon la Cour des comptes, la moitié des maternités françaises a fermé en 20 ans. Toutefois, le niveau moyen des soins n’a pas forcément baissé, selon Jean-Christophe Rozé, car ces maternités ont été fermées en raison d’une faible activité. “Or, il y a un lien très fort entre le nombre de patients soignés et la qualité des soins. Les unités de soins intensifs spécialisées dans la grande prématurité, plus ils font, mieux ils le font”, ajoute le praticien qui dénonce un manque de sécurité dans certains établissements de proximité.
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Pour tenter d’expliquer la hausse de la mortalité infantile, d’autres experts de la santé publique pointent du doigt la faiblesse de la politique de prévention en France et notamment le manque de services de protection maternelle et infantile (PMI). Chargés d’accompagner les jeunes parents au cours des premiers mois de l’enfant, l’affaiblissement de ce réseau de proximité et ses conséquences pour le suivi des nourrissons a fait l’objet d’un rapport parlementaire en 2019, rappelle le journal le Monde.
Si les hypothèses de travail sont nombreuses, les chercheurs sont unanimes sur un point : en l’absence de fonds alloués pour mener des études plus approfondies, cette augmentation de la mortalité infantile restera un angle mort de la politique de santé publique. “Comme s’il n’y avait pas de pilote dans l’avion”, résume le Professeur Rozé.