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Guerre en Ukraine : le “fantôme de Kiev”, faux pilote mais vrai atout de propagande

L’armée de l’air ukrainienne a reconnu samedi que “le fantôme de Kiev” n’existait pas, après avoir suggéré le contraire par le passé. Mais ce mythe d’un pilote anonyme qui aurait abattu à lui seul des dizaines d’avions russes illustre l’efficacité et les objectifs de la propagande ukrainienne.

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Le “fantôme de Kiev” n’est plus. L’armée de l’air ukrainienne a mis un terme, samedi 30 avril, au mythe de cet “as” des airs qui aurait abattu à lui seul plus de quarante avions de chasse russes depuis le début de la guerre.

“Le ‘fantôme de Kiev’ est une légende de super-héros créée par des Ukrainiens ! Il faut le voir comme une représentation collective des pilotes de la 40e brigade d’aviation tactique. Ce sont eux qui protègent le ciel de la capitale et peuvent surgir soudainement là où l’ennemi ne les attend pas”, a affirmé l’armée de l’air sur sa page Facebook.

Cette confession met fin à plus d’un mois de ferveur sur les réseaux sociaux – souvent entretenue par les autorités ukrainiennes elles-mêmes – et de supputations autour de l’identité et de l’existence de ce “fantôme” héroïque, dépeint comme le pire cauchemar des pilotes russes. L’armée n’a pas précisé pourquoi elle avait fini par lever le voile sur cette campagne de propagande.

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Un “fantôme” qui apparaît dès le premier jour de l’invasion russe

La veille encore de l’aveu de l’armée ukrainienne, plusieurs médias – y compris le Times britannique – affirmaient avoir identifié le célèbre fantôme. Pour eux, il s’agissait du major Stepan Tarabalka, un pilote ukrainien mort au combat le 13 mars et qui a reçu le titre honorifique de “héros ukrainien” pour ses faits d’armes aériens.

L’empressement de découvrir l’identité de ce “fantôme” peut se comprendre. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, ce pilote a été érigé en “symbole de la résistance ukrainienne à l’envahisseur”, rappelle Yevgeniy Golovchenko, spécialiste de la désinformation russe et des mécanismes de propagande à l’université de Copenhague.

Il apparaît dès le 24 février dans une série de tweets postés par un internaute bosniaque suivi par plus de 70 000 abonnés et se décrivant comme “un enthousiaste des affaires militaires”. Cet observateur s’émerveille devant les manœuvres aériennes d’un MIG-29 de l’armée ukrainienne.

Au fur et à mesure des retweets, ces premières vidéos se sont enrichies de récits sur les exploits militaires de ce “fantôme de Kiev” qui aurait abattu six avions russes en moins de 30 heures de combat. La création de ce mythe “vient en partie de la population ukrainienne. Je me souviens d’un ami à qui j’ai parlé au lendemain du début de la guerre qui m’a affirmé avoir vu de ses propres yeux le ‘fantôme de Kiev’”, raconte Yevgeniy Golovchenko.

Les autorités et responsables politiques ukrainiens ont sauté sur l’occasion de conférer un vernis de légitimité aux aventures de ce justicier des airs. Le gouvernement a ainsi posté une vidéo, le 27 février, de ce “pilote de MIG-29 anonyme” qui aurait déjà abattu dix avions russes. Plus tard, il a été établi que les images utilisées étaient extraites d’un jeu vidéo.


L’ex-président Petro Porochenko s’est aussi pris au jeu en saluant sur Twitter la bravoure du “fantôme de Kiev” tout en utilisant, pour illustrer son propos, une photo de 2019 d’un pilote ukrainien testant un nouveau casque d’aviation “made in France”.

Un symbole “simplifié” du début de la guerre en Ukraine

Malgré les réserves de plusieurs médias quant à l’existence de ce super-pilote, sa légende n’a fait que croître.

Peu avant l’aveu final de l’armée de l’air ukrainienne, le tableau de chasse du pilote anonyme avait atteint les 49 avions russes sur les réseaux sociaux. Soit davantage, en fait, que la totalité des pertes aériennes russes depuis le début de la guerre, d’après Oxyx, un site d’analyse militaire indépendant qui a, lui, comptabilisé 26 avions, 39 hélicoptères et 48 drones de combat abattus par les Ukrainiens au 30 avril.

Qu’importe, en fait, si ces exagérations nuisent à la crédibilité des exploits du “fantôme de Kiev” : son histoire illustre “la simplification à l’extrême du message de propagande en temps de guerre”, explique Yevgeniy Golovchenko.

Même si la trame narrative de ce mythe peut sembler grossière, elle coche toutes les cases du manuel du bon propagandiste cherchant à doper le moral des troupes. “Le but est de simplifier une réalité complexe et effrayante afin de la rendre acceptable au public qui est d’autant plus disposé à y croire que le message est porteur d’espoir”, résume l’expert de l’université de Copenhague. 

En l’espèce, la légende du pilote solitaire mettant en échec l’aviation russe symbolise parfaitement, aux yeux des Ukrainiens, les débuts de la guerre : malgré leur supériorité numérique écrasante, les Russes ont échoué à contrôler rapidement les airs et à prendre possession de Kiev.

Des orques de Tolkien au “fantôme de Kiev”

Ce mythe rappelle, à cet égard, les efforts de propagande russe. Le message principal du Kremlin pour justifier “l’opération spéciale militaire” a été de présenter celle-ci comme une offensive pour “dénazifier” l’Ukraine. Là aussi, le propos peut paraître grossier. Mais les autorités comptent sur la volonté des Russes d’y croire, soucieux de se situer dans le camp des “bons contre les méchants”.

À voir sur France 24 : Vu de Russie : comment la propagande russe construit l’image d’une Ukraine “nazie”

Cet aspect mis à part, la propagande ukrainienne et celle de la Russie durant ce conflit sont “très différentes à la fois sur la forme et sur le fond”, note Yevgeniy Golovchenko. Le Kremlin a eu une approche très verticale de cette guerre de l’information : le message est d’abord élaboré par les autorités avant d’être récupéré et amplifié par des groupes pro-russes. En Ukraine, la frontière est beaucoup plus floue : difficile de savoir qui, entre l’État et la population, est à l’origine de la propagande. Quand des internautes publient sur Twitter des images de chars russes abandonnés pour illustrer le “mauvais état de l’armement russe”, l’idée d’une telle campagne ne vient pas forcément du gouvernement.

Sur le fond aussi, “la propagande russe repose sur trois piliers : ce n’est pas une guerre, c’est une opération d’une précision chirurgicale qui ne vise que les éléments ‘nazis’ en Ukraine et tout se déroule bien”, résume Yevgeniy Golovchenko. Côté ukrainien, tout est fait pour présenter ce conflit “comme une guerre totale pour la survie de l’Ukraine”, précise ce chercheur. 

Ce n’est pas un hasard si “les Ukrainiens ont donné aux soldats russes le surnom d’orcs, référence à l’œuvre de J.R.R. Tolkien [Le Seigneur des anneaux, NDLR]”, souligne Yevgeniy Golovchenko. C’était déjà une habitude parmi les militaires ukrainiens au lendemain de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, mais depuis le début de la guerre, cette comparaison a été adoptée par tous. “C’est une manière de déshumaniser les soldats russes, et de les comparer à des monstres bêtes qui peuvent être battus en faisant preuve d’intelligence”, explique le spécialiste.

Le mythe du “fantôme de Kiev” s’inscrit, d’ailleurs, parfaitement dans cette logique : n’est-ce pas l’histoire d’un pilote qui, seul grâce à son intelligence et son savoir-faire, triomphe des hordes d’ennemis ?

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