Entre des prix de l’énergie et des produits de base qui s’envolent et une croissance atone, les derniers indicateurs économiques publiés vendredi par l’Insee font craindre un début de “stagflation”. Explications.
C’est du jamais-vu depuis le milieu des années 1980. L’inflation a continué à accélérer en avril en France pour atteindre 4,8 % sur un an, selon une première estimation publiée vendredi 29 avril par l’Insee. Dans la zone euro, le chiffre atteint même 7,5 % pour le même mois, au plus haut depuis l’instauration de la monnaie unique.
“Cette inflation est essentiellement due à l’augmentation des prix de l’énergie”, a rappelé samedi le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, lors d’une interview à la radio France Inter.
D’abord portée par la reprise économique post-Covid-19, la hausse des prix des matières premières et agricoles a connu un nouveau coup d’accélérateur avec la guerre en Ukraine. Les ruptures des chaînes d’approvisionnement en Chine liée à la stratégie “zéro Covid” de Pékin jouent également un rôle dans cette flambée.
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“En France et dans l’ensemble des pays européens, les dépenses en matière de transports et d’énergie pèsent énormément sur le budget des ménages”, note l’économiste Stéphanie Villers. “Le premier effet est un ralentissement de la consommation sur le premier trimestre. Les ménages préfèrent se montrer prudents car ils ont intégré que cette hausse des prix allait durablement pénaliser leur pouvoir d’achat. Or, la consommation des ménages, c’est le principal moteur de la croissance” tricolore, ajoute l’économiste.
Selon les données de l’Insee, la consommation des ménages a ainsi baissé d’1,3 % en France. Résultat : le produit intérieur brut (PIB) est au point mort au premier trimestre. En zone euro, il n’a progressé que de 0,2 %, et a même légèrement baissé aux États-Unis. Après l’euphorie de la reprise postpandémie observée en 2021, la croissance mondiale semble marquer le pas.
“Les prémices” d’une stagflation
Dans cette configuration économique conjuguant hausse des prix et croissance faible, ressurgit en France le spectre de la “stagflation”, mélange d’inflation et de stagnation de l’activité économique. “Si ce mouvement sur les prix est durable, il y a un risque. On en est peut-être aux prémices”, avance Stéphanie Villers.
Pour pouvoir parler de stagflation, il faudrait que cette situation perdure “sur au moins plusieurs trimestres”, confirme Pierre Jaillet, chercheur à l’Institut européen Jacques-Delors, interrogé par l’AFP.
Il est donc encore trop tôt pour affirmer que le pays se dirige vers une stagflation telle qu’elle l’a connue dans les années 1970, au moment des deux chocs pétroliers.
“L’une des questions qui se pose maintenant, c’est de savoir dans quelle mesure le futur gouvernement va peser sur la perte du pouvoir d’achat”, après les énormes moyens déployés par les pouvoirs publics pour aider les ménages et entreprises depuis la pandémie, explique Pierre Jaillet.
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Plusieurs indicateurs économiques plaident pour un optimisme prudent : malgré un ralentissement, l’investissement des entreprises a progressé au premier trimestre en France. Quant au taux de chômage, il poursuit sa décrue avec -5,3 % de demandeurs d’emploi de catégorie A.
“On a probablement atteint le niveau plancher”, prédit toutefois Stéphanie Villers. “Les entreprises sont confrontées à des coûts de production qui augmentent avec le prix des matières premières. Elles voient les signaux négatifs s’accumuler. Il ne faut donc pas s’attendre à une nouvelle baisse du chômage dans les trimestres à venir”.
Des prix hauts jusqu’en 2024
D’autant que la flambée des prix n’est pas près de s’éteindre, si l’on en croit un rapport publié mardi par la Banque mondiale. Ses experts prédisent que “les prix vont se maintenir à des niveaux historiquement élevés jusqu’à la fin de 2024”. Les auteurs du rapport notent que “la guerre en Ukraine a provoqué un choc majeur sur les marchés des produits de base et modifié la physionomie des échanges, de la production et de la consommation dans le monde”.
“Il est difficile de savoir combien de temps va durer cette pression sur les prix qui se diffusent sur l’ensemble des biens et des services. Cela dépendra beaucoup de la durée du conflit ukrainien”, assure Stéphanie Villers.
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Comment éviter alors de s’engouffrer dans le cercle vicieux d’une stagflation ? L’équation est loin d’être simple à résoudre pour les banques centrales. Pour limiter l’inflation, elles disposent de deux leviers : réduire leurs achats d’actifs sur les marchés ou remonter leurs taux d’intérêt.
“Le risque de cette stratégie est qu’il devienne plus difficile d’obtenir un prêt et cela pourrait faire baisser la consommation et donc la croissance qui n’est déjà pas au beau fixe”, analyse la chroniqueuse économie de France 24, Joanna Sitruk.
La présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a ouvert mercredi la possibilité d’une première hausse des taux directeurs cet été si l’inflation poursuit sa hausse. “La mission de la BCE est la stabilité des prix”, a rappelé l’ancienne ministre de l’Économie.
La BCE avait déjà arrêté en mars le programme d’urgence destiné à soutenir l’économie pendant la crise provoquée par le Covid-19 et déclaré arrêter les achats nets d’actifs à partir du mois de juillet. Une manière de garder sous contrôle la hausse des prix, en attendant des jours meilleurs.