Au Liban, les élections législatives du 15 mai pourraient être l’occasion de renouveler une classe politique de plus en plus contestée. Saisissant leur chance, de nombreux indépendants ont décidé de se lancer dans la bataille électorale. Parmi eux, Lina Hamdan, candidate issue de la communauté chiite et opposante au Hezbollah. Portrait.
Casquette vissée sur la tête et veste légère en jeans, Lina Hamdan, candidate chiite indépendante aux législatives à Beyrouth, prend part à un rassemblement contre une loi à l’étude au Parlement pour le contrôle des capitaux. “Il faut continuer à défendre les droits des citoyens. Le pays est en faillite et il n’y a pas de distribution équitable des pertes”, explique-t-elle, avant de se fondre dans la foule.
Bien qu’elle soit en pleine campagne électorale – les législatives étant prévues pour le 15 mai –, Lina Hamdan prend le temps de participer aux protestations anti-pouvoir, elle qui a été particulièrement active lors du soulèvement populaire d’octobre 2019. Malgré son appartenance à la communauté chiite, Lina Hamdan a toujours été opposée au Hezbollah. Elle a même collaboré, en tant que chargée de communication, aux gouvernements mis en place par le Premier ministre sunnite Rafic Hariri, assassiné en 2005, puis par son fils, Saad Hariri, proche de Riyad.
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Elle brigue aujourd’hui un des deux sièges chiites de la capitale, occupés depuis 2018 par des membres du Hezbollah et de son allié, le mouvement Amal. Depuis qu’elle a officialisé sa candidature, les rendez-vous s’enchaînent pour cette femme débordante d’énergie qui essaie de se faire une place face au rouleau compresseur électoral du tandem Hezbollah/Amal.
La manifestation terminée, Lina Hamdan nous reçoit dans son appartement beyrouthin, où elle espère trouver un peu de répit. Mais très vite, son téléphone sonne : un notable d’un des quartiers chiites populaires de la capitale lui demande un rendez-vous pour discuter de son programme. “Plusieurs familles qui votaient traditionnellement pour le tandem chiite sont lasses de la situation et cherchent à soutenir de nouveaux candidats. Les gens n’ont plus d’argent, ni de travail. Beaucoup de partisans du duopole chiite sont aujourd’hui réduits à la pauvreté. Mais ils ont peur de voter pour le changement. Il faut donc aller à leur rencontre pour les convaincre”, explique Lina Hamdan. Après les électeurs de la capitale, la prochaine étape de sa campagne sera destinée à la diaspora. “Nous avons prévu plusieurs réunions en ligne avec les Libanais qui résident à l’étranger. Nous comptons beaucoup sur eux pour faire bouger les choses”, indique-t-elle.
“Se démarquer du Hezbollah”
Lina Hamdan sait bien qu’il sera difficile d’entrer au Parlement, la représentation chiite étant monopolisée depuis des décennies par Amal et le Hezbollah, mais elle veut croire au changement. Car depuis trois ans, les crises se succèdent au Liban et la grogne populaire gagne du terrain. Des manifestations d’octobre 2019 contre la classe politique aux explosions du port de Beyrouth l’été suivant, en passant par la pire crise économique de l’histoire du pays, le Hezbollah – tout comme l’ensemble des partis au pouvoir – est sous le feu des critiques.
Issue d’une famille d’intellectuels chiites, Lina Hamdan veut montrer que la communauté chiite libanaise “peut se démarquer de l’image véhiculée par le Hezbollah”. “Ma bataille, c’est de récupérer la représentation chiite. Réduire cette communauté au Hezbollah, c’est porter atteinte aux chiites qui ne sont pas proches de ce parti. Je parle surtout de l’appartenance à l’Iran, qui est tout à fait étrangère à nos traditions”, lance la candidate. “Les chiites appartiennent au tissu libanais, ils ressemblent à toutes les autres composantes du pays. La communauté chiite n’est pas un ghetto”, souligne-t-elle.
Lina Hamdan s’était déjà présentée aux élections en 2018, sans succès. “À l’époque, quand on parlait de rétablir la souveraineté du pays, on voyait bien que les gens n’étaient pas prêts à entendre ce genre de discours. Aujourd’hui, les choses ont changé. Il y a beaucoup d’opposants au sein de la communauté chiite”, assure-t-elle.
Si la candidate a quelques espoirs à Beyrouth, affronter le Hezbollah ailleurs que dans la capitale s’avère presque mission impossible. De nombreux opposants chiites au parti pro-iranien ont dernièrement retiré leurs candidatures dans la région de la Békaa, tandis que les candidats indépendants dans le sud du pays, fief incontesté du Hezbollah, s’attirent les foudres du “Parti de Dieu”. “Dans le sud, la contestation essaie de se frayer un chemin sans s’opposer au Hezbollah de manière frontale”, précise Lina Hamdan.
Le climat beyrouthin semble donc le plus favorable à une percée électorale des opposants chiites, permettant à la candidate de dénoncer “les atteintes à la souveraineté du pays”. “Les Libanais sont isolés à cause des armes du Hezbollah et de l’importation d’une civilisation qui ne nous ressemble pas”, lance-t-elle, en référence à la proximité du Hezbollah avec l’Iran. “Tout cela est en train de nous mettre en conflit avec la communauté internationale ainsi qu’avec les pays arabes alors que nous sommes un membre fondateur de la Ligue arabe”, rappelle-t-elle.
Malgré les défis, Lina Hamdan estime que le changement, aussi minime soit-il, est possible à mettre en œuvre par le biais des élections. “Certes, ce sera un petit changement, mais il en vaudra la peine. Ce n’est que lorsque nous aurons de nouveaux représentants au sein des institutions que nous récupérerons la confiance de la communauté internationale. Plus personne ne veut travailler avec le gouvernement actuel”, assure-t-elle.