Deux mois après le début de la guerre, les sanctions occidentales n’ont pas suffi à faire reculer la Russie. Alors que Moscou poursuit son offensive dans l’est et le sud de l’Ukraine, les alliés de Kiev optent désormais pour un soutien militaire à long terme, en misant sur la livraison d’armes lourdes.
La guerre des nerfs viendra-t-elle à bout de la détermination de Vladimir Poutine ? La stratégie occidentale de pression maximale envers la Russie a passé un nouveau cap, cette semaine, avec une série d’annonces visant à renforcer l’armée ukrainienne.
Les alliés de Kiev, qui se cantonnaient jusqu’ici aux sanctions économiques et à la fourniture d’armes dites défensives, misent désormais sur l’envoi d’obusiers, de chars, d’hélicoptères et de drones pour permettre à Kiev de repousser l’envahisseur. Alors que la Russie dénonce des manœuvres hostiles et agite le risque d’une “troisième guerre mondiale”, les États-Unis et l’Europe comptent désormais renforcer durablement la défense ukrainienne.
Une guerre “qui va durer”
Alors que les États-Unis avaient déjà annoncé deux plans d’aide militaire à l’Ukraine pour un montant total de 1,6 milliard de dollars (1,52 milliard d’euros), Joe Biden a demandé au Congrès américain, jeudi 28 avril, de débloquer une rallonge budgétaire de 33 milliards de dollars (31,32 milliards d’euros) à destination de Kiev.
Cet investissement massif compte une vingtaine de milliards de dollars d’aide militaire, trois milliards d’aide humanitaire ainsi que 8 milliards d’aide économique au gouvernement ukrainien pour maintenir le fonctionnement des institutions et le paiement des salaires.
“Selon l’administration Biden, ce plan est nécessaire pour permettre à l’Ukraine de faire face durant les cinq prochains mois, car Washington considère que cette guerre va durer”, explique Sonia Dridi, correspondante de France 24 à Washington.
Pour le général Dominique Trinquant, ancien chef de la mission militaire française aux Nations unies, la demande de Joe Biden marque un tournant dans l’engagement américain auprès de l’Ukraine. “On voit bien que le président s’inscrit dans la durée avec des fonds énormes, 33 milliards de dollars, et une demande au Congrès puisqu’il ne peut plus avoir les fonds exceptionnels dont il a déjà bénéficié. Il demande l’unité américaine autour de ce sujet, ce qui est très important.”
Moderniser et former l’armée ukrainienne
Après avoir échoué à encercler la capitale ukrainienne fin mars, les forces russes ont recentré leurs efforts sur la région russophone du Donbass, à l’est. Mais ces dernières semaines, des responsables militaires russes ont laissé entendre que cette région n’était qu’une étape vers une conquête plus large du sud du pays. Face à cette menace, les Occidentaux, qui hésitaient jusqu’ici à envoyer des armes lourdes à l’Ukraine, ont décidé de sauter le pas.
Lors d’une réunion en début de semaine, rassemblant une quarantaine de pays sur la base américaine de Ramstein, en Allemagne, les Pays-Bas se sont engagés à fournir plusieurs obusiers blindés, présentés par le gouvernement comme l’artillerie “la plus lourde de l’armée” néerlandaise. L’Allemagne, jusqu’ici en retrait sur cette question, a quant à elle promis l’envoi de chars Guépard, issus de son ancien arsenal militaire, tandis que la France a annoncé la livraison de canons Caesar, d’une portée de 40 km.
“Les alliés de l’Otan se préparent à fournir un soutien à l’Ukraine pendant une longue période et à l’aider à passer de l’ancien matériel de l’ère soviétique à des armes et des systèmes d’armement plus modernes aux normes de l’Otan, qui nécessiteront aussi plus de formation”, a précisé, jeudi, le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg.
Outre ses moyens militaires propres, l’Ukraine bénéficie de trois types d’armement supplémentaires, explique le général Trinquant. “Il y a d’abord l’armement abandonné par l’armée russe, soit 200 à 250 chars, ce qui, à titre de comparaison, représente la totalité des chars de l’armée française. Vient ensuite l’armement fourni depuis une quinzaine de jours par les pays d’Europe de l’Est, qui ont de l’armement similaire à celui de l’Ukraine. Là aussi, ce matériel peut être tout de suite utilisé. Enfin, il y a l’armement livré par les Américains, les Français, les Britanniques, etc. Les Ukrainiens ne connaissent pas ces équipements, il faut donc les former, acheminer le matériel, et cela prend du temps.”
Ne pas nourrir la propagande de l’agresseur
Sans surprise, ce projet visant à accompagner militairement l’Ukraine est très mal perçu par Moscou. Alors que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a évoqué le risque d’une “troisième guerre mondiale”, Vladimir Poutine a, quant à lui, mis en garde contre toute intervention extérieure dans le conflit, promettant une riposte “rapide et foudroyante”.
“Nous voulons voir la Russie affaiblie à un degré tel qu’elle ne puisse pas faire le même genre de choses que l’invasion de l’Ukraine”, déclarait il y a quelques jours le chef du Pentagone, Lloyd Austin. Une sortie adoucie par Joe Biden lors de son discours devant le Congrès américain. Le président des États-Unis a précisé qu’il ne s’agissait pas d’attaquer la Russie mais d’aider l’Ukraine à se défendre.
Les propos de Lloyd Austin sont “extrêmement dangereux” car ils nourrissent la propagande russe d’une attaque contre la Russie, estime le général Dominique Trinquant. “Il faut éliminer ce sujet-là et bien soutenir la position de droit dans laquelle nous sommes. C’est l’article 51 de la Charte des Nations unies : lorsqu’un pays est attaqué, il a le droit de se défendre et nous avons le droit de l’aider. C’est dans ce cadre-là qu’on doit se placer : la défense d’un pays agressé et non pas la défaite du pays agresseur.”