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La guerre en Ukraine, une carte à jouer pour le gouvernement et les rebelles éthiopiens

La guerre en Ukraine trouve une résonance particulière en Éthiopie, où perdure, à l’écart des radars médiatiques, un conflit sanglant entre le gouvernement et les rebelles du Tigré. Alors que le pouvoir apporte un discret soutien à Moscou, les Tigréens poussent la comparaison avec Kiev, espérant fédérer le soutien de la communauté internationale.

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L’Éthiopie en proie à une guerre sans fin. Dix-sept mois après le début du conflit opposant le gouvernement central aux rebelles du Tigré, la crise s’est graduellement étendue à travers les régions du nord, faisant plusieurs centaines de milliers de victimes et provoquant un risque accru de famine. La trêve humanitaire, décrétée par le gouvernement fin mars, n’a pour le moment pas permis d’avancée significative sur le terrain. 

Dans ce contexte d’enlisement, l’avènement, il y a maintenant deux mois, d’une guerre sur le sol européen avec l’offensive russe en Ukraine, suscite une attention particulière dans le pays. Alors que certains observateurs pointent du doigt l’écart d’intérêt médiatique porté aux deux conflits, le gouvernement et les rebelles tentent de se positionner pour faire avancer leur cause. 

Les “amis éthiopiens” de la Russie 

Lundi 18 avril au matin, une centaine d’Éthiopiens faisaient la queue devant l’ambassade de Russie d’Addis-Abeba : des volontaires venus postuler pour combattre en Ukraine. Alors que depuis plusieurs jours la rumeur d’un enrôlement moyennant finance circulait sur les réseaux sociaux, l’ambassade russe réfute tout appel officiel.

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“Nous tenons à vous informer que l’ambassade n’accepte aucune demande de recrutement dans les forces armées de la Fédération de Russie”, affirment les autorités dans un communiqué daté du 19 avril, tout en remerciant les Éthiopiens pour leur soutien “depuis le début de l’opération militaire spéciale” en Ukraine. 


“Nous avons reçu des courriels et des visites en personne de citoyens éthiopiens exprimant leur solidarité et leur soutien à la Fédération de Russie (…) Nous remercions tous les amis éthiopiens pour les mots aimables qu’ils ont adressés à notre pays.” 

“Il est évident au vu de la situation économique du pays que les volontaires présents à l’ambassade étaient avant tout motivés par l’appât du gain”, estime Gérard Prunier, spécialiste de la Corne de l’Afrique qui a vécu de nombreuses années en Éthiopie.

“Contrairement à certains pays d’Afrique francophone, il n’y a pas véritablement de sentiment prorusse parmi la population en Éthiopie, poursuit le chercheur. Par contre, il existe un ressentiment envers les États-Unis, qui ont soutenu le gouvernement tigréen dans les années 1990. Durant cette période, un petit groupe de dirigeants ont privilégié leurs intérêts sur ceux du peuple et la question de l’ingérence américaine est depuis très mal perçue dans le pays.”

Depuis l’arrivée à la Maison Blanche de Joe Biden, les États-Unis ont accentué la pression sur le gouvernement du Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, en imposant des sanctions pour tenter de mettre fin au conflit. En réaction, les soutiens du gouvernement sont descendus dans la rue dénonçant l’interventionnisme occidental, brandissant parfois des pancartes à l’effigie des présidents chinois et russe. De son côté, la Russie a renforcé ses relations avec le pays en signant en juillet dernier un nouvel accord de partenariat militaire. 

Manifestation à Addis-Abeba contre les sanctions américaines, imposées en raison du conflit dans la région du Tigré, le 30 mai 2021.
Manifestation à Addis-Abeba contre les sanctions américaines, imposées en raison du conflit dans la région du Tigré, le 30 mai 2021. © Amanuel Sileshi, AFP

Unis contre “l’ingérence” de l’Occident 

Le lien entre la Russie et l’Éthiopie se traduit également par un soutien réciproque au sein à l’ONU. Le 3 mars, une semaine après le début de l’invasion russe, le Premier ministre éthiopien publie un communiqué sur la situation en Ukraine, appelant “toutes les parties à faire preuve de retenue”. 

La veille, l’Éthiopie avait quitté la salle lors du vote d’une résolution des Nations unies, adoptée à une très large majorité, exigeant de la Russie l’arrêt immédiat du recours à la force en Ukraine. L’Érythrée, l’allié du gouvernement éthiopien dans la guerre contre le Tigré, fait, quant à elle, partie des six pays à avoir voté contre. 

“L’Érythrée est un pays complètement isolé sur la scène internationale, qui soutient la Russie car elle cherche avant tout un partenaire susceptible de lui fournir des armes sans lui demander des comptes sur la question des droits de l’Homme”, explique Gérard Prunier. “L’Éthiopie, au contraire, tente de maintenir de bonnes relations avec l’Occident, et ne peut donc se permettre un soutien trop explicite envers Moscou. Elle est tout de même considérée comme un allié par la Russie, notamment du fait de sa proximité avec l’Érythrée.”

En mars 2021, la Russie s’était, pour sa part, opposée à une déclaration de l’ONU appelant à la fin des violences dans la région du Tigré. 

“Au Conseil de sécurité, la Russie n’a pas peur d’utiliser le veto pour contrer les positions occidentales. Elle donne ainsi un sentiment de protection diplomatique très important aux États qui, comme l’Éthiopie, sont critiqués par la communauté internationale”, souligne Roland Marchal, chercheur au Centre de recherches internationales de Sciences Po et auteur d’une étude sur les liens entre la Russie et la Corne de l’Afrique. “L’Éthiopie et la Russie considèrent toutes deux que les pays occidentaux sont hostiles et font de l’ingérence. Pour autant, le soutien d’Abiy Ahmed envers Moscou est avant tout un calcul politique et non un réel soutien à l’offensive russe en Ukraine.”

Tigré, Ukraine, même combat ? 

Alors qu’Abiy Ahmed tente d’entretenir un rapport d’équilibre entre les Occidentaux et la Russie, les Tigréens, eux, sont bien décidés à faire pencher la balance en leur faveur. Au cours du mois de mars, Getachew Reda, porte-parole du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) et ancien ministre de la Communication, a publié plusieurs chroniques dressant un parallèle entre les guerres en Ukraine et en Éthiopie. “L’unité sans précédent du monde démocratique libéral contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie est admirable”, soulignait-il le 23 mars, avant de regretter que la “position morale forte” des États-Unis face à Moscou ne soit pas “universelle”. 

Une vision partagée par le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) Tedros Adhanom Ghebreyesus, lui-même Tigréen, qui a dit regretter, le 13 avril, que d’autres conflits comme celui du Tigré ne bénéficient pas, ne serait-ce que “d’une fraction” de l’attention accordée à l’Ukraine. Prompt à dénoncer les ravages de la guerre dans son pays, le patron de l’OMS, ancien ministre et cadre du TPLF, est considéré comme un ennemi par Abiy Ahmed. Le Premier ministre, qui l’accuse d’ingérence dans les affaires éthiopiennes, à même tenté de faire barrage à sa réélection à la tête de l’organisation onusienne en janvier dernier, sans succès. 


“Les Tigréens ont bien raison de communiquer sur la situation humanitaire et ont des arguments à faire valoir car l’ampleur des destructions et le nombre de victimes sont considérables”, souligne Roland Marchal. “La différence de traitement vis-à-vis des guerres en Ukraine et en Éthiopie mérite elle aussi d’être soulevée. Mais la comparaison entre les deux conflits a ses limites, car contrairement à Vladimir Poutine, Abiy Ahmed n’a pas une politique expansionniste et respecte la souveraineté nationale de ses voisins.”

Alors que les Tigréens dénoncent les horreurs du conflit, le Premier ministre éthiopien tente, à l’inverse, d’invisibiliser la guerre dans son pays, selon Gérard Prunier. “Il veut faire croire que les affaires courantes continuent alors qu’il a depuis longtemps perdu le contrôle de la situation. Personne n’est dupe, ni les Éthiopiens, ni la communauté internationale, mais la situation arrange les Occidentaux. L’Ukraine est pour eux un enjeu stratégique prioritaire, alors que ce n’est pas du tout le cas de l’Éthiopie. Les Occidentaux n’ont aucune envie de s’impliquer dans ce conflit.” 

Malgré les réticences occidentales, le TPLF continue son combat. Le 20  avril, le gouvernement du Tigré a publié une lettre ouverte à l’attention du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dans laquelle il a de nouveau appuyé sur la comparaison avec l’Ukraine et appelé l’ONU à une plus grande “détermination pour soutenir les principes fondamentaux du droit international et de l’humanité”. 

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