Annoncée par Emmanuel Macron, la fin du corps diplomatique a été officialisée dimanche au Journal officiel. Une réforme qui fait polémique au moment même où la diplomatie française est mise à rude épreuve avec la guerre en Ukraine ou encore la montée du sentiment antifrançais en Afrique de l’Ouest. Entretien avec l’ancien ambassadeur Nicolas Normand.
C’est l’une des mesures de la réforme de la haute fonction publique, annoncée il y a plusieurs mois par le président Emmanuel Macron. Dimanche 17 avril a été officialisée par publication au Journal officiel la fin des deux corps diplomatiques qui constituent la hiérarchie du Quai d’Orsay.
Les conseillers des affaires étrangères et les ministres plénipotentiaires, soit quelque 800 hauts fonctionnaires dont 182 ambassadeurs et 89 consuls, seront rassemblés à partir du 1er juillet sous un seul et même statut attribué à tous les hauts fonctionnaires, celui d’administrateur de l’État.
Pour le président français, cette réforme, qui inclut la suppression de l’École nationale d’administration (ENA) – remplacée par un Institut national du service public (ISP) –, vise à décloisonner la haute fonction publique pour y intégrer des profils plus divers, issus du privé ou bien encore du milieu associatif.
Mais au sein du ministère des Affaires étrangères, certains dénoncent une mesure qui risque d’occasionner une perte d’influence de la France dans le monde et accusent Emmanuel Macron de vouloir faire main basse sur les nominations.
Des critiques reprises lundi par plusieurs personnalités politiques d’opposition, dont Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen ou bien encore Éric Ciotti.
Journal officiel : suppression du corps diplomatique. La France voit détruire au bout de plusieurs siècles son réseau diplomatique. Le 2ème du monde. Les copains de promo vont pouvoir être nommés. Immense tristesse.
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) April 18, 2022
Pour faire le point sur cette réforme mais aussi sur le rôle des diplomates français et les dossiers brûlants auxquels ils sont aujourd’hui confrontés, France 24 s’est entretenu avec Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali, au Congo et au Sénégal.
France 24 : Avec cette réforme, des personnalités et des syndicats du Quai d’Orsay ainsi que des figures politiques ont déploré la fin de la diplomatie professionnelle. Quel est votre avis ?
Nicolas Normand : Je pense que cette réforme a été beaucoup caricaturée. Il s’agit d’une mesure qui améliore la gestion de la haute fonction publique en la rendant plus transparente vis-à-vis de l’opinion publique et des élus. Elle vise certes à élargir les profils au sein des ministères mais cela n’empêche en rien aux diplômés qui choisissent de faire carrière au Quai d’Orsay d’y rester. Tous les autres hauts fonctionnaires des ministères ont déjà un statut commun, cela ne veut évidemment pas dire qu’ils sont interchangeables.
Une personne ayant réussi le concours du cadre d’Orient (Conseillère / Conseiller des Affaires étrangères, NDRL) et qui est donc spécialiste d’une zone géographique et d’une langue étrangère va bien sûr conserver sa spécialité. Le Quai d’Orsay n’aurait aucune raison de se passer de ses compétences.
Par ailleurs, le changement de corps au sein du ministère des Affaires étrangères, entre celui des conseillers des Affaires étrangères et celui des ministres plénipotentiaires, était jusqu’ici soumis à une procédure discrétionnaire et opaque. La suppression de ces statuts pourrait permettre aux conseillers des Affaires étrangères d’évoluer plus facilement dans leurs carrières.
Enfin, pour ceux qui considèrent que cette réforme va permettre les nominations de “copinage” par le président, je rappelle qu’il lui est déjà possible de choisir un certain nombre de profils qui ne sont pas des fonctionnaires pour représenter la France à l’étranger.
Certaines voix critiques déplorent une perte d’influence de la France sur la scène internationale. Partagez-vous cette vision ?
Ce constat est une réalité mais il dépasse de loin la France. D’un point de vue économique, démographique ou bien même militaire, face à la montée de nouvelles puissances, les pays occidentaux ont vu leur position dominante s’étioler, c’est un fait. Aujourd’hui, l’Europe n’est plus un acteur essentiel de la résolution des conflits sur la planète. L’exemple de la guerre en Ukraine, pourtant toute proche, illustre cette difficulté de l’UE à peser face à la volonté militariste de Vladimir Poutine. Le Conseil de sécurité de l’ONU, où la France est la seule représentante permanente de l’Union européenne, a perdu en efficacité, bloqué par la mésentente entre les États-Unis d’un côté, et la Chine et la Russie de l’autre.
Bien sûr, outre cette évolution du monde, la diplomatie française souffre d’un certain nombre de problèmes sur lesquels il faut travailler. Le rôle du corps diplomatique est double : il consiste, d’une part, à influencer les autorités des pays étrangers et, d’autre part, à analyser la situation de ces pays. Sur le premier volet, un changement majeur s’est produit ces dernières années avec la montée en puissance des sociétés civiles par le biais d’Internet. Les ambassadeurs ne peuvent plus se contenter d’échanger seulement avec les représentants de l’État où ils sont en poste, ils doivent désormais se renseigner et contacter les personnalités parfois critiques, qu’il s’agisse d’artistes, d’influenceurs ou de militants, pour établir un dialogue et déminer le terrain.
Sur la question de l’analyse, le Quai d’Orsay a trop tendance à fonctionner en vase clos alors qu’il devrait œuvrer de concert avec les chercheurs spécialistes de ces pays. C’est d’autant plus important que les diplomates, qui ne restent souvent que quelques années en poste par endroit, ne sont parfois pas suffisamment spécialisés, et peuvent commettre de lourdes erreurs d’appréciation. Or, dans un monde désordonné, le travail des ambassadeurs est plus nécessaire que jamais, autant en termes d’influence que d’analyse, pour défendre les intérêts de la France et désamorcer les crises.
Vous avez été à plusieurs reprises ambassadeur en Afrique de l’Ouest, notamment au Mali de 2002 à 2006. Comment interprétez-vous la montée du sentiment antifrançais dans cette région et la récente expulsion de l’ambassadeur de France à Bamako ?
Sur l’Afrique, de manière générale, nous avons un problème de formation. Depuis la disparition du ministère de la Coopération, qui avait remplacé le concours des administrateurs d’Outre-mer, établi durant la période de la colonisation, la spécialité africaine est cantonnée à une section très réduite du concours du cadre d’Orient.
Par ailleurs, en 2013, la France a commis une erreur manifeste lors de l’opération Serval au Mali en s’alliant avec les séparatistes du Nord, ce qui a été très mal perçu par Bamako. Cet épisode, aujourd’hui instrumentalisé par le pouvoir militaire qui accuse Paris de vouloir réaliser la partition du Mali, a favorisé le rejet de la France dans le pays.
Les interventions militaires françaises en Côte d’Ivoire, en Libye et au Mali, ainsi que le maintien des bases militaires, ont également alimenté une suspicion envers la France dans cette région. Enfin, le désintérêt du Quai d’Orsay pour la question du franc CFA, laissée au ministère des Finances, est également une autre grosse erreur, car cette monnaie est considérée par beaucoup en Afrique comme une tutelle sur leur souveraineté.
Clairement, les diplomates français n’ont pas suffisamment pris en compte la sensibilité des anciennes colonies sur la question du respect de la souveraineté, créant un malaise grandissant au Mali, au Niger ainsi qu’au Burkina. À cela s’ajoute l’instrumentalisation de cette problématique par la Russie, qui attise le sentiment antifrançais. Avec la junte militaire au Mali, la France semble avoir atteint un point de non-retour. Mais une amélioration des relations sera peut-être possible par la suite. Pour cela, la France doit se montrer plus à l’écoute des populations et des dirigeants et apprendre la discrétion, voire l’invisibilité, pour sortir de sa position de bouc émissaire.