Emmanuel Macron souhaite à nouveau faire de la lutte contre les inégalités femmes-hommes la “grande cause” de son mandat. Marine Le Pen promet de se mettre “en travers du chemin de quiconque” menacera les femmes. Comment les associations féministes jugent-elles les programmes des deux candidats au second tour de la présidentielle ? Plusieurs acteurs de la défense des droits des femmes répondent à France 24.
Pour cette élection présidentielle, l’association Osez le féminisme a travaillé sur un “féministomètre”. Un outil qui permet de mesurer les propositions en faveur du droit des femmes dans les programmes des candidats. “On est ‘apartisan’”, explique Fabienne El-Khoury, l’une des porte-parole d’Osez le féminisme, “mais notre association est politique, car le féminisme est éminemment politique”, admet-elle. Les militantes ont passé le programme des candidats, leurs déclarations, leur vote au Parlement à la loupe, pour tenter d’obtenir un résultat le plus transparent possible.
Pour France 24, des militantes d’Osez le féminisme, de la Fédération nationale Solidarité Femmes et de la Fondation des Femmes, ainsi que la fondatrice de la Maison des Femmes, ont accepté de se pencher sur le détail des engagements des deux candidats restant en lice au second tour.
Côté Rassemblement national (RN), il en résulte, indique Fabienne El-Khoury que “le programme de Marine Le Pen est misogyne”. “Sur les violences faites aux femmes, elle ne propose rien d’efficace, sur l’inégalité salariale non plus. Elle n’évoque les droits des femmes que sous un prisme raciste, lorsqu’il s’agit de les utiliser pour taper sur les étrangers.”
Les droits des femmes comme moyen et non comme but
Marine Le Pen, dont le projet électoral envoyé dans les boîtes aux lettres des Français accorde une place importante aux femmes, ne fait aucune mention des femmes dans le manifeste détaillant son programme en ligne. Sur son site de campagne, la candidate propose des livrets thématiques. Mais aucun n’est consacré aux femmes. Celles-ci figurent dans le livret “Famille”, où elles sont évoquées à deux reprises en tant que mères dans le volet natalité et GPA. En revanche, la présidente du RN convoque les femmes dans son livret “Sécurité”, aux chapitres consacrés à la lutte contre les agressions, et plus longuement dans un volet sur l’éradication de l’islamisme.
La candidate d’extrême droite consacre ainsi une large part de son adresse aux Français à la lutte contre les “harceleurs”, dont elle propose d’inscrire les noms au fichier des délinquants sexuels, mais ne mentionne pas les agressions sexuelles ou les viols explicitement. Pour Osez le féminisme, l’emploi des mots n’est pas un hasard. “Elle parle rarement de l’ensemble des violences faites aux femmes, préférant suggérer que ce sont les étrangers qui sont la cause de ces violences en jouant sur les stéréotypes”, souligne l’association. “Évidemment, ce genre de violences existent, mais les chiffres nous apprennent malheureusement que les viols ont majoritairement lieu au sein des foyers, et touchent toutes les catégories socio-économiques et toutes les sociétés.”
Des femmes étrangères laissées de côté
Autre proposition passée au crible du “féministomètre”, Marine Le Pen veut doubler le soutien aux mères isolées, tout en renforçant les contrôles pour éviter les fraudes. “Une mesure a priori féministe, mais en réalité stigmatisante”, dénonce Osez le féminisme. “On les aide, mais on les soupçonne. Cela sous-entend aussi que les démarches administratives seront laborieuses pour avoir accès à l’aide, ce qui va réduire l’accès à ce droit.”
Pour Ghada Hatem-Gantzer, gynécologue-obstétricienne, fondatrice de la Maison des Femmes, qui accueille depuis 2016 des victimes de violences à Saint-Denis, au nord de Paris, “le vote pour Marine Le Pen n’est pas une option pour les femmes”. “Nous soignons beaucoup de patientes migrantes, dont certaines en situation irrégulières”, explique à France 24 celle qui est aussi médecin chef de la structure dont une grande partie des financements sont publics. La candidate d’extrême droite, qui souhaite faire de l’immigration la grande cause de son mandat, propose de supprimer l’Aide médicale d’État (AME) pour les adultes tout en gardant un dispositif de soins urgents. Actuellement, cette aide permet aux étrangers vivant en France en situation irrégulière et précaire de bénéficier de l’accès aux soins gratuitement avec dispense d’avance de frais. “De nombreuses patientes ne pourront plus se soigner avant que leur situation ne s’empire. Ce sera catastrophique. Et on va se retrouver avec des maladies à des stades avancés, encore plus compliquées à prendre en charge. On ne peut quand même pas laisser les gens mourir comme ça, d’hypertension ou de diabète ! Quand on lit son programme, ça fait frémir”, réagit Ghada Hatem-Gantzer.
Une proximité avec des dirigeants anti-IVG
“Marine Le Pen lance de grandes déclarations, mais aucune trace de mesure concrète pour les femmes”, reprend Fabienne El-Khoury. “Si elle veut vraiment lutter contre les violences faites aux femmes, comme elle le dit, nous attendons d’elle qu’elle investisse de l’argent dans les foyers pour femmes, qu’elle encourage à l’éducation à la vie affective et sexuelle dès le plus jeune âge pour armer les jeunes, qu’elle finance des lieux d’accueil avec un suivi psychologique, juridique et social, pas qu’elle se cantonne au harcèlement de rue”, insiste la porte-parole d’Osez le féminisme.
La Fondation des Femmes et quatre des principaux réseaux associatifs français de défense des droits des femmes ont interpelé, dans une tribune au JDD, les candidats à la présidentielle, listant 10 mesures à adopter dans un plan d’urgence pour lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes. À l’origine de cet appel, la présidente de la Fondation des Femmes, Anne-Cécile Mailfert, assume de pas avoir proposé à Marine Le Pen de signer le texte. Interrogée par France 24, elle s’explique : “Marine Le Pen n’est pas, et ne sera jamais, du côté des femmes, car c’est une figure de l’extrême droite. Et partout où l’extrême droite a pris le pouvoir, les droits des femmes ont reculé. Elle est certes une femme, mais regardons avec qui elle s’allie [Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, Jair Boslonaro, le président brésilien], qui sont ses soutiens [Gilbert Collard, Éric Zemmour, NDLR]. Elle se découvre féministe cinq ans après #MeToo. Elle a bien compris que la lutte pour les droits des femmes était devenue incontournable en France et comme c’est une populiste, elle dit ce que les gens veulent entendre.”
De nombreuses associations craignent que l’élue d’extrême droite ne s’attaque à l’IVG si elle est à la tête de la France, bien qu’elle n’ait pas parlé ouvertement de s’engager contre le droit à l’avortement. Sur l’IVG, Marine Le Pen s’est positionnée contre un allongement du délai de 12 à 14 semaines, adopté par le Parlement français en février 2022. “Nous nous appuyons sur l’expérience des associations féministes qui vivent cela actuellement dans d’autres pays, comme la Hongrie, où l’extrême droite est au pouvoir”, explique Françoise Brié, la directrice générale de la Fédération nationale Solidarité Femmes, spécialisée dans l’accueil, l’accompagnement et l’hébergement des femmes victimes de violences en France.
Les mots qu’elle emploie ont du sens, analyse Fabienne El-Khoury, qui rappelle que l’élue a souvent évoqué l’”IVG de confort” et continue de véhiculer un discours dramatisant l’avortement, propre aux anti-IVG.
Emmanuel Macron ne va “jamais assez loin”
Concernant Emmanuel Macron, Anne-Cécile Mailfert dit lui avoir transmis l’appel à un plan d’urgence en faveur de la lutte contre les inégalités femmes-hommes. “Il nous a répondu être d’accord sur la plupart de nos propositions. Mais nous attendons. Il ne l’a pas encore signé.”
Le candidat LREM a déclaré faire de l’égalité femmes-hommes une nouvelle fois la “grande cause” de son prochain quinquennat, parce qu’il y a encore “beaucoup à faire”. Mais pour les associations interrogées, il doit encore faire ses preuves.
Françoise Brié salue un certain nombre d’avancées, notamment sur le plan législatif, citant par exemple l’interdiction du recours à la médiation familiale en cas de violences intrafamiliales adoptée en 2020. De son côté, Osez le féminisme salue des démarches qui vont dans le bon sens, mais “jamais assez loin”, comme l’allongement du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur les mineurs de 20 ans à 30 ans, alors que les militantes demandent aussi l’imprescriptibilité.
Concernant le congé paternité, les militantes se félicitent de l’allongement à 28 jours pour l’arrivée d’un enfant, tout en regrettant qu’Emmanuel Macron se soit opposé à une directive européenne plus ambitieuse.
Un milliard d’euros pour l’égalité femmes-hommes
“Il faut reconnaître que sous sa présidence, nous avons beaucoup parlé de la lutte contre les inégalités femmes-hommes qu’il a déclarée grande cause de son quinquennat, mais dans l’ensemble il y a un manque de moyens pour faire appliquer les mesures à tous les niveaux : police, justice, associations”, estime Françoise Brié. “Le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) préconise 1 milliard d’euros, or le budget alloué durant le quinquennat n’a pas dépassé les 340 millions : on est bien en deçà”, s’indigne Osez le féminisme.
“Ce que nous attendons de lui, c’est précisément de consacrer ce milliard d’euros au respect des droits des femmes et d’adopter une loi-cadre qui suive les recommandations du Haut Conseil à l’Égalité”, ajoute Fabienne El-Khoury.
Le “feminism washing” d’Emmanuel Macron
La porte-parole de l’association, qui juge le candidat sur son mandat, se dit frustrée, estimant que le président sortant a fait “énormément de fausses promesses et d’effets de communication non suivis de moyens”. “Les victoires féministes de ces cinq dernières années lui ont été arrachées par la force du lobbying des associations.”
Dans le domaine de l’égalité salariale, Osez le féminisme accuse même Emmanuel Macron d’avoir fait du “feminism washing”, ce qui veut dire “afficher une étiquette féministe, comme pour cocher une case, alors que le travail et l’investissement ne sont pas là”. Dans le viseur, “la promotion sous le mandat d’Emmanuel Macron d’un index d’égalité salariale dans lequel des entreprises ont toutes des bonnes notes, même si elles ne respectent pas la loi”.
Enfin la promotion au ministère de l’Intérieur de Gérald Darmanin en juillet 2020, alors que celui-ci était accusé de viol ne passe décidemment pas auprès des associations de défense des droits des femmes. Dans cette affaire, pour laquelle le ministre n’a jamais été mis en examen, mais seulement entendu sous statut de témoin assisté, le parquet de Paris a requis un non-lieu le 13 janvier 2022, ce qui laisse la voie pour autant à une réouverture des investigations.