Le président-candidat Emmanuel Macron a adopté une stratégie de campagne pour l’entre-deux-tours à l’opposé de celle de 2017 et de celle du premier tour. Il multiplie les déplacements selon un itinéraire très réfléchi.
Le terrain, le terrain, le terrain. C’est le nouveau mantra du président-candidat Emmanuel Macron pour les deux semaines à venir avant le verdict de l’élection présidentielle, dimanche 24 avril. Dès le lendemain des résultats du premier tour, il s’est rendu dans le Nord, à la rencontre des électeurs du bassin minier des Hauts-de-France qui ont voté majoritairement pour sa concurrente, Marine Le Pen.
Son chemin de Compostelle électoral traverse aussi, jeudi 14 avril, Le Havre, sur les terres de son ancien Premier ministre Édouard Philippe, après un passage par la région du Grand Est. Emmanuel Macron se rend ensuite dans le Sud, où il tiendra son principal grand meeting de l’entre-deux-tours à Marseille, samedi 16 avril.
Bougeotte électorale
Principal, car il semble désormais acquis qu’il ne se contentera pas d’une seule grand-messe en public avant le deuxième tour comme cela avait été prévu au début de la campagne. Emmanuel Macron devrait en faire “deux voire trois”, croit savoir Le Parisien. Une envie de meeting qui peut se comprendre vu qu’en face, Marine Le Pen a annoncé deux grands rendez-vous : le premier à Avignon le 14 avril et le second à Arras sept jours plus tard.
Emmanuel Macron n’a, en outre, pas encore révélé son programme pour la deuxième semaine, ce qui pourrait lui permettre d’afficher encore plus de kilomètres à son compteur de campagne.
Cette bougeotte électorale est l’opposé de l’entre-deux-tours de 2017. À l’époque, son staff de campagne avait théorisé le “principe de la campagne en surplomb (peu de déplacements) afin de ‘présidentialiser’ Emmanuel Macron”, rappelle Paris Match.
Une stratégie qui avait failli lui coûter cher. Marine Le Pen avait commencé par réduire son écart dans les sondages en allant serrer le plus de mains possibles sur le terrain, tandis qu’Emmanuel Macron apparaissait comme celui qui fêtait à La Rotonde sa première place à l’issue du premier tour.
Pas question de refaire la même erreur, surtout que le président-candidat est déjà resté en retrait durant le premier tour de cette élection présidentielle. Il est plus que temps “d’occuper le terrain, y compris médiatique, afin de se construire cette image de proximité avec les gens”, note Pierre-Emmanuel Guigo, historien à l’université Paris-Est Créteil et spécialiste de la communication politique, contacté par France 24.
C’est d’autant plus important qu’Emmanuel Macron n’apparaît plus comme le petit nouveau de l’élection, et que ces cinq ans d’exercice du pouvoir ont laissé chez une partie de l’électorat un arrière-goût de président arrogant et qui peut prendre les Français de haut, rappelle l’historien.
Des déplacements plus évidents qu’en 2017
La situation électorale est “aussi beaucoup moins confortable pour Emmanuel Macron qu’il y a cinq ans”, souligne Pierre-Emmanuel Guigo. La digue du front républicain semble moins hermétique, tandis que Marine Le Pen dispose d’une réserve de voix naturelle – celles d’Éric Zemmour – qui n’existait pas en 2017.
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Battre le terrain s’impose aussi pour le président sortant parce qu’il sera beaucoup moins aisé de dominer son adversaire durant le débat de l’entre-deux-tours. “En 2017, il s’était moins déplacé aussi pour se préparer au débat, ce qui s’était avéré payant. Cette fois-ci, Marie Le Pen aura appris de ses erreurs”, estime Pierre-Emmanuel Guigo. La candidate d’extrême droite a d’ailleurs un calendrier de déplacements moins chargé qu’il y a cinq ans afin d’être prête pour le face-à-face. Son grand meeting de l’entre-deux-tours est d’ailleurs programmé le lendemain de l’exercice. En un sens, les stratégies semblent s’être inversées.
Enfin, la carte électorale du premier tour semble plus lisible qu’en 2017, “ce qui fait qu’il est plus facile de déterminer les lieux à privilégier pour tenter de convaincre”, note l’historien. Il n’y a que trois candidats qui ont dépassé les 10 % au premier tour, ce qui fait qu’Emmanuel Macron peut se concentrer sur les régions où le troisième homme – c’est-à-dire Jean-Luc Mélenchon – a fait un bon score.
Et il ne s’en prive pas, puisqu’il va là où le candidat malheureux de La France insoumise est arrivé en tête – à Strasbourg et Mulhouse, dans la région Grand Est – et tiendra son meeting dans le fief électoral de Jean-Luc Mélenchon, qui est député des Bouches-du-Rhône. Même son déplacement en Normandie a des accents de pêche aux voix à gauche, puisque Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête au Havre.
Reste qu’il ne s’agit pas seulement d’une grande opération séduction de l’électorat de La France insoumise. Ce sont avant tout des rendez-vous en terre politiquement inconnue. “Il a surtout choisi des lieux où il n’est pas arrivé en premier, voire des circonscriptions qui lui sont les plus hostiles”, résume Pierre-Emmanuel Guigo.
Ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron a commencé par le Nord où Marine Le Pen est la plus forte, avant de faire la tournée des fiefs mélenchonistes. Le message est, une fois encore, “de montrer qu’il est ouvert au dialogue, capable d’écouter des avis très différents du sien. C’est toujours dans l’optique de brouiller cette image du président qui n’écoute pas le peuple”, assure Pierre-Emmanuel Guigo.
Attention aux petites phrases
Une attitude qui tranche avec la stratégie adoptée par Marine Le Pen, qui privilégie les déplacements dans des villes où elle a déjà réalisé un bon score, comme à Avignon.
Les péripéties de la campagne renforcent, en outre, ce décalage. Emmanuel Macron a beau avoir été pris à partie plusieurs fois durant ses déplacements, il n’est jamais apparu comme étant dans le refus de la discussion. Rien à voir avec les images de la militante écologiste traînée hors de la salle parisienne où la candidate d’extrême droite avait organisé une conférence de presse mercredi.
Mais cette stratégie d’aller chercher l’électeur mélenchoniste ou abstentionniste avec les dents, comme le dirait l’ex-président Nicolas Sarkozy qui a apporté son soutien à Emmanuel Macron, n’est pas sans risque.
D’abord, “si Emmanuel Macron est plutôt bon dans le dialogue improvisé, il peut lui arriver de lâcher des petites phrases qui peuvent le desservir”, rappelle Pierre-Emmanuel Guigo. Le “mais vous êtes fou ou quoi” lancé par Emmanuel Macron à un Français qui l’accusait d’avoir “tué l’hôpital” lors de son déplacement en Alsace a commencé à faire le tour des médias.
Ensuite, il ne faut pas qu’il oublie ses électeurs du premier tour. À trop parler à des mélenchonistes ou des électeurs d’extrême droite, il risque de donner l’impression de prendre ces votes du premier tour pour acquis “alors qu’il y a toujours le risque de l’abstention”, souligne Pierre-Emmanuel Guigo. C’est l’une des raisons de son détour par Le Havre, pour se rappeler au bon souvenir de son ex-Premier ministre qui reste très populaire parmi l’électorat de LREM. Et il est aussi question d’un retour aux sources à Amiens, la ville d’où vient Emmanuel Macron.
Mais cette priorité au terrain a, pour l’instant, fait une victime : le numérique. “ll n’y a aucune initiative notable sur les réseaux sociaux, alors que c’est tout de même le média de prédilection des jeunes qui, pour partie, se sont abstenus et pourraient être convaincus”, s’étonne l’historien. C’est un entre-deux-tours qui fleure bon les campagnes d’antan. Mais peut-être qu’Emmanuel Macron, lorsqu’il aura trop usé ses souliers, s’invitera encore chez l’un ou l’autre youtubeur, comme il l’avait déjà fait en mai 2021 avec McFly et Carlito, deux stars francophones de la plateforme de vidéos en ligne.