Le général russe Alexandre Dvornikov est devenu, dimanche, le premier chef de toutes les forces armées engagées en Ukraine. Cette nomination d’un militaire connu pour avoir mené la stratégie russe de bombardements intensifs en Syrie fait craindre une intensification des exactions contre les civils.
Les faubourgs de Grozny en Tchétchénie au cœur d’Alep en Syrie, il traîne une réputation sulfureuse de militaire prêt à tout pour atteindre ses objectifs. Certains, à l’instar du général américain et ancien chef de la CIA David Petraeus, l’ont même surnommé “le boucher de Syrie” pour son rôle de premier plan durant la campagne militaire russe en Syrie. Dorénavant, le général Alexander Dvornikov va s’occuper de la guerre en Ukraine.
Ce militaire très respecté par Vladimir Poutine et tout aussi redouté par ses ennemis a été nommé, dimanche 10 avril, pour coordonner les opérations en Ukraine. Cette prise de fonction n’a pas été annoncée officiellement par Moscou, mais elle a été confirmée à plusieurs médias anglo-saxons par des sources militaires américaines.
L’homme des situations difficiles
C’est la première fois, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, que l’ensemble des forces armées se retrouvent dirigées par un seul commandant, note le Washington Post. Auparavant, il y avait un général pour chaque front (nord, sud et est), souligne l’Institute for the Study of War, un influent blog américain d’analyse militaire.
Cette réorganisation doit permettre de “résoudre les problèmes de communication entre les troupes, qui ont représenté l’une des faiblesses de l’opération militaire russe en Ukraine”, estiment les spécialistes de l’Institute for the Study of War.
Le choix d’Alexandre Dvornikov pour reprendre en main les opérations sur le terrain peut se justifier d’un pur point de vue géographique. Ce général gère, en effet, le district sud de l’armée russe dont dépendent, entre autres, la Crimée et, surtout, le Donbass.
Justement, après avoir échoué à prendre la capitale Kiev, les forces russes se sont repliées afin de se concentrer sur la nouvelle priorité de l’état-major russe : “sécuriser” les Républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk dans le Donbass, dont l’indépendance avait été reconnue par Moscou trois jours avant l’invasion de l’Ukraine.
Alexandre Dvornikov est donc censé connaître le terrain mieux que quiconque. Mais ce général de 60 ans jouit aussi d’une réputation d’homme des situations difficiles et de “vrai poids lourd de l’armée”, souligne Mark Galeotti, spécialiste des questions militaires russes, interrogé par le Washington Post.
Une réputation acquise à l’occasion de la guerre en Syrie. Auparavant, Alexandre Dvornikov avait poursuivi une carrière militaire sérieuse mais sans faits d’armes particuliers. Il a fréquenté “toutes les bonnes écoles de formation et a été affecté aussi bien à des divisions d’infanterie qu’à l’armée de l’air”, rappelle le Guardian.
Tout change en 2015, quand Alexandre Dvornikov devient le premier chef des forces combinées russes en Syrie. À l’époque, le pouvoir de Bachar al-Assad, l’un des principaux alliés de Vladimir Poutine dans la région, semblait vaciller sous les coups conjoints de l’opposition et des jihadistes de l’organisation État islamique, et de l’opposition au pouvoir en place.
C’est Alexandre Dvornikov qui concocte puis applique la stratégie des bombardements intensifs sur plusieurs villes syriennes. Une approche qui, sous couvert de viser les combattants islamistes, permet également d’affaiblir les positions des rebelles anti-Assad.
Une intensification des bombardements indiscriminés ?
Cette stratégie, qui a impliqué la construction d’une base aérienne ex nihilo à Hmeimim, dans l’ouest du pays, prouve à Moscou qu'”Alexandre Dvornikov sait s’adapter à des situations nouvelles”, souligne Mark Galeotti.
Il le fait sans trop d’égards pour les populations civiles. L’aviation russe n’hésite pas à bombarder à répétition des bâtiments tels que des hôpitaux ou des écoles, installant un climat de terreur dans les villes syriennes ciblées. Ces frappes indiscriminées lui valent, au minimum, une réputation de militaire qui ne recule devant rien pour arriver à ses fins, souligne The Guardian.
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C’est de là aussi que lui vient le surnom de “boucher de Syrie”. Cette instrumentalisation de la vie des populations civiles ne semble pas avoir dérangé Vladimir Poutine. Au contraire, le président russe a rappelé son général de Syrie en mars 2016 pour lui offrir le district sud de l’armée russe – l’un des plus importants du pays, en charge notamment de la Crimée, de l’Ukraine et de la Tchétchénie – et lui décerner la médaille de héros de la Fédération de Russie, l’une des plus prestigieuses.
“C’est la brute que Vladimir Poutine appelle quand il veut raser une ville comme Alep. Il fait partie des pires d’entre les pires dans l’armée russe”, estime James Stavridis, un ancien amiral américain interrogé par la chaîne NBC.
Pour ce militaire à la retraite, la nomination d’Alexandre Dvornikov à la tête de toutes les forces engagées en Ukraine suggère qu’il faut s’attendre à d’autres atrocités contre les civils. Il aurait ainsi la même feuille de route qu’en Syrie : utiliser tous les moyens possibles pour retourner une situation militaire difficile.
“Le CV d’Alexandre Dvornikov – qui inclut des brutalités contre les civils – me fait penser qu’il faut s’attendre à plus d’exactions à venir en Ukraine”, a pour sa part estimé Jake Sullivan, conseiller à la Sécurité nationale des États-Unis, lors d’un entretien accordé à l’émission “Face the Nation” de CBS.
Surtout que le Kremlin veut des résultats rapidement. Vladimir Poutine souhaiterait pouvoir clamer victoire avant le 9 mai, date de la grande parade militaire à Moscou en mémoire à la fin de Seconde Guerre mondiale.