Tout au long de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, France 24 part à la rencontre de ceux qui participent à l’événement. Parmi eux, des représentants de la société civile comme Yves Bertoncini, vice-président du Mouvement européen – International, l’une des voix du groupe de travail “L’Europe dans le monde”.
France 24 : Quelle était l’ambiance de cette Conférence pour l’avenir de l’Europe ?
Yves Bertoncini : C’est une ambiance particulière. Déjà parce que cette Conférence est composée de membres qui viennent de pays différents mais aussi d’horizons divers. Les représentants du panel des citoyens apportent beaucoup d’air frais, ils sont enthousiastes de découvrir l’Europe, le Parlement européen. On voit qu’ils sont heureux d’être là et de donner leur avis sur l’avenir de l’Europe. Grâce à eux, c’est un exercice assez revigorant.
Si vous regardez les autres composantes, le Parlement européen est bien représenté aussi, par des gens motivés qui apportent de l’énergie, ce qui est moins le cas au niveau des parlements et des gouvernements nationaux, qui ont envoyé de plus grandes proportions d’eurosceptiques, moins impliqués. Enfin, les représentants de la société civile dont je fais partie sont des habitués des discussions européennes et ont saisi cette opportunité sans espoirs démesurés.
Mais l’ambiance a surtout été étrange au début de la Conférence, lorsqu’elle a été lancée de manière virtuelle et forcée le 9 mai 2021, après un an de pandémie. À cause de ce retard et du contexte sanitaire, l’hémicycle était à moitié vide et la Conférence manquait de cohésion. Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux, mais cela n’arrive hélas qu’au moment où la Conférence touche à sa fin.
Vous auriez aimé poursuivre les échanges ?
Je pense qu’on aurait dû prolonger l’expérience et garder les deux ans initialement prévus. Un an n’est pas suffisant. Les autorités françaises ont décidé d’y mettre fin mais je le regrette. Il faudrait au moins que cela soit poursuivi par d’autres moyens, avec une convention par exemple. Une convention européenne qui serait lancée après coup mais qui serait un peu moins citoyenne, avec les institutions, les parlementaires. Ça permettrait de prolonger l’élan.
Êtes-vous tout de même satisfait des résultats ?
Oui. Les neufs groupes répartis par thèmes ont produit de bons documents, basés sur les formulations des panels citoyens. De ce point de vue-là, ce sont des documents utiles. Les citoyens sont plutôt sages et raisonnables, guidés par l’idée que l’union fait la force alors que certains d’entre eux sont loin d’être enthousiastes pour l’Europe. Je pense donc que ce qui va en sortir sera de bonne tenue. La question est de savoir quel sera le sort de ces productions.
On peut justement penser que cette Conférence est un énième comité Théodule qui ne va rien donner de concret ?
Nous n’avons jamais dit que toutes les propositions seront retenues et concrétisées, c’est certain. Il y aura des déceptions. Mais les participants auront fait le processus d’apprentissage de la concitoyenneté européenne.
Il y a deux éléments qui laissent penser que tout cela n’aura pas servi à rien. D’abord, les propositions sont largement fondées sur des impulsions citoyennes. On a mobilisé ces citoyens dans tous les États membres mais aussi au niveau paneuropéen parce que c’est ça l’Europe : faire débattre un Letton avec un Espagnol, un Italien et un Slovène. Ce n’est pas seulement débattre entre Français. C’est une belle impulsion civique.
Ensuite, tout se fait dans un contexte géopolitique particulier – marqué par la guerre en Ukraine mais aussi la pandémie de Covid-19, les défis climatiques, la montée en puissance de la Chine, etc. – qui pousse à l’unité de l’Europe.
Pour ces deux raisons, il y a peut-être une chance pour que les résultats de la Conférence ne s’enlisent pas dans les tractations interinstitutionnelles européennes classiques. Mais il faudra arriver à combiner le contexte civique et géopolitique qui est porteur et les urgences institutionnelles ainsi que les divisions entre les États membres qui sont moindres, mais qui sont sous-jacentes si l’on parle du futur de l’Europe.
Vous parlez du contexte géopolitique actuel avec la guerre en Ukraine. Dans le cadre de cette Conférence, vous faites justement partie du groupe “L’Europe dans le monde”. Avez-vous vu un changement dans votre groupe depuis le début du conflit ?
Assurément. Et c’est une bonne illustration de ce que peut avoir d’utile un rapport citoyen. D’une manière générale, les citoyens pensent que l’union fait la force. Ils sont conscients que les Européens ne représentent que 5 à 6 % de la population mondiale et qu’ils ne font pas le poids face à certains de leurs voisins.
Lorsque la guerre en Ukraine s’est déclenchée, les citoyens se sont montrés assez sages. Ils n’ont pas appelé à une armée européenne mais à des armées nationales mobilisables dans un cadre atlantique, et également dans un cadre européen pour l’autodéfense.
Quand je suis arrivé à cette Conférence, je me suis dit que les citoyens allaient proposer une armée européenne. On sait, notamment en France, combien c’est difficile de faire ça. La Communauté européenne de défense a été rejetée en 1954. L’Europe de la défense, l’armement commun, c’est difficile. J’ai donc été agréablement surpris de constater que les propositions n’allaient pas dans ce sens mais plutôt pour des mobilisations conjointes.
Autre exemple, les citoyens ont réfléchi sur la production des armes mais surtout sur le contrôle politique et la question de l’export de ces dernières. Leur proposition était de regarder comment produire ces armes mais surtout comment les exporter correctement, c’est-à-dire qu’ils ne souhaitaient pas que ces armes soient envoyées à des dictateurs, par exemple. C’est un bon exemple porté par les citoyens. Les industriels de l’armement sont moins scrupuleux. Cette délibération collective à la fois civile et politique permet de dégager des éléments de compromis européen.
C’est là l’illustration de la réflexion citoyenne conjointe, intelligente, des Européens, qui confrontent leurs idées avec les parlementaires et qui arrivent à prendre en compte le contexte géopolitique qui évolue. En émergent des propositions assez solides qui méritent d’être regardées.
C’est une pierre dans le jardin européen. Ceux qui nous protègent de Poutine, ce sont les Américains et l’Otan, donc il faut qu’on se muscle davantage. C’est utile d’entendre ces propositions et nécessaire d’y réfléchir. On ne sait pas ce qui se passera dans quelques années. Et c’est bien que l’on commence à réfléchir à cela dès maintenant, parce que ça prend du temps de mettre en place un contrôle politique, une production des armes. J’espère que tout le monde prendra le temps de s’y intéresser parce que si ce n’est pas le cas, nous nous exposons à des déconvenues, y compris en France.