Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a appelé mardi le Conseil de sécurité de l’ONU à se réformer ou à se dissoudre. Les rapports sur les atrocités commises par les Russes à Boutcha et dans d’autres villes de la région de Kiev montrent que le système onusien est peut-être “failli”, mais qu’il continue à faire son travail.
Volodymyr Zelensky n’a pas mâché ses mots, mardi 5 avril, pour son premier discours devant le Conseil de sécurité de l’ONU depuis le début de l’invasion de son pays par la Russie. Le président ukrainien, vêtu de sa désormais caractéristique tenue militaire, a mis l’accent sur l’incapacité du principal organe mondial à remplir sa mission de maintien de la paix et de la sécurité internationale.
“Vous pouvez exclure la Russie en tant qu’agresseur et à l’origine de la guerre afin qu’elle ne bloque pas les décisions relatives à sa propre agression”, a déclaré l’acteur de télévision devenu président de guerre. “Ou, s’il n’y a pas d’alternative, la prochaine option serait de carrément vous dissoudre.”
Volodymyr Zelensky a tenu ce discours au lendemain de sa visite très médiatisée à Boutcha, où il accuse les troupes russes d’avoir commis “des crimes de guerre” et “un génocide” pendant qu’elles occupaient cette ville au nord-ouest de Kiev.
Devant les 15 États membres l’organe exécutif de l’ONU, il appelé à l’exclusion de la Russie du Conseil de sécurité et à une réforme du système des Nations unies, afin que “le veto ne signifie pas le droit de mourir”. Avant d’avertir : “Si cela se poursuit, les pays ne pourront compter que sur la puissance de leurs propres forces pour assurer leur sécurité, et non plus sur le droit international, sur les institutions internationales,” et “les Nations unies n’auraient qu’à fermer.”
Une fois de plus, la guerre en Ukraine a mis en lumière les imperfections du principal organe de sécurité mondial, au sein duquel cinq membres permanents – la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie – ont le pouvoir de bloquer le vote de résolutions. Les débats et les propositions de réforme de ce supposé “système failli” des Nations unies sont légion depuis son origine, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Élargir le cercle des membres permanents
Le droit de veto – qui est à l’origine d’une grande partie des difficultés actuelles du Conseil de sécurité – a été mis en place dès à la conférence de San Francisco, en 1945, devant jeter les bases de l’ONU en créant un successeur à la Société des nations (SDN), qui s’est avérée impuissante à empêcher la Seconde Guerre mondiale.
Lors de discussions avec le dirigeant soviétique Joseph Staline, le président américain d’alors, Franklin D. Roosevelt, avait plaidé pour que le droit de veto soit limité à un nombre restreint de pays disposant des effectifs nécessaires à des expéditions militaires. Selon Roosevelt, le consensus – plus facile à trouver avec un groupe de pays restreint – devait permettre au nouveau Conseil de sécurité de surmonter les problèmes que connaissait la SDN.
“Mais deux ans après la création de l’ONU, la Guerre froide a commencé – c’était la fin du consensus que Roosevelt essayait d’établir avec Staline à cette époque”, explique sur France 24 Yves Doutriaux, ancien ambassadeur adjoint français à l’ONU.
La fin de la Guerre froide n’a pas pour autant permis de surmonter les blocages. Depuis 2010, la Russie, souvent associée à la Chine, a utilisé son veto à 23 reprises, principalement dans le conflit syrien. En comparaison sur la même période, les États-Unis ne s’en sont servis que quatre fois, principalement sur la “question palestinienne”. Le Royaume-Uni et la France n’ont, quant à elles, pas utilisé leur droit de veto depuis 1989.
Outre la question du droit de veto, des puissances émergentes comme l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud affirment que la limitation du Conseil de Sécurité à cinq membres permanents ne reflète pas l’évolution de l’équilibre des pouvoirs dans le monde.
La limitation actuelle ne représente pas non plus la population mondiale : comme l’a fait valoir en 2009 l’ancienne ambassadrice des États-Unis auprès des Nations unies, Samantha Power, les cinq membres permanents représentaient au départ 40 % de la population mondiale, contre 29 % maintenant.
Parmi les propositions de réforme, on retrouve des appels à l’élargissement du Conseil aux nations les plus peuplées du monde (l’Inde, le Brésil ou encore l’Indonésie) ou encore à l’inclusion d’une ou plusieurs nations africaines (le Nigeria, l’Éthiopie et l’Égypte).
Difficulté d’une “alliance mondiale” qui “sécurise le monde libre”
Cependant, la guerre en Ukraine a montré que bon nombre des aspirants au Conseil de sécurité n’ont pas rejoint une “alliance mondiale unissant les démocraties” et qui “sécurise le monde libre”, comme l’expliquent Michael Beckley et Hal Brands dans un article pour le magazine américain Foreign Affairs.
Plusieurs d’entre eux ne se sont pas joints aux condamnations de l’agression de la Russie et de la violation de la souveraineté de l’Ukraine. Ils n’ont pas non plus répondu présents aux appels lancés par les États-Unis et l’UE pour sanctionner Moscou.
Quelque 35 pays, dont l’Inde et l’Afrique du Sud, se sont abstenus le 3 mars lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies condamnant l’invasion de l’Ukraine. Si la résolution a été adoptée à une majorité écrasante (141 voix sur les 193 pays membres), 16 pays africains entretenant des liens étroits avec la Russie se sont abstenus.
La dépendance à l’égard du matériel militaire russe bon marché et la sympathie pour Moscou lors des luttes anticoloniales et anti-apartheid expliquent, dans une certaine mesure, la plupart de ces abstentions. La Russie a aussi tiré profit du sentiment anti-Occident dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie du Sud et d’Amérique latine, ciblant des pays comme l’Inde, le Pakistan, le Mali et la Centrafrique avec des campagnes de désinformation.
Pas de consensus, pas de réforme
La position de l’Inde, par exemple, est ambiguë concernant l’invasion de l’Ukraine. New Delhi s’est abstenu à plusieurs reprises de la condamner, mais son malaise face aux actions de la Russie est évident dans ses déclarations fermes à l’ONU appelant au “respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États” – sans toutefois nommer Moscou.
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Pour l’Inde comme pour d’autres pays, cet exercice d’équilibre ne repose pas seulement sur la dépendance à l’égard des armes russes, mais aussi sur une dette diplomatique pour le soutien passé de Moscou au Conseil de sécurité sur des questions liées aux intérêts régionaux et de politique étrangère de New Delhi.
Dans la tradition diplomatique onusienne, les pays membres de l’Assemblée générale s’associent généralement à un des membres permanents du Conseil de sécurité. Ce dernier opposera son veto à toute résolution dirigée contre eux en échange d’avantages diplomatiques, économiques ou sécuritaires.
Bien que la plupart des membres permanents se déclarent officiellement favorables à un élargissement, le mouvement est bloqué dans les faits en coulisses par les actuels détenteurs du droit de veto ainsi que par les rivaux géopolitiques des pays qui ont été proposés pour un siège permanent.
“Le Conseil de sécurité est bloqué à dessein, car les Nations unies ont été bâties ainsi”, note Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch (HRW). “La réforme du Conseil de sécurité est à l’ordre du jour depuis longtemps, mais elle ne peut aller nulle part à moins que les cinq membres permanents ne soient d’accord. Or, il n’y a pas de consensus à ce sujet.”
Des organes de l’ONU actifs malgré un Conseil de sécurité “dans l’impasse”
Cependant, le responsable de HRW met en garde contre les critiques excessives qui ferait du système onusien un système failli. “Le Conseil de sécurité est peut-être dans l’impasse, mais les autres organes de l’ONU agissent dans la limite de leurs possibilités”, explique Kenneth Roth. Il mentionne en exemple le vote de l’Assemblée générale condamnant l’invasion de l’Ukraine, ainsi que les activités d’organes tels que la Cour pénale internationale (CPI) et le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU (CDH).
Signe de son activité, l’Assemblée générale des Nations unies a voté, jeudi 7 avril, la suspension de la Russie du CDH en raison de “violations et d’abus flagrants et systématiques des droits de l’Homme” en Ukraine. Quelque 93 voix se sont déclarées favorables à cette suspension, 24 pays ont voté contre et 58 se sont abstenus – dont l’Inde.
New Delhi a cependant durci sa position et a explicitement condamné, en début de semaine, les “rapports de meurtres de civils à Boutcha” et a soutenu les appels à une enquête indépendante – également demandée par l’Ukraine.
Moscou avait averti, de son côté, certains membres de l’Assemblée générale de l’ONU que les abstentions ou les votes positifs sur la résolution seraient considérés comme un “geste inamical” ayant des conséquences sur les relations bilatérales. Après le vote, le porte-parole du Kremlin a averti que la Russie continuera de “défendre ses intérêts par tous les moyens légaux”.
La Russie peut avoir un contrôle sur le Conseil de sécurité avec son droit de veto, mais les actions de la plupart des États membres de l’ONU, ainsi que des gouvernements individuels, garantissent que, même si tous les membres ne sont pas égaux dans le système onusien, ils respectent les principes d’égalité et de justice.
Article traduit de l’anglais par Jean-Luc Mounier. L’original est à lire ici.