Tout au long de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, France 24 part à la rencontre des jeunes citoyens européens participant à l’événement. Près de 800 Européens originaires des 27 pays de l’UE sont concernés. Parmi eux, un tiers a moins de 25 ans. Quelles sont leurs attentes en matière de migration, d’environnement, de santé ou de climat ? Quels sont leurs projets et l’origine de leur implication ? Rencontre avec Camille Girard, l’une des benjamines de la Conférence, originaire de Toulouse.
Depuis son siège en haut de l’hémicycle, Camille bat la mesure du pied droit sur la moquette du confortable Parlement de Strasbourg. Dans quelques minutes, elle va prendre la parole pour livrer son avis sur la séance du jour de l’assemblée plénière de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
Après plusieurs mois de travail au sein du groupe santé, Camille a pris de l’assurance mais c’est la première fois qu’elle va parler en public au Parlement de Strasbourg. Elle ne disposera que d’une minute de temps de parole, alors elle choisit les mots, les remplace et tente de se les réapproprier fébrilement. Le texte prend forme peu à peu, devant elle, sur son téléphone portable. Elle espère provoquer un électrochoc dans les rangs des députés européens participant à l’événement.
“Il faut vraiment que ça les booste un peu plus et qu’ils sortent de leur zone de confort, qu’ils arrivent à gérer nos recommandations différemment de la façon dont ils gèrent les affaires habituellement”, assure-t-elle avec un brin d’impatience. “Je me dis que je n’ai pas fait tout ça pour rien quand même, car j’ai donné de mon temps, de la fatigue, je me suis vraiment donnée à fond. Je veux que notre travail soit utile et mis en application.”
Un message volontaire et empreint d’humilité
À peine le temps d’apporter quelques retouches à son intervention, son nom apparaît sur l’écran géant. Guy Verhofstadt, qui copréside cette assemblée plénière de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, l’invite à prendre la parole.
“C’était très intense. Quand j’ai vu mon nom, je me suis dit que je n’avais plus le temps de réfléchir. Il va falloir se lever. Il va falloir parler. Quand j’ai entendu ‘Girard’, j’ai vite enlevé mon casque. Je me suis levée, j’ai allumé mon micro, j’ai inspiré et j’ai parlé. J’ai regardé ma mère d’un coin de l’œil”, se souvient-elle.
Des mots simples, un message volontaire mais également empreint d’humilité – et un instant immortalisé par sa mère, portable à la main. En tant que mineure, Camille est accompagnée de sa mère pendant les plénières. C’est elle qui l’a inscrite à la Conférence. La candidature de sa fille a été retenue et Camille est même rapidement devenue ambassadrice de son groupe de travail, le panel consacré à la santé. Avant la Conférence, elle était peu habituée aux thématiques européennes mais en quelques mois, le Parlement de Strasbourg est devenu un lieu où elle a pris ses habitudes. Elle a aussi appris à défendre ses recommandations et celles de son groupe de travail.
“C’est la première fois qu’on est là, que les citoyens participent pleinement à cette aventure et donnent leur avis sous cette forme. C’est une innovation. Je pense qu’il faudrait quand même sortir de sa zone de confort. C’est déjà quelque chose de différent qu’on soit là, c’est la première fois”, dit fièrement Camille. “Pourquoi ne pas gérer aussi nos idées différemment ? Et que ça ne prenne pas des années, et qu’il n’y ait pas qu’une seule recommandation sur une centaine qui passe.”
Le bilan de son groupe de travail : 51 recommandations en faveur de la santé
Camille est sur tous les fronts ce samedi-là. Elle interviendra une deuxième fois en tant que porte-parole pour porter les recommandations de son groupe de travail consacré à la santé.
Une cinquantaine de recommandations (51 exactement). Le fruit de plusieurs mois de discussions, de confrontation et de recherche de solutions à des problématiques assez variées. Début octobre, Camille a été élue ambassadrice au sein de son groupe pour travailler au sein de la plénière, un instant clef qui a poussé l’une des benjamines de la Conférence à se lancer pleinement dans l’aventure. À seulement 16 ans, il lui a fallu appréhender un nouvel environnement complexe, apprendre en temps réel le fonctionnement des institutions et approfondir sa connaissance des dossiers de la santé au niveau européen.
Avant le Covid-19, la santé n’entrait que partiellement dans le domaine de compétence de l’Union européenne mais la pandémie a changé la donne. Le groupe de Camille souhaite en profiter pour faire avancer le développement des soins pour tous au sein des 27.
Une santé à échelle européenne et l’inclusion du handicap
Les États membres sont encore loin d’avancer au même rythme dans le domaine de la santé, ce qui chagrine la jeune panéliste et donne lieu à de nombreuses discussions en famille.
“Si j’avais une baguette magique, je crois vraiment que c’est ce que je changerais en premier, parce que là, on n’est pas du tout unis”, déplore Camille. “Dans plein de domaines, d’ailleurs, et ça pose question. Plus d’union, à ce niveau-là, la santé, ça ferait partie de la solution pour que tout le monde aille dans le bon sens”, glisse-t-elle sous le regard complice de son père.
Chez Camille, à Toulouse, l’Union européenne s’est invitée dans les discussions. Le sujet de la santé, lui, était déjà abondamment évoqué. La question du handicap et de l’inclusion retient particulièrement l’attention de Camille et de sa mère.
“Ce sujet-là me touche personnellement. Déjà parce que j’ai quelques personnes dans ma famille qui sont en situation de handicap, et également en raison de mon travail : je travaille dans un service RH”, explique Stéverine, la mère de Camille.
“On en parle, c’est vrai. Ça fait partie du quotidien : du tien et donc du nôtre”, complète Camille. “J’aimerais bien aller porter ça mais j’ai l’impression que mon avis n’est pas encore assez construit. Il y a certains problèmes que je vois à mon échelle mais vous, vous voyez plus dans les entreprises, dans votre vie quotidienne. Moi, je me réveille et je vais au lycée.”
Le baccalauréat et la Conférence sur l’avenir de l’Europe la même année
Mener de front la Conférence et sa vie de lycéenne n’est d’ailleurs pas toujours simple pour la Toulousaine. Mais Camille a appris à jongler entre les cours de terminale, les devoirs à rattraper et sa présence à la Conférence. “Il y a des moments où je me suis dit que j’allais arrêter mais je suis là”, confirme-t-elle dans un sourire.
Son expérience au sein de la Conférence, Camille a décidé de la partager avec ses camarades de classe du lycée Ozenne à Toulouse. Les lycéens n’ont pas forcément une bonne connaissance des institutions mais se prêtent au jeu. Une heure de questions-réponses menées sans langue de bois. Un exercice périlleux pour Camille, qui ne se laisse pas déstabiliser.
“Au début, je ne pensais pas trop que cette Conférence allait vraiment changer quelque chose. Et puis est arrivée la deuxième session, quand j’ai été nommée ambassadrice, et là, ça a un peu changé : il y avait des députés et on a parlé avec eux. Dans les groupes de travail aussi, on était avec eux. On avait l’impression de donner notre avis à des personnes qui peuvent faire quelque chose”, raconte-t-elle.
“Ça t’a donné envie de faire une carrière politique ?”, lui demande un camarade.
“Non, pas du tout, précise-t-elle. Je pense que c’est une expérience très enrichissante mais je ne me vois pas être là-dedans plus tard. C’est très intéressant, j’aime bien pouvoir donner mon avis mais débattre sur des sujets toute la journée, ça ne m’intéresse pas beaucoup.”
“Est-ce que tu penses que ça a un vrai impact politique ou c’est trop difficile de faire ressortir quelque chose parce qu’il y a trop de différences entre les pays ?”, interroge un autre élève.
“C’est compliqué mais je pense qu’on peut essayer de trouver un accord sur tous ces sujets”, rassure Camille.
Cette expérience au sein de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, Camille la partage aussi sur les réseaux sociaux en petit comité, auprès de ses proches et de ses amis, qui se chargent ensuite de la relayer. Peu à peu, Camille s’est prise au jeu. Pour elle, la Conférence est une opportunité.
“La Camille du mois de septembre était perdue et elle s’est dit ‘Dans quoi ma mère m’a embarquée ?’ Et là, la Camille de maintenant, elle se dit ‘Heureusement que ma mère m’y a embarquée parce que c’est vraiment un truc de fou.'”
Une transformation en temps réel : “Maintenant, c’est à fond ‘one life'”
Touchée par le Covid-19 en janvier, elle n’a pas pu participer à la seule séance de travail en dehors du Parlement de Strasbourg, à Natolin, près de Varsovie, en Pologne. La déception passée, elle a décidé de s’investir jusqu’au bout dans cette aventure à la fois humaine et citoyenne.
“Le Covid, le rendez-vous manqué de Natolin, ça a été un électrochoc. Je me suis dit que c’était une raison de plus pour m’impliquer à fond. Et puis le fait d’en parler autour de moi, que tout le monde me dise ‘Ah, c’est une opportunité de dingue, t’as vraiment de la chance d’être là’ m’a fait vraiment prendre conscience que ça, je ne le vivrai qu’une fois probablement et que, du coup, maintenant, c’est à fond ‘one life’.”
Une transformation, une mue en temps réel qui n’a pas échappé à l’entourage de cette Conférence et notamment aux députés européens venus féliciter Stéverine pour l’implication de sa fille, qui aborde en avril deux de ses dernières séances plénières à Strasbourg avec forcément beaucoup d’attentes et d’émotion. Il y sera question de porter les propositions des groupes de travail. Celui de la santé pourra compter sur l’énergie et la fraîcheur d’une Camille plus investie que jamais.
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