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Ukraine : le massacre de Boutcha, un mode opératoire qui rappelle la Tchétchénie

Tandis que Moscou dément avoir commis tout crime de guerre à Boutcha et accuse l’Ukraine d’avoir procédé à une mise en scène, plusieurs experts dressent un parallèle entre les atrocités découvertes dans cette ville ukrainienne et les crimes de guerre de l’armée russe en Tchétchénie. Une stratégie visant à susciter la terreur dans le but de soumettre les populations civiles à l’occupant.

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La diffusion dans les médias internationaux des photos prises à Boutcha, ville située au nord-ouest de Kiev – photos montrant des corps dans la rue, certains les mains liées dans le dos ou partiellement brûlés, ainsi que des fosses communes –, a suscité l’effroi de la communauté internationale. Les Occidentaux accusent la Russie de “crimes de guerre” tandis que Moscou dément et parle de mise en scène des Ukrainiens.

“Tous les signes pointent vers le fait que les victimes ont été ciblées délibérément et tuées directement. Et ces preuves sont très inquiétantes”, soulignait mardi 5 avril la porte-parole du Haut-commissariat de l’ONU aux droits de l’Homme, Elizabeth Throssell, rappelant que le droit humanitaire international interdit de s’attaquer délibérément aux civils, ce qui équivaut à un crime de guerre.

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Pour Carole Grimaud Potter, spécialiste de la Russie à l’université de Montpellier et fondatrice de Creer (Center for Russia and Eastern Europe Research), interrogée par France 24, le parallèle avec les exactions commises par l’armée russe lors des deux guerres de Tchétchénie (1994-1996 et 1999-2000) est évident. “En Tchétchénie, tout civil était considéré comme un terroriste. Les Russes appelaient cette guerre-là une ‘opération antiterroriste’. Le mot ‘antiterroriste’ a été remplacé cette fois par ‘antinazi’. En Ukraine, Moscou désigne de nouveau un groupe de population, cible des civils considérés comme complices de cette idéologie, ennemis des Russes et qu’il faut écraser”, analyse-t-elle.

En Tchétchénie, les civils ont été “ciblés” tant au sol que par voie aérienne avec des bombardements sur les infrastructures civiles, comme les habitations, les écoles et les hôpitaux, précise la chercheuse. Des enlèvements, des arrestations et de la torture ont également eu lieu. Une stratégie visant “à susciter la terreur, afin que les civils se soumettent à l’occupant”.

Des salles d’interrogatoire ?

Ces derniers jours, Carole Grimaud Potter a reconnu des procédés similaires dans les macabres découvertes de Boutcha. Lundi, les corps de cinq hommes avec les mains liées ont été retrouvés dans la cave d’un sanatorium pour enfants de la ville ukrainienne. “Ça m’a immédiatement fait penser à une salle d’interrogatoire”, affirme-t-elle. “Durant la guerre en Tchétchénie, les Russes avaient mis en place des ‘camps de filtration’, des centres d’interrogatoire où les hommes civils tchétchènes étaient arrêtés et mis en détention pour y être interrogés, y compris sous la torture.”

La chercheuse dresse un parallèle avec l’enlèvement, le 12 mars, d’Oleh Baturin, un journaliste de la ville ukrainienne de Kherson, interrogé huit jours durant par l’armée et soumis à des tortures psychologiques. “L’armée russe semble appliquer les mêmes méthodes.”

La “faiblesse tactique” compensée par “l’écrasement des civils”

“Le procédé est le même qu’en Afghanistan, en Syrie et dans le Donbass, celle d’une culture militaire de la brutalité et de la létalité, une culture militaire déshumanisée”, estime pour sa part Jeff Hawn, spécialiste des questions militaires russes à la London School of Economics, contacté par France 24. “L’institution que représente l’armée ne se préoccupe pas de limiter les crimes de guerre, il n’y a pas de tribunaux qui punissent cela. Les militaires ont toute latitude pour déraper sans aucun garde-fou. C’est donc une façon d’encourager ce genre de comportement”, ajoute-t-il.

À Grozny, lors de la première guerre de Tchétchénie, l’armée russe avait dû gérer sa frustration, n’étant pas parvenue à prendre le contrôle de la capitale tchétchène. “Composée essentiellement de conscrits ne sachant pas à quoi s’attendre, l’armée russe avait fait entrer de longues colonnes de chars et de blindés dans la ville, certaine de renverser en un éclair les dirigeants tchétchènes. Sur place, les blindés russes s’étaient heurtés à des unités de combattants tchétchènes ultramotivés, armés de missiles antichar. En l’espace d’une nuit, des centaines de soldats et de blindés russes étaient tombés dans les embuscades tendues par les Tchétchènes et s’étaient retrouvés pris au piège des flammes”, a relaté le 29 mars la journaliste du New York Times Carlotta Gall, témoin de la prise de Grozny en 1995.

“L’armée russe a compensé sa faiblesse tactique par un écrasement des civils”, analyse Carole Grimaud Potter, qui rappelle que 25 000 civils ont perdu la vie dans ce conflit. Sous l’effet des bombes, Grozny est devenue “un paysage lunaire ravagé. Je me souviens que les immeubles étaient coupés en deux et que le contenu de la vie des gens se déversait de leurs appartements à l’air libre”, décrit Carlotta Gall. En 2003, les Nations unies avaient qualifié la capitale tchétchène de ville la plus détruite sur Terre.

Une médiatisation très différente

Toutefois, un monde sépare la guerre en Ukraine du conflit en Tchétchénie. “À la fin des années 1990, les réseaux sociaux n’existaient pas encore. Les images de la guerre en Tchétchénie avaient été très facilement censurées”, souligne Carole Grimaud Potter. “Des ONG comme Memorial ont travaillé pour documenter ces crimes de guerre. Des journalistes aussi, comme Anna Politkovskaïa, ce qui lui a coûté la vie.”

L’ONG russe Memorial, qui enquêtait depuis plus de trente ans sur les purges soviétiques et recensait les répressions contemporaines, a d’ailleurs été dissoute le 28 décembre par la Cour suprême russe. “Cette décision, intervenue quelques semaines à peine avant l’invasion de l’Ukraine, est-elle une coïncidence ?”, se demande l’historienne.

Aujourd’hui, la Russie doit composer avec les informations diffusées sur les plateformes et par les médias présents en Ukraine, même si l’accès à certaines zones du conflit comme la ville de Marioupol reste très compliqué.

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