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La guerre en Ukraine ravive le spectre d'une explosion de pénuries alimentaires

Alors que les combats se poursuivent en Ukraine, trois semaines après le début de l’invasion russe, de nombreux pays qui dépendent du blé ukrainien craignent de ne bientôt plus pouvoir manger à leur faim. Parmi les premières populations concernées, celles du pourtour méditerranéen. Décryptage.

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“La guerre en Ukraine pourrait entraîner un ouragan de famine”. Cette crainte, formulée le 14 mars par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, fait écho à celle de David Beasley, directeur général du Programme alimentaire mondial : “Les balles et les bombes [en Ukraine] peuvent amener la crise alimentaire mondiale à des niveaux jamais vus auparavant”, s’alarmait ce dernier quelques jours auparavant.

L’Ukraine et le sud-ouest de la Russie sont les “greniers de l’Europe”. Situés sur du tchernoziom, une “terre noire” parmi les plus fertiles du monde, “les deux pays totalisent à eux seuls environ 15 % de la production mondiale de blé, et près de 30 % des exportations mondiales”, rappelle auprès de France 24 Sébastien Abis, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et directeur du club Demeter, think tank spécialisé sur les enjeux agricoles mondiaux. “Il n’y a pas que le blé. Les deux pays représentent 80 % de la production mondiale pour l’huile de tournesol et l’Ukraine est le quatrième exportateur mondial de maïs.”

Mais aujourd’hui, alors que les combats continuent de faire rage en Ukraine trois semaines après le début de l’invasion russe et que l’offensive s’intensifie sur le littoral de la mer Noire, ce grenier est coupé du monde. “Plus rien ne sort des ports ukrainiens”, explique Sébastien Abis. “Et il est impossible de savoir ce que le pays va pouvoir produire et récolter dans les prochains mois”, poursuit le chercheur.

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Si le conflit “a avant tout des conséquences dramatiques sur la sécurité alimentaire des Ukrainiens qui luttent pour trouver de la nourriture sous les balles”, insiste le spécialiste, cette guerre suscite l’inquiétude des nombreux pays qui dépendent du blé ukrainien et craignent de ne bientôt plus pouvoir manger à leur faim.

Des conséquences déjà visibles 

Parmi les premiers concernés par cette conséquence indirecte de la guerre en Ukraine : les pays du pourtour méditerranéen, notamment l’Égypte, la Tunisie ou encore l’Algérie. “Les pays du Maghreb dépendent beaucoup du blé ukrainien”, note Sébastien Abis. “Et cette année, encore plus car ils ont subi une importante sécheresse qui a renforcé leur besoin en importations étrangères.” “De son côté, l’Égypte est le premier importateur mondial de blé et fait venir 60 % de ses importations de Russie et 40 % d’Ukraine.” 

Dans ces États, les effets du conflit dans l’est de l’Europe sont déjà visibles. Dès les premiers jours de l’invasion russe, “les marchés agricoles ont surréagi, anticipant des problèmes d’approvisionnement en blé, entraînant une flambée des prix“, explique Sébastien Abis. Selon les chiffres communiqués par le spécialiste, la tonne de blé dépasse désormais les 400 euros, un niveau historique. À titre de comparaison, elle s’élevait à 280 euros avant le début du conflit et autour de 150 euros la tonne au printemps 2020.

En Tunisie, qui subit une crise économique et une inflation supérieure à 6 %, la population vivait déjà au rythme des pénuries de semoule ou de farine, des produits de première nécessité subventionnés par l’État. Face à la hausse des prix, de nombreux Tunisiens n’arrivent plus à se passer de ces produits subventionnés qui deviennent de plus en plus difficiles à trouver. Il faut désormais souvent passer par le marché noir où ils sont vendus à prix d’or.


En Égypte, la hausse du prix du blé a fait bondir le coût du pain dans les boulangeries. “En parallèle, le gouvernement a tenté de rassurer la population, expliquant avoir des stocks de blé suffisants pour plusieurs mois qui seront regonflés grâce aux récoltes locales du printemps”, note Sébastien Abis. Mais dès le début de l’invasion russe, le pays avait essayé de s’affranchir du blé ukrainien en lançant un appel d’offres à d’autres fournisseurs potentiels. “Rien n’a abouti, les prix proposés étant trop élevés”, explique le spécialiste. “On se retrouve dans un cercle vicieux : quand bien même le pays peut acheter le blé plus cher, cela va forcément se répercuter sur le pouvoir d’achat de la population”, explique le chercheur.

De son côté, l’Algérie a décidé d’opter pour des mesures de prévention. Le gouvernement a ainsi interdit l’exportation de semoule, de pâtes et d’autres produits de consommation dérivés du blé pour préserver les stocks de matières premières. “Mais Alger, lui, a un atout : le pays exporte du pétrole dont le prix atteint des sommets. Cela lui donne la capacité d’acheter du blé, même avec la hausse des prix”, nuance Sébastien Abis.

Des prix “insoutenables” pour les pays en voie de développement

L’Afrique du Nord n’est pas la seule région concernée. L’Indonésie est le deuxième acheteur mondial de blé ukrainien, le Pakistan, la Turquie ou encore les pays d’Asie centrale et l’Afrique subsaharienne en dépendent eux aussi.  

“Je m’inquiète particulièrement pour certains pays d’Afrique de l’Ouest où les stocks en céréales sont très bas, notamment au Mali, au Burkina Faso ou encore au Sénégal”, poursuit Sébastien Abis. “Pour ces pays, les prix actuels sont insoutenables.” Mercredi 16 mars, l’ONU a ainsi réclamé  4,3 milliards de dollars pour aider 17 millions de personnes au Yémen, plaidant que la guerre en Ukraine risquait d’aggraver encore un peu plus la situation dans ce pays en proie à une guerre depuis 2014. Selon l’Organisation, quelque 161 000 personnes seront ainsi bientôt confrontées à une “insécurité alimentaire catastrophique”.

Au total, huit à treize millions de personnes supplémentaires pourraient souffrir de sous-nutrition dans le monde si les exportations alimentaires de l’Ukraine et de la Russie étaient durablement empêchées, estime l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

“Il ne faut pas oublier que cette nouvelle crise vient s’ajouter dans le contexte déjà très difficile lié à la pandémie de Covid-19, qui a déjà provoqué une inflation historique et mis à mal la sécurité alimentaire de nombreux pays“, note Sébastien Abis. 

Le blé, un enjeu géopolitique

Face à cette menace, et alors que cela ravive le spectre des “émeutes de la faim” qui avaient éclaté en 2008 dans plusieurs pays face à la flambée des prix des céréales, le ministre français de l’Agriculture, Julien Denormandie, a appelé l’Union européenne à prendre le relais de l’Ukraine. “Il faut que l’Europe produise plus”, a-t-il assuré, lors d’une interview sur France Inter, estimant que l’UE doit “assumer sa mission nourricière”.

>> France : carburant, entreprises, pêcheurs… le “plan résilience” détaillé par le gouvernement

“Ce que le ministre annonce est certainement la position la plus pragmatique à avoir, mais on ne va pas augmenter les productions d’un claquement de doigt d’ici à cet été”, nuance Sébastien Abis. “Il faut en donner les moyens aux producteurs, il faut revoir les réglementations sur les terres laissées en jachère… Ces dernières années, l’Europe s’était positionnée sur une politique de ‘produire mieux’. Produire plus reviendrait à revoir toute la politique agricole européenne.”

“Le blé, plus que jamais, devient un enjeu géopolitique”, constate le spécialiste. “Car, derrière tout cela se pose aussi la question de savoir comment les États se positionneront par rapport au marché russe. Est-ce que des exportations en céréales russes continueront à circuler ? Vu les besoins de certains pays, très certainement, laissant à Moscou un poids important sur la scène internationale.” 

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