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Affaire Colonna : comment expliquer la flambée de violences qui secoue la Corse

Depuis l’agression en prison du militant indépendantiste Yvan Colonna, condamné à la perpétuité pour l’assassinat du préfet Érignac en 1998, plusieurs villes corses ont été le théâtre de violentes manifestations. Une colère dirigée contre l’État français mais aussi contre les élus de l’île. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, est attendu mercredi.

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C’est un retour en force de la “question corse” dont le gouvernement français se serait bien passé à un mois de l’élection présidentielle et en pleine guerre en Ukraine. Ces deux dernières semaines, le slogan “État assassin” a de nouveau résonné dans les rues de Corte, Ajaccio ou encore Bastia lors de manifestations qui ont tourné à l’émeute, opposant forces de l’ordre et groupes de jeunes prêts à en découdre.

L’étincelle est venue de la violente agression, requalifiée en “tentative d’assassinat en lien avec une entreprise terroriste”, dont a été victime Yvan Colonna, le 2 mars dernier, dans la prison d’Arles, où le militant indépendantiste purge une peine de prison à perpétuité pour sa participation à l’assassinat du préfet Claude Érignac en 1998, événement considéré encore aujourd’hui comme un traumatisme pour le pays.

Depuis cette attaque perpétrée contre le militant par un détenu islamiste particulièrement dangereux, les soutiens d’Yvan Colonna dénoncent une négligence dans sa surveillance. “Comment peut-on justifier, alors même que l’agression atteste d’un acharnement inouï durant huit minutes et qu’elle est entièrement filmée, qu’il n’y ait aucune réaction de la part des surveillants chargés de contrôler les écrans à leur disposition précisément pour éviter ce type de violence entre détenus ?”, interroge l’avocat d’Yvan Colonna, maître Patrick Spinosi, dans une interview accordée à Corse-Matin.

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Au-delà de la question de la responsabilité de l’administration pénitentiaire, ces événements viennent remettre sur le devant de la scène l’épineuse question du rapprochement des détenus corses. Depuis dix ans, les proches d’Yvan Colonna demandent son transfèrement sur son île natale. Une requête refusée officiellement en raison de son statut de “détenu particulièrement surveillé” (DPS). Un statut qui concerne actuellement environ 240 personnes en France, selon le ministère de la Justice, la plupart venant du milieu du grand banditisme et présentant notamment des risques d’évasion accrus.

“Faute politique de l’État”

Le 8 mars, le Premier ministre, Jean Castex, a fini par lever le statut de DPS d’Yvan Colonna alors que ce dernier était plongé dans le coma. Ce statut a également été levé la même semaine pour Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, les deux autres membres du commando Érignac. Une décision prise dans “un souci d’apaisement” et ouvrant la voie à un retour des deux détenus sur l’île.

“Les détenus corses doivent pouvoir purger leur peine près de leur famille. C’est une question humanitaire et conforme à la loi et aux procédures. Même si on n’est pas nationaliste, tout le monde considère ici que ce qui est arrivé à Yvan Colonna est une faute politique de l’État”, explique à France 24 le maire de Bisinchi, Pierre Olmeta, qui a récemment lancé une pétition, signée par plus de la moitié des édiles de Haute-Corse, pour appeler au calme et exiger le retour des prisonniers corses sur l’île.

Si le sentiment d’injustice concernant le sort des prisonniers corses explique en partie l’ampleur de la mobilisation, l’importance de la figure d’Yvan Colonna joue également un rôle prépondérant. “Colonna incarne dans l’imaginaire collectif une sorte de Robin des bois, un bandit social, l’image de celui qui résiste au système, d’autant plus qu’il a toujours clamé son innocence. Il est devenu le mythe fédérateur de tout le nationalisme”, précise à France 24 Thierry Dominici, docteur en sciences politiques et chargé de cours à l’université de Bordeaux. “Pour la jeune génération corse, Yvan Colonna est même la seule image de ce nationalisme de résistance qui promeut des actions contre l’État français.”

Jeunesse corse “radicalisée”

Fer de lance de la contestation, la jeunesse corse apparaît en effet en première ligne dans les manifestations qui secouent l’île, en particulier “des syndicats étudiants affiliés à des mouvements nationalistes qui réclament l’indépendance”, assure Pierre Olmeta. “Derrière, il y a aussi des élus qui mettent de l’huile sur le feu”, déplore le maire de Bisinchi.

Parmi ces jeunes, nés après l’assassinat du préfet Érignac, beaucoup rejettent le nationalisme non violent ancré dans les institutions républicaines porté par l’autonomiste Gilles Simeoni, le président du Conseil exécutif de Corse depuis 2014.

Contrairement aux autres régions françaises, la vie politique en Corse n’est pas dominée par des partis traditionnels comme Les Républicains, La République en marche ou La France insoumise. Ce sont des partis nationalistes qui sont aux manettes. Ces derniers réclament une plus forte autonomie pour l’île mais rejettent l’action violente, incarnée pendant plusieurs décennies par le groupuscule du Front de libération nationale corse (FLNC).

“Il y a deux formes de nationalisme qui aujourd’hui s’entrechoquent. Le nationalisme majoritaire au pouvoir et un nationalisme plus populaire qui estime que les élus ne vont pas assez loin en matière de revendications”, analyse Thierry Dominici. “Aujourd’hui, certains de ces jeunes, inspirés par les black blocs et les Gilets jaunes, sont dans une logique de révolte et ils estiment que la violence a permis de remettre la Corse à l’agenda politique et médiatique”, précise le chercheur.

Pour ces militants indépendantistes, aucune des revendications nationalistes comme une plus grande autonomie, la reconnaissance du peuple corse ou encore de la langue corse dans les documents officiels n’a été prise en compte par le gouvernement français. 

À cette conviction d’être méprisée par Paris s’ajoute un manque de perspectives criant pour la jeune génération, confrontée à un fort taux de chômage et un coût de la vie qui s’envole.

“Il n’y a plus d’échappatoire”

Selon les élus au pouvoir en Corse, ce manque de considération du gouvernement français vis-à-vis des aspirations nationalistes a contribué à cette radicalisation.

“Nous avons gagné les élections à trois reprises à l’Assemblée de Corse et il n’y a pas eu l’ombre d’un début de réponse aux problèmes politiques que nous posions”, s’indigne auprès de France 24 le député de Haute-Corse Jean-Félix Acquaviva. “Il y a une techno-structure autour d’Emmanuel Macron qui plaide pour un discours de fermeté face à des nationalistes favorables à la démocratie. Comme si le gouvernement préférait avoir en face de lui des clandestins armés qui faisaient des attentats”, affirme le député.

Un épisode du quinquennat a particulièrement marqué les esprits et symbolisé la défiance qui règne entre Paris et les élus corses. En février 2018, à l’occasion des 20 ans de l’assassinat du préfet Claude Érignac, Emmanuel Macron se rend sur l’île. Le lendemain des commémorations, il prononce un discours à Bastia perçu comme très méprisant par les élus nationalistes qui, comble de l’humiliation, sont fouillés avant son allocution.

“Cela a été une visite particulièrement traumatisante“, résume Jean-Félix Acquaviva, qui explique avoir refusé d’être fouillé ce jour-là par les services de sécurité.

Cette même année, Emmanuel Macron avait pourtant lancé une réforme constitutionnelle qui ouvrait la voie à une évolution du statut de l’île avec de nouveaux pouvoirs, y compris en matière fiscale, mais cette réforme avait été bloquée par le Sénat.

Conscient du caractère hautement inflammable de la situation en Corse, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, est attendu, mercredi 16 mars, sur l’île de Beauté pour “ouvrir” un “cycle de discussions” avec “l’ensemble des élus et des forces vives de l’île”.

“Cela arrive tard mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Cependant, je n’attends rien de cette visite car nous sommes à 30 jours de l’élection présidentielle et rien ne pourra se décider maintenant”, avance Pierre Olmeta.

De son côté, Jean-Félix Acquaviva assure qu'”il n’y a plus d’échappatoire” et que le ministre doit impérativement venir avec un discours et des propositions en faveur d’une plus grande autonomie de l’île. “Cela ne peut pas être un rendez-vous manqué”, prévient le député. “Sinon, le remède pourrait être pire que le mal.”

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