Alors qu’une nouvelle loi sanctionne jusqu’à quinze ans de prison ceux qui diffuseraient des informations visant à “discréditer” l’armée russe, et que les réseaux sociaux, Facebook, Twitter et TikTok, ne sont plus disponibles en Russie depuis la semaine dernière, nous avons demandé à Maya Volf, productrice du YouTubeur russe d’opposition Ilya Varlamov, s’il était désormais possible de contourner la censure.
Maya Volf est responsable de production d’Ilya Varlamov, qui parle activement de la guerre en Ukraine sur sa chaîne YouTube d’actualité politique. Elle se trouve actuellement à Amsterdam, mais une partie de son équipe demeure encore en Russie. Pour des raisons de sécurité, elle ne peut pas nous dire où se trouve Ilya Varlamov.
Contactée par la rédaction des Observateurs de France 24, Maya Volf explique :
Certains écrivent sur Twitter : “Les Russes, vous pouvez arrêter cette guerre”. Mais, non ! Les Russes ne le peuvent pas. Informer et s’informer est vraiment dangereux pour nous et pour nos familles. Par exemple, mon mari est en Turquie en ce moment, car j’ai peur pour lui”.
TikTok est fermé, Twitter aussi, Facebook de même… Comment les Russes anti-guerre s’informeraient-ils ? Il y a Instagram pour le moment, Telegram et WhatsApp. Ils ont également YouTube pour l’instant, mais nous pensons que YouTube sera fermé et qu’Instagram le sera également, et qu’il n’y aura bientôt plus que Telegram”.
Pour échapper à la censure, un “nouveau dictionnaire” obligatoire
Les nouvelles lois en Russie font que nous ne pouvons pas écrire ce que nous voulons dire. Nous ne pouvons plus nommer la guerre. Nous pouvons juste écrire ce que le ministère russe partage. Actuellement, le journalisme en Russie est mort, parce que si nous écrivons, par exemple, sur la mort de soldats russes, nous irons en prison pour quinze ans.
Avec cette nouvelle loi, c’est comme un nouveau nouveau dictionnaire.
On ne peut plus dire “guerre”. Dire “Gloire à l’Ukraine” est interdit car c’est considéré comme de l’extrémisme. Dire “Non à la guerre”, c’est aussi de l’extrémisme ! C’est vraiment un désastre. Donc nous parlons de la guerre sans utiliser tous ces mots : nous parlons de la “situation en Ukraine”, de “tanks” […], mais nous faisons relire chaque mot par nos avocats…
En tant que journaliste, si j’ouvre notre chaîne d’information en Russie et que je lis les nouvelles, je peux voir que les articles sont écrits avec des mots étranges, mais je peux comprendre pourquoi. Je sais que c’est un nouveau dictionnaire utilisé par les ’pour parler de la guerre en Ukraine. Mais il y a plein d’autres personnes qui ne savent pas ce qu’il se passe. Nous, nous lisons à travers les lignes de l’information, mais ces personnes-là, comment peuvent-elles comprendre ce qu’il se passe en Ukraine ?
Certains YouTubeurs et blogueurs russes s’opposant à la guerre utilisent également un langage “codé” pour contourner la censure. Dans une publication sur son compte Instagram le 6 mars, après que la loi sur les fausses informations ait été votée, Youri Doud, un YouTubeur russe connu pour ses reportages sur des sujets non évoqués dans les médias d’État russes, a partagé une chanson intitulée “Guerre de Cent Ans”.
Le groupe “Noise” a publié cette chanson la veille du bombardement du pays par les troupes russes. La chanson ne mentionne pas directement la guerre en Ukraine, mais dans les commentaires, le groupe explique :
Nous avons discuté […] de ce que doit faire un artiste lorsqu’il n’a absolument aucun moyen d’influer sur le cours de la catastrophe sociale et politique actuelle. Nous en sommes arrivés à la conclusion que nous tous, la minable intelligentsia artistique, qui ne sommes que des pellicules sur les bretelles d’un généralissime effrayé, n’avons d’autre choix que de témoigner honnêtement de ce qui se passe. C’est ce que nous faisons. PAIX.
Face à la loi russe anti fake news et le départ précipité des réseaux sociaux, les YouTubeurs russes indépendants étouffent
Maya Volf confie :
Nous travaillons depuis plus de dix ans en Russie, mais maintenant, c’est la période la plus difficile pour nous. Nous gagnons de l’argent grâce à YouTube, à Google et aux publicités. Et maintenant, à cause de la crise, Google a arrêté la monétisation en Russie. YouTube est pourtant le canal le plus important pour avoir de l’argent : nous ne pouvons pas nous enregistrer comme média à cause de la censure en Russie.
Je comprends les sanctions, mais elles sont aussi très douloureuses pour l’opposition russe. Les sanctions s’en prennent à nous, en plus des mesures du gouvernement russe…
Pour contourner les blocages, les plus habiles utilisent les VPN et Tor
Les YouTubeurs Ilya Varlamov, comme Youri Doud, conseillent sur leurs chaînes YouTube d’utiliser un VPN, une technologie qui permet d’accéder à des sites Web bloqués en masquant leur emplacement.
Selon le site Top10VPN, un service qui suit l’utilisation de la technologie, la demande pour un VPN a grimpé de plus de 600 % en Russie depuis l’invasion de l’Ukraine.
Ce n’est pourtant pas la solution miracle : les Russes ne peuvent plus payer un VPN avec les cartes bancaires Visa et Mastercard à cause des récentes sanctions, et doivent donc trouver un autre moyen de paiement.
Le 8 mars, Twitter a annoncé se déployer sur Tor, un réseau superposé qui permet dorénavant aux Russes de contourner le blocage de Twitter, et de naviguer anonymement.