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Ukraine : l'afflux de réfugiés “ravive des souvenirs historiques brûlants”

Selon le dernier décompte de l’ONU, publié jeudi, plus de 2,3 millions de réfugiés ont fui les combats en Ukraine. Spécialiste de l’histoire de l’exil, l’historienne Delphine Diaz revient pour France 24 sur les autres crises qui ont jalonné l’Europe depuis le XIX° siècle.

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Des colonnes d’Ukrainiens franchissant les frontières polonaises, roumaines, slovaques ou encore moldaves. Des femmes traînant des valises, des enfants aux yeux hagards, des vieillards marchant péniblement. Depuis deux semaines, ces images ont fait le tour du monde. Plus de 2,3 millions d’Ukrainiens ont déjà quitté leur pays face à l’invasion russe. Selon l’ONU, ce chiffre pourrait être porté à 4 millions, si le conflit se poursuit, sur une population de plus de 37 millions de personnes dans les territoires contrôlées par Kiev qui n’incluent donc pas la Crimée annexée par la Russie, ni les zones sous contrôle des séparatistes pro-russes.

Pour l’historienne Delphine Diaz, spécialiste de l’histoire de l’exil et de l’asile politique, cet afflux “ravive des souvenirs historiques brûlants”. En regardant les visages de celles et ceux qui ont fui l’Ukraine, l’auteure de “En exil, les réfugiés en Europe de la fin du XVIIIe siècle à nos jours” a notamment pensé à l’exode des civils belges lors de la Première Guerre mondiale, mais surtout à celui des républicains espagnols en 1939 : “Cet afflux aux frontières qui est extrêmement brutal rappelle ce précédent, même si cela est différent. Il y avait beaucoup d’hommes, mais aussi des femmes, des enfants et des personnes âgés, ce qu’on a un peu oublié”.

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Photo datée de février 1939 d'une femme et son enfant arrivant à pied au col du Perthus en France après avoir fui l'Espagne après la victoire de Franco durant la guerre civile espagnole.
Photo datée de février 1939 d’une femme et son enfant arrivant à pied au col du Perthus en France après avoir fui l’Espagne après la victoire de Franco durant la guerre civile espagnole. AFP – STF

Au début de l’année 1939, près d’un demi-million d’Espagnols avaient passé la frontière française après la chute de Barcelone, tombée aux mains du général Franco. Cet épisode a été appelé “la Retirada”. Mais contrairement aux réfugiés ukrainiens qui bénéficient d’un élan de solidarité un peu partout en Europe, ces Républicains n’avaient pas été très bien accueillis en France. Considérés comme des étrangers indésirables, les familles avaient été séparées et les hommes conduits sous bonne escorte vers des camps très vite surpeuplés.

Un élan de générosité

Quatre-vingts ans plus tard, les Ukrainiens ne font heureusement pas face aux mêmes conditions d’accueil. Depuis le début de l’attaque russe sur leur pays, leurs voisins se sont mobilisés pour leur venir en aide. Les autorités ont facilité les formalités à la frontière et organisé des centres d’accueil, tandis que des milliers de particuliers bénévoles ont offert aux réfugiés repas, transport et hébergement dans leur maison. Un peu partout, dans les mairies, les églises, les écoles ou les centres de sports, ont été apportées quantité de nourriture, produits d’hygiène, vêtements et couvertures à ces réfugiés.

À plus de 2 000 kilomètres de là, cette générosité s’est aussi exprimée en France. Le ministère de l’Intérieur a indiqué, mercredi 9 mars, que 6 823 déplacés (dont 6 540 Ukrainiens) avaient rejoint l’Hexagone. Parmi eux, plus de 3 000 sont d’ores et déjà pris en charge en hébergement d’urgence, comme des gymnases ou des hôtels, essentiellement en Île-de-France, tandis que de nombreux autres ont pu être hébergés directement par des proches. Au total, l’État a reçu 20 000 propositions d’hébergement émises par des particuliers, sans compter 6 000 autres offres émanant d’entreprises ou de collectivités.

Cet élan de solidarité n’est pas une première. Delphine Diaz rappelle l’accueil des réfugiés polonais dans les années 1830. “Il fuyaient la répression russe au lendemain de l’insurrection de Varsovie à l’automne 1831”, raconte-t-elle. “Ils ont été très bien accueillis en France On les appelait même “les Français du Nord”. Il y a eu une vague de souscriptions pour réunir de l’argent et leur distribuer. Il y a eu des comités pratiquement dans toutes les localités françaises. Le gouvernement leur avait aussi accorder des aides financières. Cela s’explique par le fait que la Pologne avait été une alliée de la France pendant les guerres napoléoniennes et aussi parce que l’insurrection de Varsovie avait été faite sur le modèle de la révolution française de juillet 1830″.

Le réfugié politique polonais représenté après l'insurrection de Varsovie.
Le réfugié politique polonais représenté après l’insurrection de Varsovie. © Wikimedia

Mais peu à peu, les années passant, l’enthousiasme initial finit par s’estomper. “Comme pour tous les réfugiés, ces Polonais ont eu des difficultés d’intégration. Tout ne sera pas rose pour eux”, souligne Delphine Diaz. Ils furent ainsi rapidement incités à travailler pour ne plus dépendre des secours que le gouvernement voulait faire diminuer.

Une sélectivité de l’asile

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les comparaisons sont aussi nombreuses avec la Seconde Guerre mondiale. Les images de ces personnes jetées sur les routes avec quelques affaires personnelles rappellent l’exode de 1940 lors duquel 8 à 10 millions de réfugiés avaient fui l’offensive allemande. “Mais dans le cas de l’Ukraine, il est essentiellement composé de femmes et d’enfants. C’est assez exceptionnel dans l’histoire de l’Europe”, note la spécialiste de l’exil.

Des civils fuyant les bombardements et l'arrivée des troupes allemandes, prennent la route de l'exode, en mai 1940.
Des civils fuyant les bombardements et l’arrivée des troupes allemandes, prennent la route de l’exode, en mai 1940. AFP

Pour Delphine Diaz, un rapprochement peut toutefois être fait par rapport aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. En 1945, plus de 20 millions de déracinés se sont retrouvés disséminés à travers l’Europe. À l’époque déjà existait une sélectivité de l’asile. “Parmi ces personnes déplacées, certains groupes ont été avantagés dans la façon où on les a répartis dans les différents pays”, décrit-elle. “À l’époque les Baltes ou les Ukrainiens étaient mieux considérés en Europe occidentale et mieux reçus”. Ainsi, en raison de préjugés raciaux qui mettaient en valeur leur “blancheur”, mais aussi de stéréotypes de genre qui les représentaient comme des travailleuses polies et dévouées, les femmes baltes furent recrutées dans des emplois du secteur des services ou dans l’industrie textile, notamment en Grande-Bretagne après la guerre.

Des Allemands quittant la Silésie pour l'Allemagne occupée par les Alliés en 1945.
Des Allemands quittant la Silésie pour l’Allemagne occupée par les Alliés en 1945. Bundesarchiv – o.Ang.

Aujourd’hui encore, ces discriminations sont d’actualité. De nombreux Africains fuyant la guerre en Ukraine ont ainsi affirmé avoir été recalés à la frontière polonaise en raison de leurs couleurs de peau.  Des partis d’extrême droite ont également mis en avant la proximité avec les réfugiés ukrainiens considérés comme des “semblables”. Guillaume Peltier le porte-parole du candidat Reconquête ! à la présidentielle française Éric Zemmour n’a pas hésité à opposer ces “réfugiés déplacés européens et chrétiens que sont les Ukrainiens et des migrants économiques venus de la sphère arabo-musulmane qui sont en train de mettre en péril notre civilisation”.

Pour Delphine Diaz, “ces hommes politiques se donnent bonne conscience en utilisant ces réfugiés qu’on estime être de bons réfugiés par rapport à d’autres, alors que quand on fuit la guerre, que ce soit en Syrie ou en Ukraine, on fuit finalement une même forme de persécution”. Plus récemment, l’historienne a ainsi analysé que “les exils des printemps arabes avaient été jugés plus menaçants parce qu’ils étaient composés majoritairement d’hommes”. Selon elle, cette “virilité en migration est ainsi associée à une image potentielle anxiogène dont on doit se méfier”.

Au regard de la crise actuelle, l’historienne note toutefois un changement notable : “On est loin de l’Europe forteresse que l’on peut décrire. On voit qu’elle est désormais capable d’ouvrir ses frontières et d’accorder une protection temporaire à des centaines de milliers de personnes en très peu de temps”.

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