Publié le : 07/03/2022
Daniel Merla est prêtre dans la petite ville de Siret, près de la frontière entre la Roumanie et l’Ukraine, où environ 70 000 personnes ont débarqué depuis l’offensive russe, le 24 février. Chaque soir, il troque son costume de religieux pour celui d’humanitaire. L’homme d’église apporte son aide aux déplacés ukrainiens en les transportant vers des hébergements d’urgence et parfois il les accueille dans sa maison. Une expérience difficile, tant la charge émotionnelle est forte. Il ne compte plus le nombre de fois où il a pleuré en voyant ces hommes, ces femmes et ces enfants qui arrivent déboussolés dans le pays.
Leslie Carretero, envoyée spéciale à Siret, en Roumanie.
Daniel Merla enfile sa soutane noire et son manteau bleu marine, puis grimpe dans sa voiture. Comme tous les soirs depuis le 25 février, au lendemain de l’offensive russe en Ukraine, le prêtre file au poste-frontière de Siret, à seulement quelques kilomètres de sa maison. C’est ici que depuis 10 jours, des milliers de déplacés se pressent pour se réfugier sur le sol roumain. Selon les autorités, plus de 70 000 personnes sont passées par ce point de contrôle, soit environ la moitié des 140 000 arrivées enregistrées dans toute la Roumanie.
>> À (re)lire : Reportage : en Roumanie, la petite ville frontalière de Siret se mobilise face aux arrivées d’Ukraine
En cette soirée du 5 mars, le prêtre orthodoxe de 37 ans gare son véhicule sur le sol boueux d’un parking de fortune, aménagé derrière les tentes des humanitaires. Il salue ses confrères réunis sous un abri érigé le long de la nationale et embarque avec lui un jeune qui lui servira d’interprète avec les Ukrainiens.
D’un pas pressé, Daniel Merla se rapproche au plus près du point de contrôle. Il ne perd pas une minute et s’élance vers un groupe pour leur proposer son aide. “Quelqu’un est venu vous chercher ? Je peux vous déposer quelque part ?”, demande-t-il à deux femmes, accompagnées de deux jeunes enfants, qui font leurs premiers pas en Roumanie. L’homme d’église attrape leurs valises, les emmène à sa voiture et les dépose à l’entrée de la ville de Siret, où un taxi les attend.
“Je ne peux pas rester enfermer chez moi en fermant les yeux”
Quelques minutes plus tard, le voilà de retour dans la zone frontalière. À peine descendu de sa voiture, il interpelle une femme et son fils de cinq ans. La mère de famille, originaire de Irpin, près de Kiev, patiente près d’une tente depuis plusieurs minutes et ne semble pas savoir où aller. Elle doit prendre un avion le lendemain matin pour Istanbul, pour rejoindre des amis. Mais elle cherche un endroit où passer la nuit.
“Venez chez moi, j’ai une chambre à votre disposition”, lance le prêtre. La femme accepte, soulagée de pouvoir dormir au chaud. L’épouse du religieux orthodoxe accueille la mère et son fils et s’occupera d’eux pendant que son mari portera assistance à d’autres personnes. Cette nuit-là, deux autres familles seront hébergées chez le couple.
>> À (re)lire : À la frontière roumaine, un hôtel de luxe au service des déplacés ukrainiens
Chaque soir, c’est la même routine : Daniel Merla transporte une dizaine d’exilés vers leur point de rendez-vous (des bus, des taxis), chez des proches, ou dans des hébergements d’urgence. Quand ils en ont besoin, il leur fournit aussi un toit. “Je ne peux pas rester enfermé chez moi en fermant les yeux et faire comme si cette crise n’était pas mon problème”, explique ce père de jumeaux de 10 ans. “Je ne le fais pas parce que je suis prêtre, mais simplement car je suis un citoyen comme un autre, touché par cette tragédie”.
“Je pensais que j’étais plus fort”
Ses nuits sont désormais rythmées par ces allers-retours. Il s’est accordé un seul jour de congé depuis le début de la crise. Un repos nécessaire tant la pression émotionnelle est forte. Le religieux ne s’habitue pas à voir ces familles déchirées par la guerre.
Le plus dur est d’entendre les pleurs d’enfants débarquant en Roumanie, après plusieurs heures d’attente dans le froid et sous la neige. “Vous voyez ça, c’est très dur à gérer”, dit Daniel Merla en montrant un bébé blotti dans une poussette qui pousse des cris à ses côtés. Sa mère tente de le calmer en le berçant, en vain. “Je pensais que j’étais plus fort et que j’arriverais à gérer. Mais plus les jours passent et plus c’est difficile. Je n’avais pas pleuré depuis des années et là je me surprends à verser des larmes presque quotidiennement”.
Cette activité lui réserve cependant de belles surprises. Le premier jour, il a pris en charge chez lui une femme avec ses deux enfants. Le lendemain matin, son mari a réussi à passer la frontière et a frappé à sa porte. “Il était habillé comme moi. J’ai compris qu’il était prêtre en Ukraine. C’était un moment très émouvant”, se souvient-il. La famille est désormais à Berlin, en Allemagne, mais il reste en contact avec eux.
Ce samedi soir, Daniel Merla rentrera chez lui un peu avant minuit, après avoir passé six heures à la frontière. Le lendemain matin, il donnera une messe dans son église de Siret en l’honneur des Ukrainiens.