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Pour les ONG, “un couloir humanitaire peut vite se transformer en permis de crimes de guerre”

Depuis lundi, la Russie assure avoir ouvert des “couloirs humanitaires” pour permettre l’évacuation de civils de cinq grandes villes d’Ukraine. Mais les civils rechignent à les emprunter. Explications.

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Les corridors mis en place par Vladimir Poutine ne semblent avoir d'”humanitaires” que le nom. Le Kremlin a annoncé, lundi 7 mars, l’instauration de cessez-le-feu locaux et l’ouverture de couloirs humanitaires pour permettre l’évacuation de civils des villes ukrainiennes de Kharkiv, Kiev, Marioupol et Soumy, en proie à de violents combats. Mais au quatorzième jour de l’invasion russe en Ukraine, ces voies censées garantir l’acheminement pacifique de civils demeurent pas ou peu empruntées. Dans le même temps pourtant, le nombre de réfugiés a dépassé mardi les deux millions, selon le Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR). Plusieurs raisons expliquent cette situation.

>> À lire aussi, sur Les Observateurs de France 24 : “Guerre en Ukraine : comment l’armée russe manœuvre pour encercler Kiev”

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Il y a d’abord une grande défiance des populations vis-à-vis de ces couloirs. “Il n’est pas étonnant que des populations civiles qui ont fait l’objet de crimes graves des forces armées russes, en étant notamment la cible de bombardements, n’aient pas confiance dans ces mêmes forces et délaissent ces couloirs pour des routes qu’elles considèrent comme plus sécurisées”, explique Tchérina Jerolon, responsable du programme conflit, migration et justice à Amnesty International France, contactée par France 24. Depuis le premier jour de l’invasion de l’Ukraine, l’organisation non gouvernementale (ONG) a en effet relevé une série d’actions – documents à l’appui – relevant des crimes de guerre, notamment les bombardements qui ont visé des populations civiles.


“C’est purement démoniaque”

La mise en place de couloirs humanitaires dans le cadre de conflits armés doit faire l’objet d’un accord entre les parties que chacune doit ensuite respecter, rappelle la responsable humanitaire. “Il n’y a rien de juridique, abonde Jean-Hervé Bradol, médecin et directeur d’études à la Fondation MSF, contacté par France 24. Dans les faits, ces couloirs humanitaires ou ‘corridors humanitaires’ sont des passages qui doivent permettre d’évacuer les civils des zones de conflit. Ils permettent aussi d’acheminer des biens, comme l’aide humanitaire – vivres, médicaments –, qui font actuellement défaut à l’Ukraine.”

Or le ministère ukrainien de la Défense a accusé les Russes de ne pas respecter ces axes d’évacuation pacifique. Kiev a notamment dénoncé le blocage de 300 000 civils dans le port stratégique de Marioupol, situé dans le sud-est du pays, sur la mer d’Azov. “L’ennemi a lancé une attaque exactement en direction du couloir humanitaire”, a assuré le ministère sur sa page Facebook. “Violation du cessez-le-feu !”, a tweeté de son côté le ministère ukrainien des Affaires étrangères. “La perversion de tout cela est hallucinante”, a commenté pour sa part Michael Carpenter, l’ambassadeur américain auprès de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Ce week-end, “la Russie a accepté d’ouvrir un corridor humanitaire depuis Volnovakha et Marioupol, mais a alors bombardé la route d’évacuation, au moment même où des civils étaient en train de fuir. C’est purement démoniaque.”


“Un blanc-seing pour pilonner les villes”

Autre règle tacite : un couloir humanitaire doit permettre à des civils d’emprunter une voie vers un territoire où ils seront en sécurité. Mais les deux tiers des couloirs tracés par les forces russes mènent à la Russie ou à la Biélorussie, son alliée. Conséquences : les autorités ukrainiennes ont refusé l’évacuation de leurs ressortissants, craignant de les voir placés sous le joug russe. Au passage, ces corridors dessinés par Moscou ont provoqué l’ire de l’Élysée. Car Vladimir Poutine a expliqué répondre à une “demande personnelle” d’Emmanuel Macron pour justifier son dispositif. “Tout ça n’est pas sérieux, c’est du cynisme moral et politique, qui m’est insupportable”, a aussitôt rétorqué le président français, démentant formellement les allégations du Kremlin.

Les ONG rappellent en outre que les couloirs d’évacuation ne doivent pas revêtir d’aspect contraignant. “Les civils qui ne souhaitent pas quitter la zone pour des raisons personnelles ou parce qu’ils ne sont pas en capacité de le faire ont le droit de rester”, explique Tchérina Jerolon. Raison pour laquelle les infrastructures civiles comme les hôpitaux, les écoles et les crèches, ou des quartiers d’habitations, ne peuvent en aucun cas être pris pour cible par les militaires. “Il arrive pourtant que la mise en place de corridors donne au contraire un blanc-seing aux assaillants pour pilonner davantage une ville.” Jean-Hervé Bradol va plus loin encore : “Puisque l’assaillant a donné la possibilité aux civils de fuir, un couloir humanitaire peut vite se transformer en permis de crimes de guerre.”


Objectif de Moscou : user le moral des civils

Enfin, un aspect psychologique doit être abordé. Le doute qui persiste autour de la sécurisation des couloirs humanitaire, tantôt praticables, tantôt bombardés, peut à terme jouer sur les nerfs des populations civiles et provoquer des divisions internes. C’est du moins ce qu’avaient dénoncé les opposants syriens lors des interventions russes dans la région d’Alep en 2014.

Pour les observateurs de conflits armés, ce n’est effectivement pas la première fois que la Russie bafoue les règles dans le domaine humanitaire. “Que ce soit en Tchétchénie, en 1994 et 1999, ou en Ukraine, dans le Donbass, en 2014, ou plus récemment en Syrie en 2016, les forces russes ont toujours utilisé le même modus operandi : le non-respect des couloirs humanitaires ou encore l’utilisation d’armes de non-précision, comme les bombes à sous-munitions, résume Tchérina Jerolon. La stratégie russe mise en place ces derniers jours illustre à nouveau le peu de considération de Vladimir Poutine envers les populations civiles.”

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