Face à l’offensive militaire russe, simples fidèles et responsables ukrainiens de l’Église orthodoxe rattachée au Patriarcat de Moscou prennent leur distance avec le clergé moscovite, remettant en cause l’un des principaux relais d’influence du Kremlin dans le pays. Reportage dans une église au sud de Kiev.
Un moment de silence, genoux à terre, contre le fracas de la guerre en Ukraine. Le chœur de l’Église orthodoxe d’Oboukhiv, à 40 kilomètres au sud de Kiev, s’est tu pendant que la trentaine de fidèles se recueillaient pour leurs proches pris sous le feu des canons russes.
La prière pour la paix prononcée par le prêtre lors de la messe du dimanche 6 mars ne parvient pas apaiser leurs angoisses. Les visages restent fermés et seuls les babillages de quelques enfants parviennent à détendre l’atmosphère de plomb. Encore sous le choc de l’invasion, Nadejda essuie une larme avant de se relever.
“Bien sûr que c’est mal cette invasion (…) Il faut protéger le pays, mais il faut aussi réfléchir à comment terminer la guerre”, confie la retraitée à France 24.
Volodymyr estime, quant à lui, qu’il faut continuer à défendre le pays contre l’envahisseur russe. L’ancien employé d’Antonov, une compagnie de construction aérienne, connaît des personnes engagées dans les combats.
“J’ai fait mon service militaire dans l’armée soviétique à Moscou, dans les années 1980, et je n’aurais jamais imaginé ça. Notre armée inflige des pertes telles que l’armée russe n’en a jamais connu… Je suis sûr qu’on va remporter la victoire !”, s’exclame ce fidèle âgé de 50 ans.
Des déclarations qui vont à l’encontre de celles du chef spirituel ultime de cette Église, le patriarche Kirill de Moscou. Trois jours après le début de l’invasion, ce dernier avait dénoncé les “forces du mal” qui luttaient contre l’unité historique de la Russie et de l’Ukraine.
Il existe deux Églises orthodoxes rivales en Ukraine : un clergé indépendant et un autre qui dépend du Patriarcat de Moscou. Fort de 300 ans d’existence, ce dernier est majoritaire en ce qui concerne le nombre de paroisses en Ukraine. Le patriarche Kirill de Moscou, son chef spirituel ultime, est proche du Kremlin.
La guerre et son cortège d’horreurs sont aujourd’hui en train de creuser un fossé entre les deux Églises. Un porte-parole de la branche ukrainienne a dénoncé, vendredi, les mensonges du Kremlin justifiant l’invasion russe.
“Oui, le mensonge est un péché et le pouvoir russe a menti. Beaucoup y ont cru. Les officiels disaient qu’il n’y aurait pas la guerre, qu’ils ne planifiaient rien”, a déclaré le père Nikolaï Danilevitch, lors d’un entretien avec France 24 – RFI.
“C’est pourquoi cette invasion est un acte de traîtrise, qui a brisé toute forme de confiance”, a souligné le porte-parole depuis son bureau dans le monastère Laure des Grottes de Kiev, un impressionnant ensemble de bâtiments religieux sur les bords du Dniepr.
Dans la modeste église d’Oboukhiv, le sermon de la messe du 6 mars était plus modéré. Le prêtre, Serguei Stolyartchouk, s’est cantonné aux généralités religieuses, appelant à la prière et à la paix, sans prendre partie sur le conflit en cours. La question de l’autorité formelle du patriarche de Moscou, Kirill, reste encore taboue. L’ecclésiastique se retranche derrière le caractère “apolitique” de l’Église pour ne pas commenter les déclarations du pope Kirill.
Comme tous les Ukrainiens, il a pourtant été bouleversé par l’invasion russe. Il l’a appris dès les premières heures de l’attaque, quand sa fille, qui habite près de l’aéroport de Boryspil, l’a appelé paniquée pour lui dire qu’elle entendait des explosions.
“C’est notre pays, c’est notre terre, c’est notre peuple… Comment peut-on rester indifférents ?!”, s’indigne Serguei Stolyartchouk, le prêtre de l’Église d’Oboukhiv, lors d’une interview après la messe.
“On prie pour notre armée, on prie pour notre nation, car nous sommes une nation”, ajoute l’ecclésiastique, comme un pied-de-nez aux déclarations de Vladimir Poutine, qui dénie l’existence d’une nation ukrainienne. “Je ne peux pas porter une arme, ma seule arme c’est la prière”.