Face à la menace d’une invasion de l’Ukraine par la Russie, en moins de trois jours, de nombreux États ont appelé leurs ressortissants à quitter le pays. D’autres ont réduit la présence de leur personnel diplomatique sur place. La guerre psychologique gagne du terrain.
“Les citoyens américains devraient partir, ils devraient partir maintenant. Nous avons affaire à l’une des plus grandes armées du monde”. Les États-Unis ont été les premiers à tirer la sonnette d’alarme, jeudi 10 février, avec cette inquiétante déclaration de Joe Biden dans une interview accordée à la chaîne NBC. “Les choses pourraient vite s’emballer”, a répété ce jour-là le président américain, ajoutant qu’il n’enverrait pas de soldats sur le terrain en Ukraine, même pour évacuer des Américains dans l’hypothèse d’une invasion russe, car cela pourrait déclencher “une guerre mondiale”.
Depuis, de très nombreux pays ont emboîté le pas aux Américains. Parmi ceux qui ont appelé leurs ressortissants à quitter l’Ukraine ces derniers jours figurent, notamment, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Canada, la Norvège, l’Australie, le Japon, Israël, l’Arabie saoudite ou encore les Émirats arabes unis.
Dans les airs, la compagnie aérienne KLM a annoncé, samedi 12 février, suspendre jusqu’à nouvel ordre des vols vers l’Ukraine. De son côté, Kiev a promis de laisser son espace aérien ouvert malgré une menace d’invasion russe. Mais selon la presse nationale, les avions volant dans l’espace aérien ukrainien ne seraient plus protégés par les compagnies d’assurance internationales à partir du 14 février, entrainant des annulations.
“C’est impressionnant ces réactions en chaîne, ça commence à faire trop”, déplore auprès de France 24 Tetyana Ogarkova, responsable du département international de l’ONG Ukraine Crisis Media Center, jointe à Kiev. “Des départs aussi précipités et massifs en quelques jours, cela prouve qu’il y a une certaine urgence, que la menace est bien réelle et ça ajoute à l’atmosphère anxiogène”, regrette-t-elle.
Paris, qui veut plutôt croire à une solution diplomatique, fait figure d’exception. Les autorités françaises sont l’une des seules forces européennes à ne pas avoir demandé à leurs ressortissants – près d’un millier vivent en Ukraine – de quitter le pays. Le Quai d’Orsay a simplement conseillé “de différer tous les déplacements en Ukraine” et l’ambassade de France a appelé ses ressortissants sur place à “faire quelques réserves d’eau, de nourriture, de vêtements chauds” et d’essence.
Retrait des observateurs de l’OSCE
Aux conseils d’évacuation se sont ajoutés les délocalisations de plusieurs ambassades occidentales de Kiev vers Lviv, une ville située dans l’ouest de l’Ukraine. Les États-Unis, suivis du Canada et de l’Australie y ont transféré l’essentiel de leurs employés pour y maintenir une petite présence consulaire.
Les institutions de l’Union européenne ont, quant à elles, recommandé à leurs personnels non essentiels de la représentation à Kiev de partir télétravailler depuis l’étranger. Et la Roumanie, qui n’a pas exhorté ses concitoyens à partir, a préféré retirer le personnel non essentiel de son ambassade à Kiev, tandis qu’Israël a décidé “d’évacuer les familles des diplomates et du personnel de son ambassade”.
“Le pire, explique Tetyana Ogarkova, a été l’annonce du retrait de la plupart des observateurs de la mission d’observation de l’OSCE [l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe], présents dans la zone grise [qui sépare les positions ukrainiennes et les séparatistes dans le Donbass]. Ils étaient présents depuis le début du conflit et représentaient une source d’information importante sur ce qui se passait sur la zone de combat”, s’alarme-t-elle.
À cela s’ajoute aussi le départ d’une partie des formateurs canadiens et 160 soldats américains qui entraînaient les forces ukrainiennes. Quelque 200 Canadiens étaient déployés depuis 2015 en Ukraine dans le cadre de cette mission. Une décision justifiée par le fait qu’une confrontation armée entre des soldats russes et des militaires appartenant à un pays membre de l’Otan mettrait le feu aux poudres et risquerait de dégénérer en conflit mondial.
Des départs en faveur de la guerre psychologique
Sur le terrain, l’Ukraine est cernée sur ses frontières Nord, Est et Sud. La Russie a disposé plus de 130 000 soldats répartis sur la frontière, tout en menant des manœuvres militaires d’ampleur en Biélorussie voisine et en mer Noire. “On ne sait pas de quel côté l’armée russe pourrait attaquer et la population est tendue, c’est un peu comme si on attendait une attaque terroriste”, explique Tetyana Ogarkova, pour qui ces départs en chaîne contribuent à alimenter la guerre psychologique qui se joue actuellement en Ukraine. “La position des Américains lorsqu’ils ont commencé à alerter de la présence, en novembre, des troupes russes à la frontière était cohérente, mais ces réactions en chaîne depuis quelques jours commence à faire paniquer et cela peut aussi avoir des conséquences négatives”.
De nombreux Ukrainiens jugent la position du président américain, Joe Biden, trop alarmiste, y compris les autorités ukrainiennes. Le président Volodymyr Zelensky a d’ailleurs qualifié de “grosse erreur” le déménagement de plusieurs ambassades étrangères vers l’Ouest. Quelques jours auparavant, il avait fait savoir qu’il n’appréciait pas les avertissements répétés des États-Unis sur l’imminence d’une attaque russe. “Actuellement, le meilleur ami de nos ennemis est la panique dans notre pays. Et toutes ces informations [sur une possible attaque] ne font que provoquer la panique et ne nous aident pas”, a-t-il dénoncé.
Pas d’exode massif des étrangers
“Pas mal d’Ukrainiens se sentent délaissés”, affirme Tetyana Ogarkova, tout en relativisant. “Cela joue essentiellement sur les habitants de Kiev, qui voient leurs voisins partir, ce qui n’est pas forcément le cas dans les villages”. Et de rappeler que si les personnels des missions diplomatiques quittent le pays, “des millions d’Ukrainiens, eux, restent”.
À la frontière avec la Pologne, de nombreux Polonais ont quitté l’Ukraine en voiture, d’après des informations recueillies auprès des gardes- frontières par le correspondant de France 24, Gulliver Gragg. Toutefois, au regard des nombreux billets disponibles à l’aéroport de Kiev, “il n’y a pas un exode massif [des étrangers]”, selon le journaliste, qui a consulté plusieurs sources.
Avec AFP