Le futur chancelier allemand, Olaf Scholz, a nommé Karl Lauterbach comme prochain ministre de la Santé. Cet expert en politique sanitaire est l’une des personnalités publiques les plus populaires depuis le début de la pandémie. Mais son style ne fait pas l’unanimité.
Il est économiste de la santé, spécialiste des politiques sanitaires, a étudié l’épidémiologie à la célèbre université américaine de Harvard, et est une star sur les réseaux sociaux en Allemagne depuis le début de la pandémie de Covid-19. Karl Lauterbach a été nommé, lundi 6 décembre, au poste très exposé de ministre de la Santé du prochain gouvernement allemand qui doit être entièrement dévoilé mercredi.
“La plupart des Allemandes et des Allemands voulaient que le prochain ministre de la Santé soit un spécialiste, quelqu’un qui a l’expérience du terrain et qui s’appellerait Karl Lauterbach de préférence”, a déclaré le futur chancelier allemand, Olaf Scholz, en confirmant le nom de celui qui sera en première ligne pour lutter contre l’épidémie au sein de la coalition SPD (sociaux-démocrates), Verts et FDP (libéraux).
Nœud papillon et star de Twitter
Une manière aussi pour le futur chancelier allemand de souligner que face à la vox populi il n’avait pas trop le choix. Près de 60 % des Allemands, toutes tendances politiques confondues, souhaitaient que Karl Lauterbach devienne ministre de la Santé, d’après un sondage publié par l’institut Civey le 26 novembre. Sur Twitter, il était même la seule personnalité du monde politico-scientifique à bénéficier d’un hashtag spécifique – #wirwollenkarl (nous voulons Karl) – pour soutenir sa nomination.
Il faut dire que Karl Lauterbach, scientifique de renom et membre du SPD depuis 2001, a tout fait pour devenir incontournable. Cet ex-accro au nœud papillon façon Bill Nye (le célèbre vulgarisateur scientifique américain), court d’un plateau télé à l’autre depuis le début de la crise sanitaire pour analyser inlassablement les chiffres, les tendances et toutes les bribes d’informations concernant le virus SARS-CoV-2.
Il s’est rendu célèbre en tant que dévoreur d’études scientifiques jusqu’à très tard le soir, afin d’en expliquer la substantifique moëlle sur son compte Twitter où plus de 700 000 abonnés suivent ses écrits “en lui prêtant presque des capacités messianiques quant à l’évolution de la pandémie”, précise Christian Parth, journaliste au quotidien Die Zeit et auteur d’un portrait du nouveau ministre de la Santé, interrogé par la chaîne allemande d’information en continu Deutsche Well.
Rares sont les personnalités publiques allemandes à jouir d’une telle popularité sur les réseaux sociaux… mis à part les footballeurs. Même Olaf Scholz ne lui arrive pas à la cheville, avec seulement 260 000 abonnés à son compte Twitter.
Et Karl Lauterbach est passé maître ès-autopromotion. Il n’a, ainsi, pas hésité à apparaître dans le clip de la chanson “La vida sin Corona” pour promouvoir la campagne de vaccination. Il a même accepté de participer à une émission humoristique diffusée au printemps 2022 sur la plateforme de streaming Amazon Prime.
Dans le paysage politico-scientifique, le seul à pouvoir lui faire un peu d’ombre est le virologue Christian Drosten, grand spécialiste des coronavirus. Également très prisé par les médias, il est plus suivi sur Twitter que Karl Lauterbach. Mais Christian Drosten n’a pas la même carrure politique.
Un scientifique “homo politicus”
Car Karl Lauterbach a déjà, depuis plus de quinze ans, un pied (sinon plus) dans l’arène politique. En 2004, alors qu’il n’était encore que simple directeur de l’institut d’économie de la santé de l’université de Cologne, il était déjà surnommé “l’homme qui murmure à l’oreille” de la ministre de la Santé de l’époque, Ulla Schmidt.
Il reconnaissait aussi déjà qu’il était un “homo politicus” avant tout. Sa formation à Harvard y est probablement pour beaucoup. L’un de ses professeurs “était un expert en stratégie sanitaire qui avait même mis au point un programme informatique pour aider les scientifiques à imposer leurs idées auprès du monde politique”, rappelle le magazine Der Spiegel.
Lorsqu’il décide de se lancer en politique, en 2005, Karl Lauterbach avait de toute façon déjà accompli, à 41 ans, ce dont beaucoup de scientifiques rêvent toute leur vie : il avait atteint l’échelon de la carrière professorale, un poste de directeur d’institut et des contrats lucratifs avec des cliniques et hôpitaux.
Inscrit au SPD depuis 2001, Karl Lauterbach mène sa première campagne – à Leverkusen, près de Cologne – au pire moment pour les sociaux-démocrates. C’est la fin de l’ère Gerhard Schröder, et le parti n’a pas bonne presse auprès des électeurs qui lui reprochent ses réformes très libérales du marché du travail.
Qu’importe : Karl Lauterbach remporte l’élection et entre pour la première fois au Bundestag en 2005. Depuis lors, il s’est fait réélire à chaque scrutin. Au sein du SPD, il devient rapidement le M. Santé et il se bat pour obtenir une couverture médicale aussi universelle que possible et réduire au maximum l’influence des grands groupes pharmaceutiques.
Mais après quelques années, c’est un rôle qui ne lui suffit plus. En 2019, il tente, sans succès, de prendre la tête de la SPD en partenariat avec Nina Scheer, l’une des principales représentantes du courant écologiste des sociaux-démocrates.
Jamais sans protection policière
La crise sanitaire lui a permis de prendre plus que jamais le devant de la scène médiatique et politique. Il en a profité pour marteler son soutien aux campagnes de vaccination et même, depuis quelques jours, à une obligation vaccinale. De quoi en faire l’une des cibles privilégiées des “antivax” allemands. Karl Lauterbach ne compte plus les lettres et messages de menace reçus. Sa voiture a été vandalisée et “il ne fait plus d’apparition publique sans protection policière depuis plusieurs mois”, souligne le quotidien Die Zeit.
Le cercle des ennemis de ce scientifique ne se résume pas aux opposants à la politique sanitaire allemande. Au sein du SPD, il a aussi suscité des inimitiés. Certains cadres du mouvement le trouvent “trop individualiste, avec trop peu d’expérience des rouages politiques pour gérer un ministère comme celui de la Santé”, note la Süddeutsche Zeitung, l’un des principaux quotidiens allemands.
Enfin, il ne fait pas non plus l’unanimité au sein du monde scientifique. Karl Lauterbach s’est plusieurs fois attiré les foudres de ses pairs pour avoir été trop approximatif dans certains de ses tweets. L’ARD, première chaîne allemande de télévision, a même compilé une liste des “erreurs de jugement” de Karl Lauterbach depuis le début de la pandémie. Il a ainsi été pris la main dans le sac à attribuer, par erreur, des déclarations sur l’efficacité des vaccins au célèbre virologue américain Anthony Fauci ou alors à tirer des conclusions hâtives de certaines études sur la circulation du virus.
Autant de déclarations qui peuvent faire désordre et peuvent revenir hanter Karl Lauterbach maintenant qu’il est ministre de la Santé. Mais Olaf Scholz espère qu’un homme aussi populaire pourra réussir à convaincre davantage d’Allemands à se faire vacciner alors qu’une nouvelle vague de contaminations touche l’Allemagne de plein fouet.