L’érosion côtière pourrait être un des sujets abordés, lundi, à la COP26 à Glasgow. C’est un enjeu de taille en Europe. Les infrastructures et les sites patrimoniaux situés sur les littoraux du vieux continent pourraient être menacés si le niveau de la mer s’élevait de 37 cm d’ici à 2080.
Alors que le changement climatique entraîne une élévation du niveau des mers dans le monde entier, ce sont de petites nations insulaires qui tirent la sonnette d’alarme pour la COP26 (du 31 octobre au 12 novembre).
Durant la première semaine, la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, a déclaré aux participants à la Conférence sur le climat qu’une hausse de 2°C des températures entraînerait une augmentation du niveau des mers équivalente à une “condamnation à mort” pour cette île des Caraïbes. Simon Kofe, le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, un archipel du Pacifique Sud, a quant à lui enregistré une déclaration vidéo pour le sommet de Glasgow dans la mer, avec de l’eau jusqu’aux genoux, pour illustrer l’ampleur du problème.
Mais en Europe aussi, le changement climatique a un impact dramatique sur les littoraux : la montée des eaux signifie que les vagues frappent les côtes à des niveaux plus élevés, tandis que la multiplication des tempêtes et les changements de direction du vent s’associent pour éroder les terres.
Et, par ailleurs, les populations côtières et les infrastructures humaines augmentent partout dans le monde, même si le littoral fluctue naturellement. “Le problème, c’est que nous avons des actifs immobilisés sur les côtes : en Europe, nous avons des hôtels, des routes, des maisons, des chemins de fer le long d’une frontière qui est fluide”, explique Larissa Naylor, professeur de géomorphologie et de géographie environnementale à l’université de Glasgow, contactée par France 24.
Selon elle, l’élévation du niveau de la mer ajoute une “couche supplémentaire” aux facteurs déjà en jeu. Si une marée de printemps coïncide avec une tempête, par exemple la complication supplémentaire de la montée des eaux amplifiera l’impact global. “À mesure que le changement climatique s’accélèrera, poursuit Larissa Naylor, il y aura beaucoup plus de pertes et de dommages sur les côtes. La société sera de plus en plus touchée.”
Maisons, lignes de chemin de fer et plages menacées
Le phénomène est plus rapide dans certaines régions que dans d’autres. Sur le littoral du Yorkshire, dans le nord-est de l’Angleterre, quatre mètres de côtes disparaissent en moyenne chaque année. Mais en 2020, dix mètres ont disparu sur une portion d’environ trois kilomètres en seulement neuf mois, selon les chiffres du conseil local. Une vingtaine de maisons risquent désormais de tomber dans la mer.
En Irlande, l’exploitant ferroviaire Irish Rail a annoncé, en octobre, qu’il prévoyait d’investir 16,7 millions d’euros pour contrer les taux “alarmants” d’érosion près de ses lignes de chemin de fer côtières.
Au sud de l’Europe, le gagne-pain de plusieurs États est en jeu. Selon une étude grecque publiée en 2017, jusqu’à 88 % de toutes les plages du pays – essentielles à l’économie touristique nationale – pourraient être complètement érodées d’ici à la fin du siècle. Des pertes de terres à grande échelle sont également prévues dans des stations balnéaires en France, en Espagne, au Portugal et en Italie.
Malgré cela, on constate un manque de données concernant l’érosion côtière sur le Vieux continent. La dernière étude de l’UE sur le sujet remonte à 2004 : elle révélait que tous les pays ayant un accès à la mer subissaient une forme ou une autre d’érosion côtière et que 20 000 kilomètres de littoral étaient gravement touchés.
Bien que la montée des eaux et l’érosion côtière soient un problème mondial, elles constituent un risque unique en Europe en raison du rapport élevé entre le littoral et la terre sur le continent. Pourtant, il n’existe pas de stratégie européenne de lutte contre ce phénomène : de nombreux pays ne disposent pas de plans cohérents, et le soin est laissé aux gouvernements régionaux d’élaborer et de financer leurs propres solutions.
Cela s’explique en partie par le fait que le public est moins sensibilisé à ce problème que pour des questions telles que les inondations, mais aussi parce que s’attaquer au problème implique un changement d’approche, de la lutte contre la perte de terres à son acceptation. Pour Larissa Naylor, “nous ne sommes pas nécessairement prêts à le faire en tant que société”.
“Accepter la montée des eaux”
Certains endroits ont déjà commencé à agir. La ville de Quiberville-sur-Mer, (Seine-Maritime, en Normandie), a opté pour une approche inédite : laisser entrer la mer dans les terres plutôt que multiplier les aménagements pour se protéger, quitte à déplacer des habitations. Son maire, Jean-François Bloc, a “fini par [s]e rendre à l’évidence : il ne faut plus résister, il faut accepter la réalité de cette montée des eaux et s’y adapter”.
Une autre ville côtière française, Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), expérimente un plan similaire : confrontés à une érosion côtière de 25 cm par an, les élus locaux ont dépensé 6,4 millions d’euros pour déplacer les infrastructures à risque – campings, restaurants, bars et une station d’épuration des eaux – vers des endroits plus sûrs, à l’intérieur des terres.
>> À lire sur France24.com : Montée des eaux : à Quiberville, en Normandie, le pari de laisser entrer la mer
Cette approche comporte ses propres défis, selon Larissa Naylor : “Comment financer le déplacement des communautés ? Dans quelle mesure les communautés de l’intérieur des terres acceptent-elles l’arrivée de ces personnes dans leur espace ?”
À mesure que l’ampleur de l’érosion côtière augmentera, les difficultés liées au déplacement de populations auront un impact plus important sur les infrastructures et les dépenses existantes des pays européens. La professeure de géomorphologie interroge : “Le rapport de la Commission sur le changement climatique pour l’Angleterre a déclaré qu’en 2018, il y avait 8 000 propriétés menacées d’érosion en Angleterre et que d’ici à 2100, elles seront 100 000. Ce sera la même chose dans d’autres parties de l’Europe. Comment gérer cela en tant que société ?”
Des protections contre l’érosion côtière
Une autre option consiste à construire pour protéger les terres existantes en utilisant une “approche traditionnelle d’ingénierie dure” ou des “solutions plus vertes, basées sur la nature”, selon Larissa Taylor.
La ville de Marsaxlokk, à Malte, a opté pour la première solution. Les autorités ont annoncé, en octobre, un effort de 2 millions d’euros pour limiter l’érosion côtière en installant 70 mètres d’épis, des structures temporaires construites à l’aide de centaines de gros rochers calcaires. La barrière va s’étendre du quai jusqu’à la mer, formant un mur de protection pour retenir le sable et les autres sédiments qui, autrement, seraient emportés par le vent.
Cette technique est similaire à celle utilisée aux Pays-Bas, où 12 millions de mètres cubes de sable ont été utilisés pour remplacer ce qui est emporté du littoral par le vent. Alors que les épis peuvent durer jusqu’à vingt-cinq ans, le sable doit être remplacé chaque année à mesure que le problème s’aggrave. On s’attend à ce que de plus grands volumes de sable soient nécessaires, ce qui signifie aussi des coûts plus élevés.
Ces systèmes peuvent également être construits de manière plus écologique afin de les rendre habitables pour les espèces locales. La ville de Portsmouth, au Royaume-Uni, a par exemple annoncé début 2021 qu’elle prévoyait de construire un mur de défense maritime de deux kilomètres habitables pour les espèces des rivages rocheux.
Toutes ces options posent aussi la question des sommes à investir. “Il n’y a pas que le coût de la construction, mais aussi les réparations et l’entretien. Il s’agit de sommes phénoménales”, explique Larissa Naylor. Selon la spécialiste, “nous n’évaluons pas nécessairement tous les avantages économiques sur une période suffisamment longue”. Et surtout, poursuit-elle, “nous avons besoin de certaines exigences pour commencer à examiner le risque climatique à long terme.”
Des questions à soulever lors de la COP26
La professeure de géomorphologie espère que ces questions pourront être soulevées lors de la COP26, lundi 8 novembre, lors des discussions consacrées à l’adaptation, aux pertes et aux dommages causés par le changement climatique.
Elle cite comme exemple de réussite un récent projet de construction d’immeubles d’habitations au bord de l’eau à Édimbourg, en Écosse. Les entrepreneurs ont finalement accepté d’installer un parc côtier comme tampon entre la mer et les nouveaux bâtiments. Cela signifie qu’il a fallu faire de la place à la nature et accepter qu'”en tenant compte de l’érosion, on perd un peu de terrain”, précise Larissa Taylor.
Il semble maintenant essentiel d’inscrire ce changement d’attitude à l’ordre du jour et de mettre en place des cadres gouvernementaux favorisant de telles mesures, selon elle : “Si cela se produisait, cela aiderait à ce que des choses, comme la nécessité de s’adapter à l’érosion côtière, deviennent plus courantes.”
Alors qu’une étude récente de l’Organisation météorologique mondiale a révélé que le niveau moyen des mers a doublé entre 2013 et 2021 (par rapport à la période 1993-2002), une chose est sûre : des solutions plus réfléchies et de long terme seront nécessaires. Fondamentalement, conclut Larissa Naylor, il s’agit de “prendre maintenant des décisions qui n’engagent pas les générations futures à subir d’énormes pertes et dommages.”
Cet article a été traduit de l’anglais par Jean-Luc Mounier. L’original est à retrouver ici.