Le général Abdel Fattah al-Burhane a mis fin, lundi, au gouvernement de transition qui était chargé d’assurer la transition politique du Soudan jusqu’aux prochaines élections de 2024, après la chute de l’ex-président Omar el-Béchir. La communauté internationale dénonce un coup d’État, tandis que le général se présente en sauveur du pays.
Il est désormais seul aux commandes du Soudan. Le général Abdel Fattah al-Burhane, qui était à la tête des autorités de transition avant leur dissolution, incarne aujourd’hui le pouvoir militaire dans le pays, conspué par les uns et réclamé à grands cris par les autres.
Lundi 25 octobre, après des semaines de tensions entre militaires et civils qui se partagent le pouvoir depuis la destitution de l’autocrate Omar el-Béchir en 2019, l’armée a arrêté la quasi-totalité des dirigeants civils, notamment le Premier ministre, Abdallah Hamdok.
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Plusieurs heures après ces arrestations, le général Burhane est apparu à la télévision d’État, décrétant l’état d’urgence dans l’ensemble du pays et promettant la formation d’un nouveau gouvernement pour “corriger le cours de la transition”.
Dans la rue, depuis des jours, le nom de cet homme de 61 ans était sur toutes les lèvres. Pour les partisans d’un pouvoir civil, il est celui qui veut refaire du Soudan le pré-carré de l’armée et pour ceux qui veulent un “gouvernement militaire”, il est l’homme providentiel.
De l’ombre à la lumière
Après avoir joué un rôle-clé mais très discret comme commandant de l’armée de terre avant que l’ex-président, Omar el-Béchir, ne le nomme inspecteur général de l’armée, il est sorti de l’ombre le 12 avril 2019 en prenant les commandes du Conseil militaire de transition, au lendemain de la chute du dictateur. Porté au pouvoir par un coup d’État en 1989, Omar el-Béchir avait été destitué et arrêté par l’armée le 11 avril 2019 à Khartoum, sous la pression d’un mouvement de contestation populaire inédit, déclenché en décembre 2018 par le triplement du prix du pain.
Les membres du gouvernement de transition, qui avaient tous prêté serment en août 2019, étaient au nombre de 11, cinq militaires et six civils, comme le prévoyaient les accords entre le régime militaire et les leaders de la contestation. C’était donc la première fois depuis le coup d’État d’Omar el-Béchir que le pays n’était plus sous le contrôle total d’un régime militaire.
Aujourd’hui, le chef de la junte militaire assure toujours vouloir mener le pays – l’un des plus pauvres du monde – vers un gouvernement civil après des élections fin 2023. Mais pour le faire, il a dit avoir dû dissoudre toutes les autorités en place “avec le mandat du peuple”.
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Il a remplacé à ce poste le général Awad Ibn Ouf, qui avait été nommé le jour de la destitution du président, le 11 avril 2019. Mais, face à la pression de la rue, ce militaire, qui incarnait le régime de l’ex-président Omar el-Béchir et ses 30 années de règne sans partage, avait vite jeté l’éponge.
L’un des principaux atouts d’Abdel Fattah al-Burhane, qui est issu des mêmes académies qu’Awad Ibn Ouf, fut alors son anonymat quasi absolu : il “n’a jamais été sous le feu des projecteurs”, dit de lui un officier soudanais s’exprimant sous couvert d’anonymat.
Après plus de deux années de transition, il a désormais pris l’habitude des projecteurs et enfilé un costume s’apparentant à celui d’un chef d’État. C’est lui qui a reçu, le 20 octobre, une invitation de Paris pour participer à un sommet sur la Libye prévu à la mi-novembre et c’est lui encore qui reçoit les responsables étrangers en visite au Soudan pour discuter de l’avenir du pays.
Le général Burhane, toujours en uniforme kaki, béret sur la tête et galons biens en vue, apparaît régulièrement flanqué de son numéro deux au Conseil de souveraineté, Mohamed Hamdan Daglo, dit “Hemedti”, commandant des paramilitaires des puissantes Forces de soutien rapide (RSF) accusées d’être impliquées dans la répression de la révolte de 2019.
“Un profil adéquat”
Durant sa carrière, le général Burhan, un temps attaché de Défense à Pékin, a surtout été “un très haut gradé de l’armée, un commandant qui sait mener ses troupes”, assure l’officier soudanais.
Né en 1960 à Gandatu, un village au nord de Khartoum, Abdel Fattah al-Burhane a fait des études dans une école de l’armée soudanaise, puis en Égypte et en Jordanie. Il a été commandant de l’armée de terre avant que le président déchu le nomme inspecteur général de l’armée.
Marié et père de trois enfants, il avait, selon les médias soudanais, coordonné l’envoi de troupes soudanaises au Yémen lorsqu’il était commandant des forces terrestres, au côté des armées des pays du Golfe avec qui il entretient d’étroites relations. L’envoi de ces troupes avait été décidé par Omar el-Béchir, dans le cadre d’une coalition militaire sous commandement saoudien intervenue en 2015 au Yémen pour soutenir le gouvernement face aux rebelles houthis accusés de liens avec l’Iran.
Abdel Fattah al-Burhane bénéficie de soutiens étrangers. Depuis sa désignation à la tête des autorités de transition, il a encore renforcé ses liens avec les soutiens régionaux de l’armée soudanaise, en se rendant en Égypte, dirigée par un ancien maréchal, Abdel Fattah al-Sissi, mais également aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite, deux pourvoyeurs d’aides financières cruciales. Il signe également en octobre 2020 un accord de normalisation des relations avec son ennemi historique, Israël, bien qu’elle soit une décision impopulaire, vécue comme une trahison à la “cause panarabe” et aux Palestiniens.
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“À mon sens, il a un profil adéquat. Il a des liens avec les pays du Golfe. C’est un très haut gradé. Il a la confiance de l’armée. Il est apolitique a priori”, analysait Marc Goutalier, politologue et consultant à l’Observatoire des pays arabes, interrogé sur l’antenne de France 24, lors de son investiture au gouvernement de transition, le 12 avril 2019.
Avec AFP