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Turquie : quel est le bilan de l'offensive diplomatique d'Erdogan en Afrique ?

Le président Recep Tayyip Erdogan a entamé dimanche une nouvelle visite sur le continent africain, devenu depuis une vingtaine d’années un axe majeur de la stratégie d’influence turque. Avant tout culturelle et économique, l’offensive d’Ankara prend désormais un tournant sécuritaire et stratégique.

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Il ne se passe pas une année sans qu’il ne se rende en Afrique. Recep Tayyip Erdogan achèvera, jeudi 21 octobre, une tournée en Angola, au Nigeria et au Togo, à deux mois du troisième sommet Turquie-Afrique qui doit se tenir à Istanbul en décembre.

À l’issue de cette tournée, le président turc aura visité 30 pays africains depuis son arrivée au pouvoir, signe d’un activisme tout azimuts sur le continent.

Peu commenté dans les médias, accaparés par les ambitions russes et chinoises en Afrique, le succès de la stratégie d’influence turque est pourtant une nouvelle variable à prendre compte dans les équilibres régionaux.

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L’intérêt de la Turquie pour l’Afrique remonte aux années 2000. Alors que les portes de l’Union européenne se ferment, le pays cherche de nouveaux débouchés et entame une politique volontariste d’abord en Afrique de l’Est, en Éthiopie et en Somalie notamment, avant de s’intéresser à l’ouest du continent.

“Il y a cette volonté de jouer une carte originale”, résume Jean Marcou, enseignant à Sciences Po, chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes (IEFA) d’Istanbul, joint par France 24  “C’est une stratégie globale qui vise à apparaître comme un pays émergent, moins menaçant que la Chine, mais qui en même temps se démarque des anciennes puissances coloniales avec un discours néo tiers-mondiste assez populaire en Afrique”.

En une dizaine d’années, les relations entre la Turquie et les pays africains ont progressé de manière spectaculaire. Le nombre d’ambassades turques a plus que triplé. Avec 43 représentations, Ankara possède désormais l’un des réseaux diplomatiques les plus denses du continent.

Étroitement imbriqué dans les intérêts de la diplomatie turque, le développement des relations économiques est l’un des aspects les plus frappants de la dynamique à l’œuvre depuis deux décennies. Depuis 2003, année où Recep Tayyip Erdogan devient Premier ministre, le volume des échanges commerciaux entre la Turquie et l’Afrique a été multiplié par cinq, passant de 5 à 25 milliards de dollars, rappelle RFI.


Puissance agro-alimentaire, premier producteur de farine au monde, la Turquie est devenu un partenaire commercial incontournable dans des pays où la sécurité alimentaire reste un enjeu majeur.

Cet ancrage africain s’est notamment appuyé sur la multiplication des liaisons aériennes opérées par la compagnie Turkish Airlines entre Istanbul, la capitale économique, avec quasiment toutes les grandes villes africaines. 

Drones et armement

La tournée en Afrique du président turc devrait une nouvelle fois mettre l’accent sur l’économie avec une série d’accords attendus dans le domaine des hydrocarbures au Nigéria ou encore de l’agriculture et de l’industrie au Togo. Mais les questions de défense seront aussi au menu des discussions.

Pour Ankara, l’instabilité et la menace terroriste qui pèsent sur les pays du Sahel constituent une opportunité pour nouer des partenariats stratégiques. Une importante délégation de l’agence qui pilote l’industrie militaire turque est d’ailleurs du voyage. 

“La Turquie produit beaucoup de matériel militaire : des frégates, du matériel blindé, des missiles mais son grand succès est incontestablement les drones qui ont fait leurs preuves sur le terrain”, détaille Jean Marcou.

Fiable et bon marché, le drone d’attaque TB2 a en effet démontré son efficacité sur quatre fronts ces dernières années. En Irak contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en Libye pour stopper l’offensive du maréchal Haftar sur Tripoli, en Syrie contre les troupes de Bachar al-Assad ou encore dans le conflit au Haut-Karabakh.

>> À voir : Salon aéronautique en Turquie : les drones, nouvelle arme phare de l’armée turque

Véritable fierté nationale, Ankara veut en faire un nouveau vecteur de sa puissance en Afrique. Vingt fois moins cher qu’un avion de chasse, il ne nécessite pas d’infrastructures lourdes et peut s’avérer extrêmement utile aux pays en conflit avec leurs voisins ou confrontés à des rebellions. 

L’Éthiopie, le Maroc et la Tunisie ont déjà fait part de leur intérêt pour l’achat de drones turcs.

Au-delà de la la question des ventes d’armes, la Turquie est aussi présente militairement en Afrique avec la plus grande base située hors de ses frontières, en Somalie. Le pays a également signé un accord sécuritaire controversé avec le Niger en 2020 mais dont le contenu a été gardé secret. Il prévoirait l’envoi de soldats turcs au Niger pour former et appuyer les forces nigérianes dans leur combat contre l’organisation terroriste Boko Haram.

Puissance montante

Avec la reconfiguration de la mission Barkhane au Sahel, certains diplomates s’inquiètent de voir la Turquie s’infiltrer dans les vides laissés par l’armée française et appuyer militairement les pays de la région.

L’influence turque s’est récemment illustrée au Mali. En août 2020, après le coup d’État qui a déposé le président Ibrahim Boubacar Keïta, le ministre des affaires étrangères turc a été le premier haut responsable étranger à rencontrer les putschistes.

>> À voir : Réorganisation de la force Barkhane au Mali : “Il ne faut pas créer un vide”

“Sans surestimer ce que peut faire Ankara, les pays très investis en Afrique, comme la France, gardent un œil sur la Turquie, analyse Jean Marcou. Dans la redéfinition des équilibres internationaux, le pays peut jouer les trouble-fêtes et compliquer un peu plus la donne”.

Pour le moment, c’est essentiellement à travers des investissements ciblés qu’Ankara cherche à étendre sa sphère d’influence au Sahel. Pour conquérir les esprits et les cœurs, le pays s’appuie notamment sur un habile “soft power”, jouant des affinités religieuses dans les pays à forte tradition musulmane.

Ainsi, le puissant Diyanet, l’administration turque des affaires religieuses, fer de lance de cette politique, développe depuis plusieurs années des œuvres caritatives et financent l’implantation de mosquées. Dernière en date, une réplique de la Mosquée bleue d’Istanbul, chef d’œuvre de l’art ottoman, inaugurée en juillet à Accra au Ghana. Il s’agit de la deuxième plus grande mosquée d’Afrique de l’ouest. 

Cependant, face à la Chine ou l’Union européenne, la Turquie est loin d’être un acteur de premier plan dans le développement économique du Sahel, rappelle l’International Crisis group dans une note publiée fin juillet. “Alors que l’Union Européenne et ses États membres ont injecté plus de 8 milliards de dollars au Sahel central depuis 2014, pour la seule coopération au développement, les données de la Tika (Agence turque de coopération et de développement) indiquent que la Turquie a dépensé seulement 61 millions de dollars entre 2014 et 2019 en aide au développement”.

Puissance montante, la Turquie continue d’avancer ses pions en Afrique malgré les difficultés. Principal revers de sa diplomatie ces dernières années : la fermeture des écoles Gülen, du nom de Fethullah Gülen, le prédicateur accusé d’être derrière la tentative de coup d’État en Turquie en 2016.

>> À lire : En Afrique, Erdogan veut la peau des écoles Gülen

La plupart de ces écoles, qui ont joué un rôle essentiel dans la formation des élites africaines, ont dû cesser leur activité éducative sous la pression d’Ankara. Depuis, la Turquie cherche à reprendre en main cette présence via une fondation religieuse, la Fondation Maarif, présente dans 31 pays d’Afrique.

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