Emmitouflées dans des couvertures, des dizaines de personnes, dont des femmes et des enfants, dorment tous les soirs à même le sol devant le siège du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), à Tripoli, en Libye. Ces familles de Subsahariens, désespérées, s’y sont précipitées le 1er octobre, après que les autorités libyennes ont lancé une vaste campagne d’arrestations visant les migrants dans les faubourgs de la capitale. Craignant pour leur sécurité, elles demandent à être évacuées le plus rapidement du pays.
Les migrants subsahariens vivent la peur au ventre depuis le lancement de cette campagne d’arrestations, notamment dans la commune de Gargaresh, située à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Tripoli et connue pour être un point de chute de migrants. Le 1er octobre, sous prétexte de “lutter contre le trafic de drogue”, les forces de sécurité libyennes ont fait irruption au domicile des migrants tôt le matin, et les ont sortis de force, n’hésitant pas à faire usage de violence et à tirer.
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Des centaines de migrants subsahariens arrêtés dans la commune de Gargaresh, le 1er octobre. Publié par le ministère libyen de l’Intérieur.
Une personne a été tuée et au moins quinze blessées, dont certaines par balles, durant cette opération qui s’est soldée par l’arrestation de 4 000 migrants. Il s’agit essentiellement de Soudanais, d’Érythréens et de Somaliens. Des centaines de femmes et d’enfants ont également été arrêtés.
“Ils les chargeaient dans des bus ou sur leurs pick-up comme du bétail”
Samira (pseudonyme), 22 ans, est étudiante. Elle ne possède pas la nationalité libyenne bien que née à Tripoli, car ses parents sont Soudanais. Elle dit vivre dans un climat de terreur ces dernières semaines.
J’habite à une dizaine de minutes du quartier de Gargaresh, où les arrestations ont eu lieu. C’était terrifiant. La police anti-migration [NDLR : Direction de lutte contre la migration illégale] et les militaires avaient bouclé tout le quartier. Ils cassaient les portes des maisons et faisaient sortir les occupants en les frappant, puis les chargeaient dans des bus ou sur leurs pick-up comme du bétail. Ils prenaient leurs téléphones, l’argent qu’ils avaient sur eux. Il y avait des voisins que je connais depuis plusieurs années, des femmes enceintes. Tout le monde a été embarqué sans distinction, y compris ceux qui ont en leur possession un récépissé de demande d’asile, ou un document du HCR attestant de leur statut de réfugiés.
Des migrants dorment le devant le bureau du HCR à Tripoli, samedi 16 octobre. Photo publié par Tarik Lamloum.
La plupart des migrants arrêtés ont été entassés dans le centre de rétention de Ghut Shaal, où eau et nourriture ont rapidement manqué en raison du surpeuplement.
Centre de rétention de Ghut Shaal, à l’ouest de Tripoli, le 1er octobre.
Quelques jours plus tard, le 8 octobre, des éléments des forces de sécurité ont tiré sur les migrants à l’intérieur du centre de rétention, causant la mort de six détenus. Effrayées, des centaines de personnes ont pris la fuite, dans des circonstances confuses. Le vice-président du Conseil présidentiel de l’État libyen, Moussa al-Koni, a présenté des excuses lors d’une conférence de presse, le 10 octobre, pour ces “événements malheureux dont des migrants ont été victimes”.
Fuite des détenus du centre de rétention de Ghut Shaal, le 8 octobre.
Face à cette vague d’arrestations massives, des migrants se sont rassemblés devant le bureau du HCR, espérant y être protégés. Ce qui n’a pas empêché des hommes cagoulés de frapper et d’abattre par balles, le 14 octobre, un migrant soudanais, Amer Baker, sous les yeux des familles qui campaient sur place.
Des migrants brandissent des pancartes réclamant justice pour le meurtre du jeune Soudanais, Amer Baker, devant le bureau du HCR. Publié par Tarek Lamloum.
“Une note d’espoir, les vols humanitaires vont reprendre”
Samira poursuit :
Hier encore [lundi 17 octobre], la route principale de Gargaresh était fermée par les forces de sécurité. Je les voyais tous depuis mon balcon. Ces derniers jours, la police anti-migration patrouillait en permanence dans le quartier. Je voyais les policiers interpeller les habitants en leur demandant : “Il y a des étrangers parmi vous ?”.
J’ai eu peur pour ma propre sécurité, car ma peau est noire. Mes parents ont émigré en Libye il y a plus de quarante ans et je suis née à Tripoli. Mais nous subissons encore toutes sortes de discriminations. Je n’ai pas droit à la nationalité et j’ai un permis de séjour que je dois renouveler régulièrement.
Donc, après les arrestations du 1er octobre, je n’ai pas mis le nez dehors pendant une semaine car je sais que la police ne fait pas dans le détail et pourrait me jeter en prison sans même vérifier mon identité.
Il y quand même une note d’espoir dans tout cela, car après la médiatisation de ce drame et grace aux pressions exercées par les ONG de défense des droits humains, le Haut commissariat aux réfugiés vient d’annoncer qu’il allait pouvoir reprendre les vols d’évacuation des personnes ayant le statut de réfugiés [vers des pays dits de “réinstallation”, NDLR]. Des amis migrants m’ont en effet dit qu’ils avaient reçu des messages de l’agence onusienne leur demandant de se tenir prêts. Les vols d’évacuation avaient été suspendus par les autorités libyennes depuis le 8 août, sans aucune explication.
J’espère maintenant que les procédures d’évacuation vont s’accélérer.
Dans un communiqué du 14 novembre, teinté de dépit, le HCR a indiqué qu’en raison de cette suspension, certains pays de réinstallation l’avaient informé qu’ils ne pouvaient plus recevoir de dossiers de demandeurs d’asile provenant de Libye cette année. “Cela entraînera la perte de 162 places sur des vols directs de réinstallation et pourrait compromettre près de 1 000 places par le biais du mécanisme de transit d’urgence, qui offre du répit aux réfugiés et demandeurs d’asile vulnérables qui peuvent se rendre au Rwanda et au Niger en attendant que des alternatives à long terme soient trouvées”, déplore le texte.