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La scolarité en ligne, unique espoir et calvaire d’une jeune afghane

L’école faisait jadis la joie de cette jeune afghane. Mais les Taliban au pouvoir ayant refusé d’ouvrir l’enseignement secondaire aux filles, cette lycéenne s’attèle à suivre des cours en ligne. Un combat au quotidien.

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L’heure de la rentrée des classes a sonné. Rabia H* voit son petit frère prendre le chemin de l’école pour la première fois, samedi 18 septembre, depuis le retour des Taliban à Kaboul au cœur de l’été.

C’est un matin douloureux pour cette adolescente afghane. Les nouveaux maîtres de l’Afghanistan ont repris les rênes du pays voilà  un mois. Pourtant, ces quelques semaines ont été les plus difficiles que cette lycéenne de 15 ans ait jamais vécues.

Militant des droits de l’Homme, le père de Rabia est aussi issu de la minorité Hazara. Essentiellement chiite, cette communauté fut brutalement persécutée par les Taliban dans les années 90. Alors que les derniers soldats américains quittaient le sol afghan, le 31 août, une décision douloureuse s’est imposée à lui : fuir dès que possible. Quelques jours plus tard, il s’est réfugié au Pakistan voisin.

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Jusqu’à la “dernière minute” de la date limite du retrait américain, la famille a espéré être évacuée via l’aéroport de Kaboul, explique Rabia depuis la capitale afghane, lors d’un entretien téléphonique avec France 24. Cela n’est jamais arrivé. Et, la route menant  à la frontière pakistanaise étant trop dangereuse pour une femme et des enfants, le père de Rabia a dû se résoudre à laisser sa famille en Afghanistan

Avant d’embrasser sa fille, l’homme a pris à part Rabia pour lui parler. “Il m’a rappelé que j’étais l’aînée, que je devais aider avec mes frères et sœur, surtout mon frère, mon cadet d’un an. Il est en CM1 et n’est pas appliqué. J’ai une grande responsabilité”.

Une rentrée amère

Aussi loin qu’elle se souvienne, Rabia a toujours été première de sa classe, remplissant son père d’une profonde fierté. Mais pour elle, comme pour les autres écolières du pays, les Taliban nourrissent un tout autre dessein.

Avant qu’ils ne s’emparent à nouveau de l’Afghanistan en août, le groupe fondamentaliste islamiste a promis pendant des années aux négociateurs américains de faire peau neuve : l’ère qui se profilerait ne serait pas la répétition de leur désastreux règne des années 90

Mais lorsque des écoles à travers le pays ont rouvert le 18 septembre, au terme d’une fermeture liée à la pandémie de Covid-19, les établissement pour filles du secondaire sont restés vides, privant de fait celles âgées de 13 à 18 ans de tout enseignement.

Voilà pourquoi, pour Rabia, la joie de cette rentrée-là est ternie par l’amertume. “J’étais sincèrement contente pour mes frères parce qu’ils pouvaient aller à l’école. Ils pourraient rencontrer leurs enseignants et camarades de classe, et aussi, ils pourraient recevoir une éducation”, explique-t-elle. “Nous pensions que les écoles rouvriraient pour tous. Mais quand nous avons compris que cela ne concernait pas les filles, nous avons ressenti une forme de désespoir”.

Mais face à l’adversité et déterminée à poursuivre ses études, Rabia s’est tournée vers Internet, se lançant dans un programme d’enseignement en ligne, sans aucune aide.

“Ils traitent les femmes comme des animaux”

Aujourd’hui, les Taliban sont animés par une ambition : obtenir une reconnaissance internationale, et un soutien financier. Une question de survie pour le pays confronté à une crise économique sans précédent. On voit ainsi les Taliban accorder visas et interviews aux journalistes étrangers, tout en réprimant brutalement ceux de leur propre pays, selon l’ONU.

“Les Taliban traitent les femmes comme des animaux. Ils ne nous permettent pas de vivre, d’aller à l’école, ils ne veulent même pas parler aux femmes. Si nous manifestons, ils nous poursuivent comme des bêtes. S’il vous plaît, ne reconnaissez pas leur gouvernement”, supplie Rabia

Un quotidien inféodé aux pannes de courant

L’accès à l’éducation a beau être un droit fondamental, c’est d’abord un chemin de croix pour Rabia. Depuis que les Taliban sont arrivés au pouvoir, sa vie s’est circonscrite aux murs de l’appartement familial, avec une seule porte d’accès au monde extérieur : Internet. 

Mais cet espace de liberté est lui-même entravé par de perpétuelles coupures de courant. “Le matin, ou généralement la nuit, nous avons un peu d’électricité, mais jamais l’après-midi”, résume la jeune fille, dont la vie est ainsi rythmée par ces aléas. Rabia étudie seule le matin, lors des quelques heures d’accès au Web. Puis, l’après-midi, deux adolescentes de son voisinage viennent étudier avec elle les cours reçus en ligne le matin. Lorsque le soir venu, Internet revient, elle se consacre à l’apprentissage de l’anglais avec son frère.

Les cours dispensés sur le Web, justement, sont principalement en anglais, et jamais en persan, langue qu’elle utilisait jadis à l’école. L’adolescente, qui aurait été en classe de seconde cette année, doit donc désormais s’instruire dans une nouvelle langue. “C’est très dur, nous n’avons aucun professeur pour nous aiguiller. J’ai demandé à des gens de m’aider, beaucoup ont refusé, d’autres n’ont même pas répondu”, soupire-t-elle.

La famille et les amis de Rabia sont tous en état de choc. Aussi, il leur est difficile d’aider l’adolescente, alors qu’ils parviennent eux-mêmes laborieusement à affronter la situation. Comme son père, qui lutte pour survivre, privé d’emploi et sans argent au Pakistan. Rabia préfère ne pas le déranger. 

“Rester forte”

Avant la prise de contrôle des Taliban, Rabia se destinait à des études supérieures, sous d’autres cieux. “J’ambitionnais d’obtenir une bourse dans une université étrangère réputée. Je voulais être scientifique, et je tenais de tout cœur à m’inscrire dans une université où je pourrais devenir la personne que je veux être”, se souvient-elle.

Ce rêve s’est éloigné avec les Taliban, mais il ne s’est jamais anéanti : Rabia s’attèle à la préparation du Scholastic Aptitude Test (SAT). Cet examen (mesurant les compétences verbales et le raisonnement mathématique) est prérequis à l’admission dans une université américaine.

La jeune fille ne connaît pas encore les conditions dans lesquelles elle pourra passer ce test, mais elle s’y prépare : elle suit assidûment des cours sur Khan Academy, un site gratuit d’enseignement en ligne, fondé par le célèbre éducateur américain Salman (Sal) Khan.

“C’est top, j’adore ça”, s’extasie Rabia. Sa voix, pour une fois, vibre d’un enthousiasme tout adolescent. “C’est un programme qui m’est accessible, et ils ont du matériel, des vidéos pour tous les niveaux.”

Mais si la Khan Academy dispose désormais de plateformes dans de nombreuses langues, le persan n’en fait guère partie. Un calvaire pour Rabia : “J’ai demandé à des étudiants de l’Université américaine d’Afghanistan de me donner un coup de pouce”, raconte-t-elle. “Mais ils étaient occupés, et ont refusé de me prêter main forte”.

“Ce jour-là, j’ai eu le cœur brisé”, finit par confier Rabia. Je me sens chaque jour plus seule. Mon père est parti. Il me manque trop… Je n’arrive même pas expliquer ce que je ressens”. Sa voix s’éteint, comme submergée par l’émotion.

Après quelques instants pourtant, la jeune fille se ressaisit – comme elle l’a fait si souvent ces derniers temps – et poursuit : “Je me dis que je dois rester forte – pour mon père, ma famille. Pour les femmes afghanes. Si nous ne parlons pas, les Taliban feront tout ce qu’ils peuvent…Et nous ne pouvons pas laisser cela se produire”.

Traduit de l’anglais par Sophian Aubin

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