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“Pandora papers” : comment le Dakota du Sud est devenu un aimant à ultra-riches

Le rôle du Dakota du Sud dans l’évasion fiscale revient souvent depuis le début des révélations, dimanche, des “Pandora papers”. Cet État du Midwest a bâti sa réputation fiscale sur un véhicule financier très prisé des ultra-riches : les trusts. Explications.

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Sa ville la plus connue, Sioux Falls, fleure bon le temps des cowboys et des Indiens et l’emblématique mont Rushmore domine son paysage. Mais depuis dimanche 3 septembre, le Dakota du Sud se retrouve célèbre pour son rôle dans l’évasion fiscale internationale. 

Cet État du Midwest nord-américain est au cœur des révélations des “Pandora papers“, cette enquête sur les secrets fiscaux des riches et puissants menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) en partenariat avec 150 médias dans le monde

L’État aux 360 milliards de dollars

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Le Dakota du Sud est à ce point omniprésent dans les documents récupérés par l’ICIJ que la Russie s’est permis, lundi 4 septembre, d’affirmer que la grande leçon des “Pandora papers” était que les États-Unis sont devenus un paradis fiscal.

Le Kremlin cherchait, certes, à détourner l’attention des révélations sur tous les proches du président russe Vladimir Poutine, également cités dans les “Pandora papers”. Mais les États-Unis se retrouvent effectivement, depuis près de trois ans déjà, en deuxième place du classement des centres financiers les moins transparents au monde, établi par l’ONG Tax Justice Network. Les États-Unis ont dépassé la Suisse en 2018, et talonnent désormais les îles Caïmans, qui trônent depuis longtemps au sommet de cette liste.

Le Dakota du Sud n’est pas le seul État à valoir aux États-Unis cette réputation de paradis fiscal parmi les experts de l’évasion fiscale. Le Delaware, l’Alaska, la Floride ou encore le Nevada attirent aussi des milliardaires cherchant à soustraire leur fortune au fisc.

Mais le Dakota du Sud, par les sommes en jeu et son histoire, tient une place à part dans le tableau de l’évasion fiscale “made in America” révélée par les “Pandora papers”. Sur 100 dossiers liés aux États-Unis étudiés par l’ICIJ et ses partenaires, 81 concernent cet État.

Il y a au moins 360 milliards de dollars d’actifs dans les véhicules financiers mis en place au Dakota du Sud pour des milliardaires du monde entier. C’est près de sept fois plus qu’il y a à peine dix ans…. 

Le Dakota du Sud a réussi à attirer toute sorte de super-riches, comme Guillermo Lasso, le président de la république d’Équateur, Carlos Morales Troncoso, le roi de la canne à sucre en République dominicaine, ou encore José “Pepe” Douer Ambar, un magnat colombien du textile, connecté au trafic de drogue. Même “Trouble”, la chienne de Leona Helmsley, décédée en 2007 et auto-proclamée “reine de l’immobilier”, avait pu profiter des largesses fiscales du Dakota du Sud pour jouir en toute tranquillité d’un héritage de 12 millions de dollars jusqu’à sa mort en 2011.

Les “dynasty trusts”

Le Dakota du Sud cultive depuis longtemps son image d’État fiscalement accommodant. Au début des années 1980, son gouverneur, le républicain William Janklow, cherchait un moyen pour relancer la machine économique et créer des emplois. Il l’a trouvé auprès de Citibank. 

Celle-ci avait un problème : les intérêts imposés par la Réserve fédérale étaient trop élevés pour les banques, qui ne pouvaient pas répercuter ce coût sur les clients car une loi visant à protéger les consommateurs encadrait les augmentations d’intérêts sur les cartes de crédit. Donc, en échange de 400 emplois créés par Citibank, le gouverneur du Dakota du Sud a décidé en 1981 d’annuler sur son territoire cette interdiction sur la hausse des taux d’intérêt. De quoi nourrir un boom de l’activité bancaire dans la région.

Fort de ce premier succès, William Janklow s’est alors demandé s’il ne pouvait pas trouver des astuces fiscales pour attirer, cette fois-ci, de riches particuliers. Avec l’aide d’avocats, il va chercher de l’autre côté de l’Atlantique une vieille institution britannique : les trusts, ces montages financiers à mi-chemin entre la société de droit privé et le fond de placement qui avaient longtemps eu les faveur de l’aristocratie. 

Il a ainsi fait du Dakota du Sud, la capitale américaine des trusts modernes. Une remise au goût du jour fiscal qui est d’abord passée par un retour en arrière : au Royaume-Uni, les députés s’étaient battus à la fin du XIXe siècle pour que les trusts ne soient plus “éternels”. Autrement dit, ils s’étaient assurés que les actifs mis dans un trust (de l’argent, des terres, des œuvres d’art, etc.) par des aristocrates désireux de tout garder pour leur famille ne soient pas protégés ad vitam æternam. 

William Janklow a décidé, en 1983, qu’un trust au Dakota du Sud pourra, lui, être “éternel”. C’est le début des “dynasty trusts”, qui vont faire les beaux jours fiscaux de cet État.

“Le secret bancaire, c’est le b.a.-ba de l’optimisation fiscale, tandis que les trusts, c’est pour ceux qui cherchent des solutions plus raffinées afin de mettre leur bien à l’abri de tous les regards et toutes les convoitises”, explique Andres Knobel, expert des trusts pour l’ONG de lutte contre l’évasion fiscale Tax Justice Network, contacté par France 24.

Ces outils financiers posent deux problèmes aux autorités fiscales : “ils sont opaques et offrent une très forte protection des actifs qui y sont placés”, résume ce spécialiste. Les trusts fonctionnent comme des sociétés, sauf qu’il y a une multitude de participants aux rôles mal définis et on ne sait pas vraiment qui en est le bénéficiaire final. 

Une “task force” pour rester à la pointe des trusts

En outre, dans beaucoup de juridictions, comme le Dakota du Sud, “il n’y a pas d’obligation d’enregistrer un trust, ce qui fait qu’on ne sait pas réellement qu’ils existent jusqu’à ce que des scandales comme les ‘Pandora papers’ lèvent le voile”, note Andres Knobel. C’est pourquoi des institutions comme la Banque mondiale pensent que les estimations actuelles des actifs gérés par des trusts sont sous-évaluées

L’exemple du Dakota du Sud a rapidement été copié aux États-Unis et ailleurs, avec des paradis fiscaux comme les Îles Cook, Saint-Kitts-et-Nevis ou le Bélize, qui se sont aussi spécialisés dans la créations de trusts, souligne une étude sur ce phénomène publiée par Tax Justice Network en 2017.

Pour ne pas se faire distancer, le Dakota du Sud a créé, en 1997, une “task force” qui conseille le gouverneur pour mettre régulièrement à jour les lois sur les trusts afin de copier ou améliorer les meilleures innovations fiscales en la matière venues d’ailleurs. C’est ainsi que l’État américain a su rester l’un des plus en pointe concernant le niveau de protection offert aux ultra-riches. Les trusts au Dakota du Sud permettent de mettre “les actifs à l’abri des créanciers en tout genre, y compris le fisc, et garantissent aussi qu’il n’y aura pas des droits de succession à payer ou d’impôts sur la fortune”, résume Andres Knobel.

Pour lui, “il est clair que le Dakota du Sud a fait la promotion de son système de trusts bien mieux que n’importe quel autre territoire”. Mais il a aussi bénéficié, par ricochet, d’un autre scandale : celui d’UBS, au milieu des années 2000. Lorsque l’administration américaine s’est aperçue que la banque suisse avait aidé des contribuables nord-américains à frauder le fisc, elle a mis tout son poids pour que les principaux territoires fiscalement non coopératifs (comme la Suisse, le Luxembourg, les différentes îles britanniques, etc.) partagent davantage d’informations avec Washington sur les détenteurs de comptes en banque.

Mais cette pression américaine pour plus de transparence n’a pas été exercée sur les États américains, rappelle le Washington Post. De ce fait, “on a assisté à un transfert des richesses cachées en Suisse et ailleurs vers les territoires aux États-Unis, dont le Dakota du Sud”, poursuit le quotidien américain.

“Je crains avec tout ça que nous ne devenions [un paradis fiscal, NDLR] comme la Suisse ou Panama”, a déclaré à l’ICIJ Craig Kennedy, un ancien élu démocrate du Dakota du Sud qui a été l’un des rares à poser des questions sur tous les cadeaux faits par son État aux super-riches. Le scandale des “Pandora papers” démontre que cette étape est déjà franchie. Et l’administration Biden n’a, jusqu’à présent, pas réagi à ces révélations.

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