Alors qu’en France, la radicalité domine le débat de la primaire écologiste, les Verts allemands ont depuis plusieurs années fait le choix du compromis pour exercer le pouvoir. Leur candidate aux législatives du 26 septembre, Annalena Baerbock, est ainsi issue de la ligne “réaliste” des “Grünen”.
Bientôt l’heure du choix. Les électeurs de la primaire écologiste en France devront choisir, lors d’un vote en ligne entre les 25 et 28 septembre, qui de Yannick Jadot ou Sandrine Rousseau sera leur candidat à l’élection présidentielle de 2022. Les deux finalistes ont essayé de convaincre les électeurs de Delphine Batho, Éric Piolle et Jean-Marc Governatori, mercredi 22 septembre sur LCI, lors du débat d’entre-deux-tours, en affichant deux lignes bien distinctes. Quand Yannick Jadot met en avant sa volonté de gouverner avec pragmatisme, Sandrine Rousseau lui reproche son manque de radicalisme.
C’est finalement un vieux débat qui a toujours marqué l’histoire d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) que les électeurs de la primaire devront trancher. Faut-il faire campagne sur des principes intangibles ? Ou bien faut-il être prêt à quelques compromis, à l’image des Grünen (les Verts allemands), qui acceptent de gouverner avec la droite ?
“Notre responsabilité, c’est d’accéder au pouvoir pour gouverner”, a affirmé mercredi soir Yannick Jadot, qui ne cache pas sa proximité avec les dirigeants des Grünen. L’eurodéputé était d’ailleurs présent à Berlin, mi-juin, au congrès des Verts allemands pour soutenir la désignation d’Annalena Baerbock comme candidate à la Chancellerie.
Il faut dire que les réussites électorales des écologistes allemands ont de quoi faire pâlir leurs homologues français. Si les Grünen sont dans l’opposition au niveau fédéral depuis leur participation à la coalition de Gerhard Schröder entre 1998 et 2005 et la nomination de Joschka Fischer comme ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier, ils sont toutefois très implantés au niveau des exécutifs locaux. Les Verts allemands participent ainsi à onze coalitions régionales bipartites ou tripartites, avec le SPD (gauche), la CDU (droite), mais aussi avec Die Linke (extrême gauche) et le FDP (libéraux). Ils dirigent depuis 2011 le Land du Bade-Wurtemberg. Aux européennes de 2019, ils ont obtenu 20,5 % des suffrages. Et leur cheffe de file aux législatives du 26 septembre, Annalena Baerbock, était même régulièrement citée comme possible gagnante des élections législatives il y a encore quelques semaines.
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“Les Grünen ont réussi à normaliser leur image sur l’échiquier politique allemand. Ils sont aujourd’hui établis et considérés comme un parti crédible, notamment parce qu’ils ont fait la preuve de leur capacité à gouverner”, explique Annette Lensing, maîtresse de conférence en Études germaniques à l’Université de Caen-Normandie et spécialiste des Verts allemands, contactée par France 24.
“Une ligne pragmatique affirmée”
Il est injuste de comparer la France et l’Allemagne, répondent les dirigeants d’EELV. “On n’a pas du tout le même système électoral et la même façon de gouverner. Avec la proportionnelle en Allemagne, chaque bulletin de vote est représenté et leur système de coalition oblige les partis à travailler ensemble. Si les Verts allemands évoluaient dans le système français, ils auraient peut-être des résultats inférieurs aux nôtres”, veut croire Sandra Regol, la numéro 2 d’Europe Écologie-Les Verts, contactée par France 24.
Un argument balayé par l’ancien ministre de la Transition écologique d’Emmanuel Macron et ancien membre d’EELV, François de Rugy, contacté par France 24. “Ce qui fait la différence, c’est d’abord leur programme, beaucoup moins radical que celui des Verts français. Les Verts allemands sont dans l’idée qu’il faut exercer des responsabilités. Pour eux, c’est un échec quand ils ne participent pas au gouvernement. Donc ils ne mettent pas comme préalable de convaincre leurs partenaires”, juge le député de Loire-Atlantique.
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“Les Verts allemands ont réussi à surmonter l’affrontement entre les deux lignes qui s’opposaient en interne : celle des ‘realos’ (réalistes) et celle des ‘fundis’ (radicaux). Il y a désormais une ligne pragmatique affirmée. Ils sont clairement en faveur de l’économie sociale de marché”, ajoute Annette Lensing.
En France, la ligne “réaliste” a souvent été minoritaire au sein d’EELV. Ceux désirant le plus exercé le pouvoir, comme François de Rugy, mais aussi Barbara Pompili ou Pascal Canfin, ont fini par partir pour rejoindre Emmanuel Macron et La République en marche.
Si certains avaient des doutes (ou des espoirs), la preuve en est une nouvelle fois apportée : la course à la radicalité dans laquelle les Verts français sont engagés depuis 2014 n’est pas près de s’arrêter…#EELV https://t.co/CI7LrVAZO1
— François de Rugy (@FdeRugy) September 19, 2021
“Je voyais bien que cette volonté d’être un parti de gouvernement n’était pas partagée, regrette François de Rugy. La radicalité est un passage obligé chez les Verts français. On le voit très bien dans leur primaire. Même Yannick Jadot qui voulait jusqu’ici se faire passer pour un modéré fait tout depuis les résultats du premier tour pour se présenter comme un radical en rappelant sans cesse son passé d’activiste et de faucheur d’OGM. Malheureusement, cette attitude les condamne à rester une force marginale.”
“Une écologie qui ne va pas au bout du chemin”
Reste à savoir ce que permet la ligne “réaliste”. S’ils se gardent bien de critiquer ouvertement la ligne de leurs homologues allemands, les écologistes français font valoir que participer au gouvernement à tout prix ne suffit pas pour lutter réellement contre le réchauffement climatique. “Faute d’avoir compris que l’écologie demande une remise en question du système productiviste, les réponses d’Emmanuel Macron sont très faibles. Il faut changer de logique. Il n’y aura pas de transition écologique sans basculement politique. La question n’est pas d’influencer Macron, mais de le remplacer. Nicolas Hulot a fait malgré lui la démonstration qu’être invité au gouvernement ne suffisait pas, qu’il fallait un rapport de force”, a décrit Julien Bayou, secrétaire général d’EELV, dans un entretien avec Reporterre en mars 2020.
“L’écologie de gouvernement, ça fait vingt ans qu’elle est au pouvoir. C’est une écologie qui ne va pas au bout du chemin”, a également critiqué Sandrine Rousseau, lors du débat sur LCI mercredi soir, fustigeant “la politique des petits pas”.
En Allemagne, les Grünen ont permis de sensibiliser l’opinion à l’écologie, de faire entrer ces questions dans le débat politique et participent à la pression importante exercée sur le gouvernement fédéral pour lutter contre le réchauffement climatique, souligne Annette Lensing. Pour autant, la Cour constitutionnelle allemande a estimé, en avril 2021, que l’action du gouvernement d’Angela Merkel était insuffisante pour tenir les engagements allemands de limitation des émissions de gaz à effet de serre.
La candidate des Verts allemands, Annalena Baerbock, propose quant à elle d’accélérer la sortie du charbon, d’étendre les énergies renouvelables et d’augmenter la taxe carbone, tout en restant assez mesurée en matière de politiques sociales. Les Verts français proposent d’aller beaucoup plus loin dans ces deux domaines, mais espèrent qu’un succès écologiste outre-Rhin pourrait les aider à lancer une dynamique en France. Pas sûr, toutefois, que les résultats des Grünen influencent le choix des électeurs au moment de choisir entre Yannick Jadot et Sandrine Rousseau.