Autorisée dans l’Hexagone depuis 1977, la langue des signes française (LSF) est devenue un motif de fierté et un symbole de la culture sourde. Même si seulement une minorité de sourds maîtrise aujourd’hui couramment la LSF, cette langue se diffuse petit à petit, y compris auprès du monde entendant. Elle constitue une passerelle entre deux mondes et deux cultures, mise à l’honneur à l’occasion de la Journée internationale des langues des signes célébrée le 23 septembre.
En pleine préparation de son nouvel album, le rappeur Erremsi n’est jamais loin de son binôme de travail, Elodia Mottot. Juste à côté, la jeune femme s’entraîne à chansigner, c’est-à-dire traduire les textes de l’artiste en langue des signes française. Erremsi est connu dans la communauté sourde pour proposer depuis des années des clips et des concerts bilingues. L’artiste de 33 ans est enfant de deux parents sourds, comme l’illustrent certaines de ses paroles de chanson :”On se moquait de moi à l’école quand je répondais avec des signes. Tu trouves ça marrant, bah viens qu’on échange !”
“Que mes concerts soient aujourd’hui signés, interprétés ou chansignés, c’est quelque chose de fort d’un point de vue super personnel parce que j’ai l’impression que je peux partager ma musique avec mes parents, donc ça c’est mon point personnel. Étant de la communauté signante, j’ai l’impression d’être à ma place”, explique l’artiste de 33 ans.
Le binôme se produira bientôt en concert. Les répétitions sont donc essentielles pour que la traduction en LSF suive bien le rythme de la musique. “Je veux vraiment m’imprégner de la musicalité, mais aussi du flow, pour être sûre que sur tous les temps forts, moi j’arrive à proposer quelque chose en signant mais qui tape sur un temps fort aussi”, nous raconte l’interprète Elodia Mottot. “On pense que la langue des signes, ça ne se fait qu’avec les mains. Et c’est un gros défaut parce que, des fois, même à l’image ou à la télé, on ne ‘focus’ que sur les mains alors que si on ne ‘focus’ que sur ça, on ne comprendra rien.” En plus des mouvements des mains, les expressions du visage, la posture des épaules, ou encore la direction du regard, rentrent en compte.
Elodia est interprète en LSF depuis dix ans. En plus de son travail, elle milite sur les réseaux sociaux pour déconstruire certains clichés. “Il y a des idées reçues autour des langues des signes, comme le fait de penser que ce sont des simples langages qui ont été inventés pour pouvoir communiquer de manière très simpliste. Elles sont nourries par l’histoire de la langue des signes, parce qu’on pensait que ne pas avoir la parole était synonyme de ne pas être intelligent. En réalité, les langues des signes sont des langues très très riches, très complexes, qui s’appréhendent comme n’importe quelle autre langue vocale”, précise Elodia.
Comme Erremsi ou Elodia, Ozzie, quatorze ans, et Hanaé, sept ans, sont enfants entendants de parents sourds. La LSF est leur langue maternelle et celle qu’ils ont toujours utilisée pour communiquer avec leur mère, Lila Bensebaa. Pour cette dernière, l’usage de la langue des signes est essentiel. “Si mes enfants utilisaient uniquement la langue orale, il y aurait sûrement des choses en terme de vocabulaire qui pourraient être un obstacle dans la compréhension. Là ça permet de communiquer, d’avoir plus de fluidité avec la langue des signes”, explique-t-elle.
L’usage de la LSF attire souvent les regards et la curiosité. Mais Ozzie se dit fier de maîtriser cette langue peu connue et trop souvent qualifiée de simple langage. “Quelques fois on me jette des regards très bizarres. Par exemple, quand on va dans des restaurants avec ma mère et ma sœur, ils ne comprennent pas qu’on parle la langue des signes donc ils essayent de nous parler en anglais. Ils ne comprennent pas que c’est la langue des signes. Mais beaucoup de gens vivent dans les clichés. Par exemple, ils croient tout le temps que ma mère est muette, mais ce n’est pas parce que tu es sourd que tu es muet. Et on ne dit pas langage des signes.”
À la maison aussi, évidemment, les discussions se font en LSF. Les repas se déroulent dans un silence peu commun. “Maman est catégorique contre le fait de parler entre nous en langue française, parce que ça la dérange qu’elle ne comprenne pas nos conversations. C’est bizarre quelques fois. C’est tellement calme que tu ne te rends pas compte que t’es en train de parler”, raconte Ozzie.
Une communication essentielle pour leur mère. À la naissance de Lila, en 1979, la langue des signes n’est autorisée que depuis deux ans en France. Pendant sa scolarité, la LSF est donc encore peu pratiquée, voire inexistante. “Je devais apprendre à oraliser, avec des séances d’orthophonie, c’était très très long. La chance que j’ai eue, c’est qu’il y avait une autre petite fille dans ma classe, dont les parents étaient sourds et utilisaient avec elle la langue des signes. Grâce à elle, j’ai découvert cette langue à l’âge de 6 ans. J’ai vraiment pris conscience à ce moment-là à quel point c’était important, que ça permettait d’avoir des interactions. Ce n’était pas uniquement une langue orale que je répétais et où je devais tenter de deviner en permanence ce qu’on me disait. C’était épuisant.”
Ce n’est que depuis 1991 que les familles peuvent choisir un enseignement bilingue LSF-français pour l’éducation de leur enfant sourd. Entre les murs de l’Institut national de jeunes sourds de Paris, 130 enfants malentendants sont scolarisés. Parmi eux, Emma, élève de 4e, qui suit notamment le cours d’histoire en langue des signes. “Si le professeur parlait et donnait ses cours à l’oral, alors que je suis sourde, ce ne serait pas adapté pour moi. La langue des signes me convient”, confie-t-elle. Son camarade Adam, 13 ans, ajoute : “Depuis que je suis dans une classe bilingue, ça se passe bien, c’est sympa, on a des échanges de qualité.”
Sandy Sabaté est professeur d’histoire depuis 15 ans. Ses objectifs pédagogiques sont exactement les mêmes que dans les classes entendantes, seule la forme est différente. “Par exemple, on ne peut pas demander aux jeunes de prendre des notes en même temps qu’ils écoutent le cours parce que l’écoute se fait avec les yeux. Il faut donc séparer les deux au niveau de la construction du cours. Il y a un travail linguistique supplémentaire, parce que la classe se fait en langue des signes, mais il faut aussi que les élèves aient accès aux informations en français écrit. C’est pour ça qu’on parle de classe bilingue. Les notions doivent être acquises simultanément dans les deux langues.”
Ces classes bilingues constituent encore une exception en France. Aujourd’hui, moins de 10 % des jeunes sourds ont accès à un enseignement en langue des signes. Cela est dû à la fois à un manque de personnel qualifié et une faible maîtrise de la LSF, seulement un tiers de la communauté sourde sachant signer couramment.