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Evergrande et la crainte d’un Lehman Brothers à la chinoise

Le risque de défaut de paiement du géant chinois de l’immobilier Evergrande suscite de plus en plus des comparaisons avec la faillite de Lehman Brother en 2008, qui a déclenché la dernière crise financière mondiale. Si le parallèle est séduisant par certains aspects, il est exagéré sur d’autres points. 

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C’est la question à 300 milliards de dollars. Le géant chinois de l’immobilier Evergrande est-il le Lehman Brother chinois ? Le promoteur a rassuré une partie de ses investisseurs, mercredi 22 septembre, en annonçant qu’il pourrait rembourser une première échéance de 38 milliards de dollars qui arrivait à terme le lendemain.

Mais ce n’est qu’un petit dixième de sa dette – qui s’élève à environ 300 milliards de dollars. Et surtout, Evergrande n’a rien dit au sujet d’une autre créance, de 83,5 milliards de dollars, qui arrive également à terme ce jeudi.

Un parallèle “séduisant” avec Lehman Brothers 

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S’il ne parvient pas à rembourser cette dette dans les temps, le promoteur immobilier aura 30 jours pour négocier un compromis avec ses créanciers. Sans quoi, le groupe sera officiellement en défaut de paiement.

Une perspective qui donne des sueurs froides aux marchés financiers. La chute de l’empire Evergrande “serait le moment Lehman Brother de la Chine”, a assuré sur Twitter Uday Kotak, l’un des plus riches banquiers indiens. Une comparaison avec la faillite de la banque américaine à l’origine de la crise de 2008 qui revient de plus en plus souvent dans les médias.


Le parallèle est “séduisant car il y a des similitudes évidentes dans le récit des ces deux effondrements”, reconnaît Alexandre Baradez, analyste financier chez IG France, contacté par France 24.

Dans les deux cas, il s’agit de poids lourds dans leur domaine respectif. Lehman Brother était la quatrième banque d’investissement aux États-Unis avant de disparaître, tandis qu’Evergrande est le deuxième plus important promoteur immobilier chinois. 

À lire aussi sur France 24 : Evergrande : le conglomérat immobilier symbole du “too big to fail” à la chinoise

“Ce sont aussi deux institutions qui ont marqué l’histoire du développement économique de leur pays”, précise Alexandre Baradez. Lehman Brother a joué un rôle essentiel dans la formation de la bulle immobilière avant 2008, tandis qu’Evergrande a accompagné l’urbanisation à marche forcée de la société chinoise depuis le début des années 2000.

Ce sont surtout “deux acteurs qui ont mal estimé les risques”, résume Mary-Françoise Renard, spécialiste de l’économie chinoise à l’université Clermont-Auvergne, contactée par France 24. La banque américaine a octroyé beaucoup trop de crédits immobiliers risqués (les fameux subprimes), et le géant chinois s’est endetté plus que de raison en cherchant à se diversifier dans des secteurs aussi différents que le football, les parcs de loisirs ou encore les mutuelles. Il a ainsi lancé en 2019 une marque de voitures électriques sans avoir la moindre expérience en matière de construction automobile.

Et Evergrande vient, en outre, de faire appel à Houlihan Lokey, le spécialiste américain des restructurations qui avaient conseillé Lehman Brothers en 2008…

Moins de risque de contagion mondiale

Autant de similitudes qui ne racontent cependant qu’une partie de l’histoire. Les différences entre les deux situations sont tout aussi notables et font dire à la plupart des analystes que “le parallèle entre les deux situations est probablement exagéré”, soutient Jacob Gunter, spécialiste de la politique industrielle chinoise au Mercator Institute for China Studies (Merics), contacté par France 24.  

D’abord, Evergrande est un canard particulièrement boiteux dans le paysage immobilier chinois. “Le PDG et fondateur du groupe, Xu Jiayin, a un goût du risque très prononcé, même au regard des standards chinois”, note Jacob Gunter. Les pratiques de Lehman Brother, quant à elle, n’étaient pas très différentes de celles des autres banques d’investissement à l’époque de la crise des subprimes. 

Ensuite, “si l’idée est de suggérer qu’une éventuelle faillite d’Evergrande aura le même effet systémique sur l’ensemble du système financier mondial que la chute de Lehman Brothers, cela me semble peu probable”, estime Xin Sun, spécialiste de la politique économique chinoise au King’s College de Londres, contacté par France 24.

D’abord parce qu’une grande partie de la dette d’Evergrande est détenue par des acteurs chinois – que ce soit des banques, des petits porteurs ou les acheteurs des appartements en construction. “L’exposition des investisseurs étrangers au groupe est bien moins grande que dans le cas de Lehman Brothers”, précise l’économiste du King’s College. Le risque de voir des banques internationales prises financièrement à la gorge parce qu’Evergrande ne peut plus rien rembourser est donc faible.

En outre, même les banques étrangères qui ont prêté de l’argent à Evergrande ne vont pas être prises par surprise. “Il n’y aura pas l’effet sidération comme en 2008, où Lehman Brother a fait faillite littéralement du jour au lendemain. Cette fois-ci, cela fait des mois qu’on parle des difficultés d’Evergrande, ce qui a laissé le temps aux investisseurs d’échafauder des solutions de repli en cas de liquidation du groupe chinois”, affirme Alexandre Baradez, d’IG France.

Ce qui ne signifie pas que les conséquences d’une faillite du géant chinois ne seront pas importantes… mais “elles se feront surtout sentir sur le marché domestique”, assure Xin Sun. Un démantèlement d’Evergrande risque de faire chuter les prix sur le marché de l’immobilier, ce qui pourrait pousser d’autres promoteurs, dont la plupart sont également endettés, à mettre la clef sous la porte. “Des petites banques qui ont trop prêté aux groupes immobiliers, ainsi que des fournisseurs vont également avoir des problèmes financiers”, prévoit Mary-François Renard. 

Les choix de Pékin

Tous les Chinois qui avaient versé des acomptes pour des logements qu’Evergrande devait construire se retrouvent aussi à se demander ce qu’il va advenir de leur investissement. En clair, “le risque systémique est important, et si le système financier chinois était aussi étroitement lié aux marchés financiers internationaux que celui des États-Unis, le danger d’une contagion mondial serait bien plus important”, résume Jacob Gunter, du Merics.

Enfin, les autorités chinoises ne vont probablement pas gérer le cas Evergrande comme l’avait fait Washington avec Lehman Brothers. Les États-Unis avaient sacrifié la banque d’investissement pour faire un exemple et avait ensuite dépensé sans compter pour éviter que tout le système bancaire ne s’effondre. 

Pékin ne fera probablement pas pareil. Le régime “vient d’introduire cette année des règles pour pousser les entreprises à moins s’endetter et voler au secours de tout un secteur qui peine à rembourser enverrait un signal pour le moins contradictoire”, souligne Xin Sun. “Il est pris en tenaille entre ces réformes et le besoin d’aider Evergrande”, confirme Mary-Françoise Renard.

Quid alors ? “Le but va être d’amortir la chute pour rendre la crise gérable”, estime Jacob Gunter. Pékin dispose, pour ce faire, “d’une boîte à outils propre aux régimes autoritaires”, ajoute le spécialiste du Meric. Il peut forcer des entreprises publiques et “faire pression sur les entreprises privées afin de racheter des actifs d’Evergrande pour mieux répartir le risque”, conclut Jacob Gunter.

Mais il est évident qu’il va y avoir des victimes financières. Et ce ne seront pas les petits porteurs et ceux qui avaient payé pour les futurs logements. “La priorité numéro 1 du régime est d’éviter tout ce qui pourrait entraîner des troubles sociaux”, affirme Alexandre Baradez. Et les images – rares pour la Chine – de manifestants devant le siège d’Evergrande le 15 septembre réclamant d’être remboursés soulignent à quel point la situation peut être explosive. De l’avis de tous les spécialistes interrogés, les premiers à payer les pots cassés seront les investisseurs étrangers.

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