La Cour de justice de l’Union européenne a condamné la Pologne, sur demande de la République tchèque, à payer 500 000 euros par jour tant que la gigantesque mine de charbon de Turow reste active. C’est une sanction inédite au niveau européen qui complique encore plus la bataille diplomatique et économique autour de l’une des mines les plus polluantes d’Europe qui se trouve à la frontière entre la Pologne, l’Allemagne et la République tchèque.
Cinq cent mille euros par jour. C’est la sanction prise par le Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à l’encontre de la Pologne, lundi 20 septembre, pour la forcer à arrêter d’exploiter l’une des mines à charbon les plus polluantes de l’UE qui est au cœur d’une importante bataille diplomatico-économique en Europe centrale.
Mais la perspective de devoir payer une lourde addition à la Commission européenne n’a pas ébranlé la détermination de Varsovie. “Nous ne fermerons pas la mine de Turow. Depuis le début de cette affaire nous sommes d’avis que la suspension de l’activité à Turow menacerait la stabilité de notre réseau électrique”, a réagi Piotr Mueller, le porte-parole du gouvernement polonais, dans un communiqué de presse.
Histoires d’eau
La mine de Turow, située au sud-ouest de la Pologne à quelques kilomètres des frontières avec l’Allemagne et la République tchèque, est devenue ces dernières années l’un des principaux sujets de discorde environnementale entre les trois pays.
C’est la République tchèque qui est la plus remontée contre cette gigantesque mine de charbon. Prague accuse PGE, principal producteur d’électricité polonais et exploitant de la mine, de nuire non seulement à l’environnement mais aussi, et avant tout, au bien-être des habitants des communes tchèques proches de la frontière.
La République tchèque pensait en avoir fini avec le dossier Turow début janvier, lorsque la concession minière pour ce site, ouvert en 1907, arrivait enfin à son terme. Mais c’était sans compter avec l’entêtement de Varsovie qui a décidé d’autoriser PGE à continuer d’extraire du charbon de Turow jusqu’en 2044.
C’en était trop et Prague a décidé en février 2021 de porter l’affaire devant la justice européenne qui a tranché en sa faveur trois mois plus tard. Mais Varsovie a, une première fois, fait la sourde oreille. La CJUE a alors décidé de presser la Pologne avec la condamnation à l’astreinte de 500 000 euros par jour car la situation lui paraissait “urgente”.
Quelle urgence ? La mine de Turow menace de priver des villes entières en République tchèque d’accès à l’eau, précise la CJUE. C’est aussi le problème soulevé par Prague depuis près de cinq ans.
La mine, en effet, s’étend sur plus de 20 kilomètres et la Pologne y extrait du lignite, la forme la plus polluante possible de charbon. Mais pour l’atteindre, il faut creuser toujours plus bas, et au fil des décennies, les mineurs sont descendus, par endroit, à plus de 200 mètres de profondeur. Ce qui crée des dépressions qui tendent à attirer vers les profondeurs de la mine les cours d’eau voisins, contribuant à assécher les points d’eau pour les communes voisines.
Dans un rapport sur l’affaire de la mine de Turow paru en juin 2020, l’European Environment Board (EEB, un collectif d’ONG européenne pour la protection de l’environnement), souligne que PGE “pompe 40 litres d’eau par seconde dans sa mine à Turow, ce qui est l’équivalent de la consommation en eau pour les 350 000 habitants de la ville tchèque de Liberec et des villages adjacents [qui jouxtent la frontière polonaise, NDLR]”.
Il y a déjà eu des coupures d’eau à cause de l’activité minière en Pologne, ont constaté plusieurs médias – dont la BBC et le New York Times – qui se sont rendus dans des villages du côté tchèque de la frontière. Mais la situation risque d’empirer car PGE compte pousser encore plus loin l’exploitation du site de Turow, allant jusqu’à creuser à près de 100 mètres de la frontière tchèque, précise le site Politico.
Risques environnementaux
Les Allemands ont leurs propres doléances dans ce dossier. Le Land de Saxe, frontalier avec la Pologne au niveau de la mine de Turow, se plaint de la pollution générée par les usines à charbon qui transforment le lignite en électricité et rendent l’air difficilement respirable à la frontière. En outre, une étude géologique publiée en octobre 2020 conclut que l’activité minière contribue à fragiliser les sols à tel point qu’il a créé des risques sérieux d’affaissement de terrain sous la ville allemande de Zittau.
Mais l’Allemagne a préféré ne pas se joindre à l’action en justice menée par la République tchèque afin de ne pas jeter du charbon sur le feu d’un dossier très sensible pour Varsovie.
PGE n’en finit pas de brandir l’importance économique de la mine de Turow pour tenter de faire taire les critiques. À elle seule, elle permet de produire plus de 5 % de l’ensemble de l’électricité généré en Pologne et sert directement à fournir de l’énergie à 2,3 millions de Polonais. C’est aussi la seule source d’énergie pour des hôpitaux et des écoles dans la région de la ville de Bogatynia.
Presque tous les hommes adultes de cette commune de plus de 15 000 habitants travaillent d’ailleurs dans cette mine, souligne le New York Times. PGE ajoute même que les revenus d’environ 80 000 Polonais dans la région dépendaient directement ou indirectement de l’activité minière.
Mais la bataille autour de l’avenir de la mine de Turow n’est pas seulement économique. Elle est aussi très politique pour le gouvernement polonais qui tient à son addiction au charbon contre vents, marées… et Bruxelles.
Question de souveraineté nationale
La Pologne reste dépendante du charbon à 80 % pour sa production d’électricité (54 % pour la République tchèque et 43 % pour l’Allemagne) et considère que l’allure à laquelle elle passe à des sources d’énergie plus propres relève de sa souveraineté.
Pas question donc de plier aux demandes de l’UE qui veut ramener la Pologne dans le droit chemin environnemental au nom des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le très populiste et ultra-conservateur président polonais, Andrzej Duda, a fait de la mine de Turow un symbole de la résistance contre le “diktat” de Bruxelles. Ses sympathisants ont ainsi manifesté cet été devant le siège de la Commission européenne, brandissant des pancartes où il était écrit “hier l’Union Soviétique, aujourd’hui l’Union européenne qui veut nous voler notre souveraineté”.
Mais ce n’est pas seulement par opportunisme qu’Andrzej Duda a érigé le charbon en une sorte de cause nationale. Historiquement, l’industrie du charbon polonais était une fierté nationale à l’époque soviétique et les mineurs étaient très bien payés. Ce qui explique que les syndicats de mineurs, même après la chute du communisme, ont conservé un poids politique très important, rappelle la BBC.
La Pologne considère, en outre, le charbon comme un garant de son indépendance énergétique à l’égard de la Russie, décrit le New York Times. Selon Varsovie, la transition énergétique menée par l’Allemagne a mis Berlin dans une situation de dépendance à l’égard du gaz russe, ce qui est inacceptable pour un pays “qui ne se sent pas en sécurité à l’ombre du voisin russe”, poursuit le quotidien américain. Quitte à priver des milliers de Tchèque d’un accès à l’eau courante ?