Depuis le début de l’année, près de 4 100 migrants, originaires du Moyen-Orient mais aussi d’Afrique centrale, sont entrés illégalement en Lituanie. La rédaction des Observateurs de France 24 a été contactée par un Camerounais qui a traversé la frontière avec la Biélorussie avant d’être arrêté en Lituanie et placé dans un camp ouvert par les autorités. Selon lui, le petit pays Balte veut contraindre les migrants à retourner dans leurs pays.
“Ils ont mis des grilles partout, comme des prisonniers.” Dans des vidéos envoyées à la rédaction des Observateurs de France 24, le 15 septembre, Marc (pseudonyme), originaire du Cameroun, fait visiter le centre dans lequel il se trouve, un ancien stade du village de Linkmenys, situé à une centaine de kilomètres de la capitale lituanienne Vilnius.
Marc montre son lit de camp dans une salle aux fenêtres recouvertes par des grillages. D’autres hommes y dorment, certains sur des lits superposés. “Nous séchons les habits à l’intérieur”, poursuit-il en filmant du linge étendu. Dans la salle de bain, de l’eau stagne sur le carrelage noirci par la saleté, les toilettes sont bouchées et une poubelle pleine attend “depuis deux jours” d’être vidée. “Bien sûr, on est entré ici illégalement, mais mérite-t-on ces conditions ?”, s’indigne Marc dans un message vocal.
“Mon but était d’entrer dans n’importe quel pays de l’espace Schengen”
Le parcours migratoire de Marc est long et complexe. Âgé de 28 ans, le Camerounais explique avoir quitté son pays en 2016 pour des raisons de sécurité puis avoir vécu dans de nombreux pays du continent africain. Au Maroc, il a tenté de traverser la Méditerranée.
Finalement, Marc, qui espère un jour “demander l’asile en France”, a décidé d’emprunter un autre itinéraire. Il assure avoir d’abord acheté un visa pour la Russie, puis avoir voyagé en Biélorussie. C’est depuis ce pays, souvent qualifié de “dernière dictature d’Europe”, qu’il a traversé illégalement au mois de juillet la frontière avec la Lituanie, sas d’entrée dans l’Union européenne :
En Biélorussie, j’ai pris un taxi qui m’a laissé à 200 mètres de la frontière. J’ai pris mon téléphone et j’ai marché seul à travers la forêt pendant cinq jours. Mon but était d’entrer dans n’importe quel pays de l’espace Schengen. Quand j’ai traversé la frontière, j’ai été repéré par la police. J’ai d’abord été emmené dans un camp militaire où des médecins nous ont examinés et vaccinés contre le Covid-19. Puis j’ai été envoyé dans l’autre centre [à Linkmenys, NDLR]. Je suis le seul Camerounais, les autres migrants viennent du Moyen-Orient ou d’Afghanistan. Je sais que dans d’autres camps il y a des Africains aussi. Mais ils n’ont pas le même parcours que moi : la plupart sont arrivés ici en quittant la Biélorussie où ils étaient étudiants.
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Au total, 4 124 personnes sont entrées illégalement en Lituanie depuis le début de l’année. Près de la moitié sont originaires d’Irak : elles ont relié Bagdad à Minsk en avion, puis ont traversé la frontière. Le 6 août, après des pressions européennes, les autorités irakiennes ont annoncé la suspension temporaire des vols pour la Biélorussie. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur mi-août, 200 migrants venaient également de la République démocratique du Congo et 131 du Cameroun, les deux nationalités les plus représentées derrière les Irakiens.
En Lituanie, petit pays de 2,7 millions d’habitants frontalier de la Pologne, de la Lettonie et de la Biélorussie, la situation est nouvelle : en 2020, il n’y avait eu que 74 entrées irrégulières, et seulement 37 en 2019.
Le gouvernement, qui s’inquiète d’un “afflux migratoire alarmant”, a annoncé la construction d’un mur à sa frontière et accusé le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, de laisser passer les migrants en représailles aux sanctions de l’Union européenne après l’arrestation d’un dissident politique à Minsk.
Le temps de demander l’asile, les migrants, eux, ont été envoyés dans des campements installés à la hâte durant l’été dans d’anciennes écoles et bases militaires.
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“On vient nous demander : ‘Est-ce que vous vous êtes décidés à rentrer dans votre pays ?'”
Dans le centre où il se trouve, Marc dénonce des conditions de rétention dignes “d’une prison” :
Actuellement, dans le centre, nous sommes 33. C’est une prison. Je ne pensais qu’on serait traités comme ça. On ne sort jamais dehors voir la lumière du jour. J’ai demandé l’asile à mon arrivée mais depuis je n’ai pas de nouvelles. Il y a déjà eu des tensions dans le camp avec la police à cause de tout ça.
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Mi-août, 200 migrants avaient reçu une réponse à leur demande d’asile, négative dans tous les cas. Interrogé par InfoMigrants, le vice-ministre de l’Intérieur, Arnoldas Abramavičius, affirme toutefois que “toutes les personnes ayant besoin d’une protection peuvent demander l’asile” en Lituanie et que “chaque demande [sera] examinée individuellement”.
Le rythme d’étude des demandes devrait s’accélérer, selon lui, grâce au recrutement de traducteurs et d’experts. Le gouvernement compte également sur d’éventuels départs volontaires, pour lesquels les migrants recevront “un billet d’avion gratuit et 300 € en espèces”. Une option difficilement envisageable pour beaucoup, comme Marc :
Ils s’appuient surtout sur les retours : quand des agents arrivent dans le centre, ce n’est pas pour demander nos conditions de vie mais pour nous dire : “Est-ce que vous vous êtes décidés à rentrer dans votre pays ?”. Après tout ce parcours… C’est la frustration totale.