Critique de longue date du président Paul Kagame, Paul Rusesabagina, qui a sauvé plus de 1 200 personnes lors du génocide au Rwanda et dont le parcours a inspiré le film “Hôtel Rwanda”, a été condamné par un tribunal rwandais pour “terrorisme”.
Héros pour Hollywood, “terroriste” pour Kigali. Paul Rusesabagina, dont l’histoire a inspiré le film “Hotel Rwanda”, a été condamné lundi 30 septembre par la justice rwandaise. Devenu un des plus célèbres opposants au président Paul Kagame, le régime rwandais l’accuse d’être responsable d’attaques meurtrières menées par un groupe rebelle.
Jugé pour neuf chefs d’accusation qu’il contestait, dont celui de “terrorisme”, l’ancien directeur de l’Hôtel des Mille Collines à Kigali encourt la prison à vie.
L’histoire de ce Hutu modéré a inspiré le film “Hotel Rwanda”, sorti en 2004, qui relate son sauvetage de plus de 1 000 personnes durant le génocide de 1994 qui a fait 800 000 morts, principalement des Tutsi.
Incarné à l’écran par Don Cheadle comme un altruiste à la voix douce, Paul Rusesabagina est aussi l’un des plus féroces critiques du président rwandais Paul Kagame. Aujourd’hui âgé de 67 ans, il est réapparu au Rwanda, en août 2020, après près de vingt-cinq ans d’exil, en uniforme rose de prisonnier, menottes aux poignets, après ce qu’il a dénoncé comme un “enlèvement”.
La justice rwandaise l’accuse d’être le cerveau d’attaques menées par le Front de libération nationale (FLN), groupe rebelle considéré comme terroriste par Kigali. Lui et sa famille réfutent. Ses proches affirment qu’il a toujours été l’homme courageux, calme et déterminé présenté dans le blockbuster hollywoodien et dénoncent un procès “politique” visant à faire taire un opposant.
Paul Kagame accusé d’autoritarisme
Né en 1954 dans une famille d’agriculteurs du centre du Rwanda, Paul Rusesabagina a brièvement étudié la théologie, puis l’hôtellerie, au Kenya et en Suisse. De retour au Rwanda en 1984, il est embauché comme directeur général adjoint du plus prestigieux hôtel de la capitale Kigali, l’Hôtel des Mille Collines.
Quand le génocide commence en avril 1994, des centaines de personnes, principalement des Tutsi, s’y réfugient. Hutu modéré marié à une Tutsi, Paul Rusesabagina discute avec les tueurs, les apaise avec des bières, utilise ses relations pour obtenir de la nourriture, tandis que ses “invités” boivent l’eau de la piscine. Il enverra des SOS aux gouvernements européens et au président américain Bill Clinton avec le fax de l’hôtel.
Le journaliste américain Philip Gourevitch, qui l’a rencontré, le décrit comme “un homme aux manières douces, solidement bâti et d’apparence plutôt ordinaire”. “C’est ainsi qu’il semblait se considérer, une personne ordinaire qui n’a rien fait d’extraordinaire en refusant de céder au tourbillon de folie qui l’entourait”, écrit-t-il dans son livre “Nous avons le plaisir de vous informer que, demain, nous serons tués avec nos familles – Chroniques rwandaises”, paru en 1998.
Paul Rusesabagina est déçu par le nouveau pouvoir à dominante tutsi, qui a renversé le régime extrémiste hutu et mis fin au génocide. Il accuse le Front patriotique rwandais (FPR) et son chef Paul Kagame d’autoritarisme et d’alimenter un sentiment anti-hutu. Il quitte le pays en 1996 avec femme et enfants pour la Belgique et les États-Unis.
Notoriété et critiques
La sortie en 2004 de “Hotel Rwanda” lui offre une soudaine célébrité : il est décoré aux États-Unis de la Médaille présidentielle de la liberté, donne des conférences à travers le monde… Il est toutefois critiqué par des survivants des Mille Collines, qui lui reprochent de tirer profit de leur malheur et d’embellir son rôle.
“Il profitait des réfugiés [qui] payaient leurs chambres et pour la nourriture”, affirme à l’AFP l’un d’entre eux, Edouard Kayihura : “Un héros est quelqu’un qui met sa vie en danger pour en sauver d’autres. Je ne vois personne qui a fait cela pour nous sauver”.
Fort de sa nouvelle notoriété, Paul Rusesabagina se fait aussi plus virulent contre Paul Kagame, ce qui lui vaut des attaques de partisans du régime. “Au fur et à mesure qu’il a été attaqué, il a été poussé dans des positions plus extrêmes”, estime Timothy Longman, professeur à l’université de Boston, qui l’a rencontré pour la première fois au milieu des années 1990.
Lié aux groupes d’opposition en exil, Paul Rusesabagina participe en 2017 à la création du Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD), dont le FLN est considéré comme le bras armé.
En 2018, dans une vidéo, il déclarait : “le moment [est] venu pour nous d’utiliser tous les moyens possibles pour amener le changement au Rwanda, car tous les moyens politiques ont été tentés et ont échoué”. Mais il a toujours nié toute implication dans les attaques pour lesquelles il a été jugé.
Avec AFP