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Élections fédérales au Canada : le conservateur O’Toole face à un Trudeau trébuchant

Erin O’Toole est plus près de devenir le prochain Premier ministre du Canada qu’aucun chef du Parti conservateur ne l’a été depuis 2015 et la vague de “Trudeaumania”. Il n’a pas le style flamboyant de Justin Trudeau, mais il pourrait tirer son épingle du jeu face aux mauvais calculs du Premier ministre sortant.

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La tâche semblait simple sur le papier quand Justin Trudeau, Premier ministre du Canada, a convoqué en août dernier des élections législatives au Canada pour le lundi 20 septembre. Le chef du Parti libéral espérait que l’approbation générale de sa gestion de la crise sanitaire se traduirait par des votes, une majorité stable et un nouveau mandat de cinq ans à la fin de la pandémie. 

Pourtant, le scrutin s’annonce maintenant étonnamment serré, les observateurs politiques canadiens estimant que Justin Trudeau a fait plusieurs mauvais calculs. Ce dernier aurait, entre autres, mal anticipé le peu d’appétit des électeurs – en particulier libéraux – pour un scrutin au milieu d’une quatrième vague de Covid-19, ou encore la haine obstinée qu’il inspire à la droite canadienne.

L’expérience militaire face à un Justin Trudeau “privilégié” 

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C’est là qu’Erin O’Toole entre en scène. Depuis qu’il a pris la tête du Parti conservateur en août 2020, cet homme corpulent, âgé de 48 ans et père de deux enfants, aurait perdu quinze kilos en allant courir chaque jour. Mais il s’est également débarrassé d’un grand nombre des positions conservatrices traditionnelles, abandonnant successivement ses engagements contre la taxe carbone et l’interdiction des armes d’assaut, pour se lancer dans la course au poste de Justin Trudeau. 

Né à Montréal en 1973, Erin O’Toole a déménagé, alors qu’il était encore enfant, à Bowmanville, en Ontario (à l’est de Toronto), après que son père a obtenu un poste de directeur à l’usine General Motors située à proximité. À 9 ans, lui et ses deux jeunes sœurs perdent leur mère, emportée par un cancer du sein. Selon lui, cette dernière lui a inculqué le sens du service : sa mère avait parrainé une famille de réfugiés vietnamiens, dont des milliers avaient été accueillis au Canada dans les années 1970

Erin O’Toole n’a pas le pedigree politique spectaculaire de son rival libéral : Justin Trudeau est né en 1971 d’un Premier ministre en exercice, le charismatique et iconoclaste libéral Pierre Elliott Trudeau, et a grandi sous les feux de la rampe. Mais O’Toole père a lui aussi initié son fils à l’effervescence des campagnes électorales, en occupant des fonctions locales avant d’obtenir cinq mandats en tant que conservateur à l’assemblée législative provinciale de l’Ontario.

À 18 ans, Erin O’Toole s’inscrit au collège militaire et devient officier de l’Aviation royale du Canada quatre ans plus tard, servant comme navigateur tactique puis comme capitaine à bord d’hélicoptères militaires de recherche et de sauvetage. Il s’est appuyé sur son service dans les forces armées pour faire passer le message de son parti sur le caractère de Justin Trudeau. 

“Lorsque Justin Trudeau faisait la fête – et nous avons tous vu les photos –, je participais à des missions de recherche et de sauvetage dans l’armée”, a déclaré le candidat conservateur, à l’entame de la dernière semaine de campagne. “Chaque Canadien a rencontré un Justin Trudeau dans sa vie – un privilégié qui cherche toujours à être le numéro un”, a-t-il poursuivi. “Il est prêt à dire n’importe quoi pour être élu, quels que soient les dommages que cela cause à notre pays.” 

S’il est élu, Erin O’Toole serait, en plus de 50 ans au Canada, la première personne à devenir Premier ministre tout en ayant eu une expérience militaire, selon le journal quotidien canadien The Globe and Mail. Le candidat conservateur a servi dans les forces armées en temps de paix jusqu’en 2000, puis est passé réserviste pour étudier le droit à Halifax. Il travaille ensuite comme avocat d’affaires à Toronto – notamment pour la multinationale Procter & Gamble – et fonde “True Patriot Love”, un organisme de bienfaisance pour les anciens combattants.

Inspiré par les présidents Johnson et Trump, mais pro-IVG 

En 2012, Erin O’Toole entre à la Chambre des communes après avoir remporté une élection partielle dans la circonscription de Durham. Il est ensuite réélu deux fois député (en 2015 et en 2019). À cela s’ajoutent un bref passage comme ministre des Anciens Combattants, en 2015, une fonction de porte-parole du Parti conservateur en matière d’Affaires étrangères pendant trois ans, ainsi que deux échecs pour prendre la tête de son parti – avant de l’emporter l’an dernier. 

Dans sa tentative de moderniser son parti et de ramener les conservateurs au pouvoir à Ottawa, Erin O’Toole s’est inspiré des stratégies qui ont fait le succès de ses contemporains conservateurs au Royaume-Uni et aux États-Unis. Il a clairement exprimé ses opinions pro-IVG et pro-LGBTQI, faisant écho à un conservatisme compassionnel à la David Cameron. 

Le chef du Parti conservateur, Erin O'Toole, parle à des partisans lors d'une visite de campagne électorale à North Vancouver, en Colombie-Britannique, au Canada, le 3 septembre 2021.
Le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, parle à des partisans lors d’une visite de campagne électorale à North Vancouver, en Colombie-Britannique, au Canada, le 3 septembre 2021. © Jennifer Gauthier, Reuters

Le leader conservateur canadien s’est aussi efforcé d’attirer les votes de la classe ouvrière, en exploitant les libéraux désabusés, comme Boris Johnson, qui a su arracher le soutien de vieux bastions du Parti travailliste. Et Erin O’Toole s’est lancé dans des slogans très proches de ceux de Donald Trump – “Le Canada d’abord”, “Reprenons le Canada”. 

Il s’est également positionné contre ce que les conservateurs nomment la “cancel culture” (culture de l’annulation) : il s’est moqué des campagnes “woke”, qui voulaient renommer des bâtiments publics portant le nom des fondateurs du célèbre système de pensionnats ayant brutalement opprimé des générations de Canadiens indigènes, avant de revenir sur ses propos face aux accusations de racisme.

>> À Lire : Le Canada sous le choc après la découverte de 751 tombes près d’un pensionnat pour autochtones

La base conservatrice n’est pas toujours d’accord avec Erin O’Toole. Lors d’un congrès du parti, en mars dernier, ce dernier a soutenu une résolution visant à ajouter “le changement climatique est réel” au livre des politiques conservatrices. Les délégués l’ont rejetée. Lorsqu’un projet de loi libéral visant à interdire la thérapie de conversion LGBTQ a été déposé à la Chambre des communes en juin, Erin O’Toole l’a soutenu – mais le chef adjoint des conservateurs a voté contre. 

Pour cette campagne en temps de pandémie, il a tenu à ménager les opinions au sein du parti. Alors que Justin Trudeau a exigé que les candidats libéraux se fassent vacciner avant de faire campagne, Erin O’Toole, testé positif au Covid-19 l’an dernier et vacciné depuis, a refusé d’exiger que ses propres candidats soient vaccinés, déclarant préférer les tests rapides et que les décisions en matière de santé sont une question de choix personnel.

“Il ne peut même pas convaincre ses propres candidats de se faire vacciner”, a lancé Justin Trudeau lors d’un débat télévisé en septembre. “Erin O’Toole ne peut même pas convaincre son parti que le changement climatique est réel.” “C’est moi qui conduis le bus”, a rétorqué le candidat conservateur. Lors de ce débat, Erin O’Toole n’a pas eu l’air du leader conservateur étouffant et sans humour de jadis. Sa promesse de déployer plus de 50 milliards de dollars de nouvelles dépenses sur cinq ans est également très éloignée de la doctrine conservatrice. “Nous ne sommes plus le parti conservateur de votre père”, a-t-il déclaré mercredi lors d’un déplacement électoral.

Un référendum pour ou contre Justin Trudeau ? 

Dans la dernière ligne droite, les sondeurs indiquent que Justin Trudeau et Erin O’Toole sont statistiquement à égalité avant le vote de lundi. Le Canada étant une démocratie parlementaire, il y a des limites pratiques aux sondages sur le vote populaire. L’élection n’est pas une course à un cheval – ce sont 338 courses, une dans chaque district – et les noms des candidats libéral et conservateur ne figurent respectivement que sur les bulletins de vote de leur propre circonscription de Montréal et du Grand Toronto. En 2019, le candidat conservateur Andrew Scheer a remporté le vote populaire, mais il a tout de même manqué 36 sièges face aux libéraux de Justin Trudeau. Mais cette fois-ci, selon les sondeurs, la situation est différente. 

Lorsque Justin Trudeau a annoncé la tenue d’élections en août, “la plupart des observateurs politiques ne pouvaient pas y croire”, déclare Darrell Bricker, directeur général d’Ipsos Global Affairs, contacté par France 24. Les sondages Ipsos ont montré que 56 % des électeurs ne voulaient pas d’élections, les électeurs libéraux y étant les moins favorables. “Je ne sais pas comment il a pu rater ça… Les seules personnes qui voulaient une élection étaient les électeurs de l’opposition, en particulier les conservateurs”, poursuit Darrell Bricker, qui ajoute que ces élections anticipées ont donné à la population l’impression d’un calcul politique.


Si le déclenchement de l’élection en soi a fait de l’élection un référendum sur Justin Trudeau, les conservateurs ont été heureux de s’y plier. Et les conservateurs sociaux parmi eux ont accepté de fermer les yeux sur certains sujets afin d’évincer leur ennemi juré. 

“Erin O’Toole ne progresse que parce que les gens sont en colère contre Justin Trudeau. Il se présente donc essentiellement comme le choix alternatif”, affirme Darrell Bricker. “Il n’a offensé personne. Il est devenu une option acceptable, par opposition à… la construction d’un élan, comme l’a fait Justin Trudeau en 2015.” 

Le sondeur explique que dans la politique canadienne de ces derniers temps, “pour la gauche, c’est comme “American Idol” (émission de télévision équivalant à “La Nouvelle Star” en France, NDLR). Pour la droite, c’est comme un entretien d’embauche… Si vous avez l’air de pouvoir faire le travail, c’est bon.” Le résultat est que, pour l’instant du moins, l’équivoque d’Erin O’Toole sur la politique n’a pas d’importance. “Le vote conservateur se concentre sur une seule chose en ce moment et c’est le départ de Justin Trudeau”, précise Darrell Bricker. 

L'humeur sur la piste de la campagne était bien différente en 2015 pour Justin Trudeau, que l'on voit ici faire le clown avec les membres de l'équipe de campagne à Montréal en ce jour d'élection, le 19 octobre 2015.
L’humeur sur la piste de la campagne était bien différente en 2015 pour Justin Trudeau, que l’on voit ici faire le clown avec les membres de l’équipe de campagne à Montréal en ce jour d’élection, le 19 octobre 2015. © Andy Blatchford/The Canadian Press via AP/File

Nik Nanos, fondateur de Nanos Research contacté par France 24, affirme, quant à lui, que les conservateurs ont changé de stratégie pour présenter le scrutin comme une question de caractère. “La performance régulière d’Erin O’Toole et son programme plus progressiste et plus dépensier par rapport aux campagnes conservatrices précédentes ont contribué à l’immuniser, lui et les conservateurs, contre les propos alarmistes des libéraux”.

Difficultés à venir pour le camp libéral et conservateur en cas de victoire 

L’attente est maintenant tendue. Après la fermeture des bureaux de vote dans les six fuseaux horaires du Canada, lundi, le comptage d’un nombre inhabituellement élevé de bulletins de vote par correspondance – dans le cadre de la pandémie – pourrait retarder les résultats des duels électoraux serrés.

Mais si les conservateurs l’emportent, ce ne sera pas la fin de la bataille pour Erin O’Toole. “Son problème, c’est que son parti n’est pas nécessairement d’accord avec lui”, note Darrell Bricker. Cela rend particulièrement difficile la tâche de diriger un gouvernement minoritaire. L’euphorie des conservateurs d’avoir évincé Justin Trudeau serait de courte durée, avec une pandémie à gérer. Et Darrell Bricker de plaisanter au sujet d’Erin O’Toole : “C’est la vieille analogie de celle du chien qui a attrapé la voiture : ‘Je l’ai. Qu’est-ce que je vais en faire ?'”

Cet article, adapté en français par Jean-Luc Mounier, est issu de la version anglaise écrite par Tracy McNicoll.

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