L’Iran a nommé un ultraconservateur anti-occidental, Ali Bagheri, pour remplacer le vice-ministre des Affaires étrangères Abbas Araghchi, brillant négociateur des accords sur le nucléaire de 2015. À ce titre, ce nouveau personnage clé de fortes chances de devenir le prochain négociateur en chef sur le nucléaire iranien et insuffler un changement de ton radical.
Téhéran vient d’envoyer un message de fermeté aux Occidentaux. Mardi 14 septembre, L’Iran a démis de son poste ministériel Abbas Araghchi, le négociateur en chef sur le nucléaire.
Diplomate pragmatique et chevronné, artisan de l’accord sur le nucléaire de 2015, Abbas Araghchi a été remplacé à la vice-présidence des Affaires étrangères par Ali Bagheri, un ancien négociateur sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad en 2007 connu pour son intransigeance.
Jusqu’ici Américains et Européens négociaient avec une équipe iranienne qu’ils connaissent bien et depuis longtemps. Ils auront désormais affaire à Ali Bagheri, nouveau personnage-clef de la diplomatie iranienne qui pourrait également être nommé chef des négociateurs du pays pour le dossier du nucléaire.
Plus radical que les radicaux
Cet ultraconservateur appartient à “la branche la plus radicale des radicaux”, explique Thierry Coville, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Ali Bagheri, 53 ans, est décrit comme étant “plus dur et moins diplomate” que le nouveau ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, pourtant proche des Gardiens de la révolution.
Hostile à toute concession avec l’Occident, Ali Bagheri avait reproché à plusieurs reprises à l’ancien président iranien, le modéré Hassan Rohani, d’avoir accepté des restrictions sur le programme nucléaire du pays et d’avoir permis aux “étrangers” de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) d’accéder aux sites iraniens en signant l’accord international de 2015, qui avait mis fin à douze années de crise autour de la question nucléaire iranienne.
Un proche du Guide suprême
Autre particularité, Ali Bagheri fait partie de l’entourage rapproché du Guide suprême, puisque son frère n’est autre que le gendre d’Ali Khamenei. Proche du président Ebrahim Raïssi également, Ali Bagheri a été désigné en 2019 adjoint aux affaires internationales de l’Autorité judiciaire par ce dernier, investi en août président.
Sa nomination à la place d’Abbas Araghchi “n’est pas un bon signe pour les négociations”, analyse David Rigoulet-Roze, rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques et chercheur spécialiste du Moyen-Orient. Elle peut être interprétée comme un signe de fermeté, sinon d’intransigeance. “C’est un message des Iraniens pour dire ‘on ne transigera pas sur nos intérêts nationaux'”.
Fermeté de Téhéran sur le balistique et les “sunset clauses”
Avec ce choix, le Guide suprême confirme que sous l’ère Raïssi, il n’y aura pas de possibilité d’élargir les discussions sur le nucléaire à la question de la limitation du programme balistique iranien.
“Les Iraniens souhaitent revenir exclusivement à l’accord tel qu’il était en 2015”, explique David Rigoulet-Roze. L’accord offrait alors à Téhéran un allègement des sanctions occidentales et onusiennes, en échange de son engagement à ne jamais se doter de l’arme atomique et d’une réduction drastique de son programme nucléaire, placé sous strict contrôle de l’ONU. L’Iran a toutefois progressivement abandonné la plupart de ses engagements après le retrait unilatéral des Américains en 2018.
Depuis la sortie de Washington de ce pacte international, un autre point de tension a refait surface : celui des fameuses “sunset clauses” ou “clauses crépusculaires”. Ces clauses, comprises dans l’accord sur le nucléaire, lèvent certaines obligations de l’Iran selon un calendrier bien précis. Ainsi, l’embargo de l’ONU sur les ventes d’armes conventionnelles à l’Iran a expiré en octobre 2020, malgré une tentative des États-Unis visant à pousser le Conseil de sécurité à prolonger ce blocus. “D’autres ‘sunset clauses’ sont amenées à être clôturées prochainement, comme l’embargo sur les composants balistiques qui arrive à échéance en 2023, ou encore celui sur les technologies nucléaires sensibles [comme les pièces des centrifugeuses] et la limitation du nombre de centrifugeuses, qui deviendra caduc en 2025”, relève David Rigoulet-Roze. “Or, Téhéran ne veut pas que ces restrictions soient réactualisées dans un accord élargi, puisque les ‘sunset clauses’ ont été acceptées par toutes les parties en 2015”.
Dans un contexte où se multiplient les points de crispation, l’arrivée d’Ali Bagheri aux manettes viendrait compliquer encore davantage des négociations restées au point mort depuis l’élection d’Ebrahim Raïssi en juin et pour lesquelles aucune date de reprise n’a été encore décidée.
Avec AFP